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 Formes brèves

Au croisement des pratiques et des savoirs

 

Sous la direction de Cécile Meynard et Emmanuel Vernadakis

 

Collection Nouvelles Recherches de l’imaginaire

Presses universitaires de Rennes, 2019

Broché. 293 p. ISBN 978-2753579101. 20 €

 

Recension de Jérôme Dutel

Université Jean Monnet Saint-Etienne

 

     

L’ouvrage, dirigé par Cécile Meynard et Emmanuel Vernadakis, résulte de plusieurs manifestations, dont Formes brèves : Définitions et cadrages (29 et 30 septembre 2016) et Les formes brèves au prisme de l'inachevé (10 novembre 2017), tenues à l’université d’Angers et s’inscrivant dans l’un des axes forts du CIRPaLL (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur les Patrimoines en Lettres et Langues), consacrés aux formes brèves. Cela semblerait là un des premiers enjeux, générique, de l’ouvrage que de définir celles-ci afin d’en tirer des analyses esthétiques et stylistiques sinon comparables, du moins juxtaposables. Un autre attendu, entretenu par le sous-titre, Au croisement des pratiques et des savoirs, entraîne toutefois à vouloir penser aussi hors des discours universitaires.

Cécile Meynard et Emmanuel Vernadakis proposent donc, comme une vaste ouverture (l’introduction courant sur près de 50 pages), comme un programme autant qu’une problématique, de revenir sur une délimitation des formes brèves et leur histoire, défendant l’idée qu’aujourd’hui, plus encore qu’hier, les formes brèves deviennent un champ inévitable dans les expressions contemporaines. Si l’omniprésence des formes brèves est balayée dans leurs diversités au fur et à mesure de la conséquente introduction du volume, les auteurs n’en pointent pas moins plusieurs limites critiques tenant fréquemment du paradoxe (l’omniprésence et l’invisibilité, la continuité historique et la fragmentation contemporaine, la facilité et la densité ou l’efficacité, l’intermédialité et la généricité…). 

Là où l’introduction, riche et tournoyante, semblant revenir par instants en arrière pour mieux bondir, d’époque en époque, de genre en genre, se révèle particulièrement intéressante, c’est qu’elle illustre la difficulté à définir le bref, à lui faire une place face au « long » dont assez logiquement on pourrait comparer l’étendue à une surface écrasante, à l’image des masses continentales sur un planisphère, réduisant les îles à des points, à des exceptions singulières. Il est en effet ardu d’extraire de cette perception une réelle préhension des formes brèves et de les unifier. Cette difficulté à délimiter le bref, indépendamment des comparaisons intermédiatiques (celles-ci, comme le montrant les auteurs, ne pouvant se ranger seulement dans le domaine des fictions narratives), rend de fait impossible d’envisager réellement une décision surplombante. Étrangement, à partir de questions a priori simples, l’ouvrage pourrait donc sembler peiner à fournir des réponses mais, et là réside son réel intérêt, c’est surtout qu’il met en lumière le fait (l’effet ?) que ces questions ne cessent finalement d’en engendrer d’autres, multiples, incessantes, touchant au cœur des formes, de l’évolution des véhicules artistiques et de la place et de la fonction qu’occupent esthétique et récit dans notre perception et expression du monde.

Ces apories, nécessaires et incontournables, à notre sens, en sciences humaines, ne peuvent que recevoir dès lors des réponses circonstanciées et mouvantes, en fonction des angles choisis dans les différents articles composant l’ouvrage. Sur ceux-ci, cinq sont proposés en anglais, les douze autres l’étant en français. Ils balaient ainsi un champ très large, aussi bien historiquement que médiatiquement ; certains proposant des analyses précises autour d’un auteur ou d’une forme tandis que d’autres s’essayent à des aperçus plus larges, voire même à des approches par la bande.

Il ressort donc de l’ensemble, pour le lecteur susceptible de passer du français à l’anglais au gré des textes, une impression venant renforcer celle laissée par l’introduction. Découpés en quatre ensembles (Formes brèves en Littérature : Définitions et concepts ; Formes brèves : Théories et pratiques ; Nouvelles formes brèves ; Fragment et inachevé), les articles, de manière prévisible et comme en écho à la présentation de Cécile Meynard et Emmanuel Vernadakis, se répondent parfois, se déplacent hors de leur partie, se complètent ou semblent s’ignorer, chacun allant dans une direction propre et une application personnelle. On retiendra ainsi plusieurs articles consacrés à de nouvelles pratiques artistiques (avec Karima Thomas pour les trailers et fan trailers, Florent Moncomble pour les titres de la presse et les headlines, Anne Baillot pour Twitter, Nadja Maillard-De la Corte Gomez et Violaine Bigot pour les « chroniques » publiées sur Facebook), des études analytiques et littéraires (Yvon Houssais brosse ainsi une « Brève histoire de la nouvelle française », que viennent prolonger les études modernes et contemporaines de Jacques Bouyer pour Mario Hakkas, François Hugonnier pour Jerome Rothenberg, Laura Torres-Zúñiga pour Helen Simpson, Gérald Préher pour Jack McInerney quand, à un autre bout du temps de l’histoire littéraire et en revenant en France, Sándor Kiss se penche sur les Lais de Marie de France), des textes appuyées sur l’explicitation d’une pratique (Anne Vincent-Goubeau et la peinture, Gabrielle Reiner et le cinéma expérimental, Élisabeth Vincent et la thérapie psychologique, Wendy Winn et la pédagogie par pictogrammes) ainsi que des approches plus philosophiques, appuyées sur la psychologie et la philologie, comme celles qui viennent ouvrir et fermer le recueil (Michael Basseler se penche ainsi sur l’économie des genres dans les formes narratives et les Knowledge structures alors que Françoise Daviet-Taylor réfléchit sur le dernier mot, « Schade », prononcé par l’artiste peintre Paula Modersohn-Becker).

D’un intérêt évidemment inégal en fonction des domaines de référence et de recherches, la lecture des textes, organisés d’une manière structurée en dépit de leur hétérogénéité parfois sensible, prend pourtant simplement sens dans leur réunion. Roland Barthes expliquait dans Le Plaisir du texte : « Si vous enfoncez un clou dans le bois, le bois résiste différemment selon l’endroit où vous l’attaquez : on dit que le bois n’est pas isotrope. Le texte non plus n’est pas isotrope : les bords, la faille, sont imprévisibles. » [Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973 : 60] Les formes brèves sont un ensemble trop pluriel dont l’intitulé simple mais trompeur cache mal une surface isotrope. La conséquente introduction de Cécile Meynard et Emmanuel Vernadakis se révèle alors une anticipation pertinente de cette surface de réunion délimitée par le recueil en proposant un maillage historique, artistique, critique, qui pointe aussi bien les fils directeurs d’une réflexion globale sur les formes brèves que les trous, les absences, que celle-ci génère. À la différence d’un ouvrage enclos sur lui-même, Formes brèves ouvre ainsi à des relectures, à des continuations, à une recherche.

 

 


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