Le Brexit Une histoire anglaise
Aurélien Antoine
Collection Les Sens
du Droit Paris : Dalloz 2020 Broché. 439 p. ISBN
978-2247201662. 20 €
Recension de Géraldine Gadbin-George Université Panthéon-Assas (Paris 2)
L’auteur est un
juriste, professeur de droit public à l’université de Lyon-St Etienne. Il est
aussi directeur de l’Observatoire du Brexit et spécialiste de droit
constitutionnel comparé franco-britannique. Son essai – ainsi que la 4e de
couverture le décrit – est loin d’être uniquement un ouvrage juridique. Il
s’inscrit aux confins du droit, des sciences politiques, de l’histoire, de
l’économie mais aussi (last but not least ?) de la civilisation
britannique. L’ouvrage est écrit
en français, sans aucun jargon juridique. Au vu de la riche bibliographie et
sitographie de l’ouvrage, majoritairement en anglais, le lecteur comprend vite
que l’auteur a une parfaite compréhension de la langue anglaise et de ses
nuances. En outre, dans un avertissement en début d’ouvrage, il explique qu’il
a fait le choix, sauf mention contraire, de traduire lui-même en français les
citations en anglais qu’il souhaitait faire. Le titre, Le
Brexit, peut laisser penser qu’il s’agit d’un n-ième ouvrage sur la sortie
de l’Union européenne par le Royaume-Uni. Il n’en est rien, comme l’atteste
d’ailleurs le sous-titre, [u]ne histoire anglaise. Il ne s’agit pas pour
lui de refaire « l’Histoire » mais d’aborder, parmi d’autres qui
l’ont émaillée, « une histoire » qui affecte et affectera, à terme,
le Royaume-Uni et l’Europe. La 4e de couverture
fait référence au double objectif de l’ouvrage : expliquer le Brexit au
travers de données historiques et politiques ainsi que ses « péripéties
juridiques ». Le mot « péripétie » n’est pas anodin – même si on
l’applique au droit – car l’ouvrage se lit avec avidité, comme on le ferait
pour un roman. Outre, bien sûr, son contenu, l’articulation de l’essai y est
pour beaucoup. Ouvert par un
prologue [13] et clos par un épilogue [413], l’essai n’est composé que de deux
chapitres respectivement intitulés « Comprendre les fondements historiques
du Brexit » et « Appréhender le processus chaotique du Brexit
(2016-2019) ». Ces deux chapitres sont composés, pour le premier, de cinq
sous-parties et vingt sections et, pour l’autre, de trois sous-parties et
trente et une sections. Le tour de force de
l’auteur réside dans sa capacité à peindre, de façon assez factuelle, certaines
époques et à évoquer divers évènements, en y intégrant subtilement des éléments
de droit et de science politique qui permettent de mieux comprendre la longue
genèse et les étapes successives de l’intérêt puis du désamour des britanniques
pour l’Union européenne. Le premier chapitre [29-174]
est consacré à une période de 1000 ans de l’Histoire (avec ce qui devrait être une
majuscule) – de la conquête normande de 1066 à Tony Blair – alors que le second
[175-412] s’intéresse aux trois années courant du référendum au European
Union (Withdrawal Agreement) Act 2020. Dans le premier
chapitre, l’auteur explique que le Brexit trouve sa source dans la relation
toujours complexe que l’Angleterre, puis le Royaume-Uni, entretiennent depuis
plus de dix siècles avec l’Europe, dans son acception géographique, politique mais
aussi économique. Partant des rois normands et de l’Empire angevin, l’auteur
explique que la guerre de Cent Ans a marqué « l’échec d’une emprise
anglaise durable sur le continent » [36]. Le XVe siècle, et les règnes des
Tudors, marque le retour de « l’éclat de la couronne d’Angleterre »
et la primauté des Britanniques comme « arbitres des tensions
continentales » [41]. Sous couvert d’instaurer une paix européenne, il est
surtout question pour la « perfide Albion » [62] de conserver un
avantage en matière économique. Du XVIIIe au début du XXe siècle, le
Royaume-Uni s’établit peu à peu comme la plus grande puissance occidentale
marquée par les « libéralisme, parlementarisme, impérialisme,
capitalisme » [67]. Pour l’auteur, l’adhésion
du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne trouve une partie
importante de ses sources, non pas seulement dans les lendemains de la seconde guerre
mondiale, mais dans la période courant de la fin du XIXe siècle à 1914 qui
marque une évolution de la relation du Royaume-Uni avec l’Europe continentale.
Les Britanniques gardent de leur « épopée coloniale » une
« haute estime d’eux-mêmes » [81] et tentent avec « pragmatisme
« et une forme de « constance dans l’inconstance diplomatique » [92]
de continuer à protéger leur intérêt commercial. La fin de la seconde guerre
mondiale amorce une période compliquée et de décroissance Outre-Manche. Elle est
marquée par la fin de l’Empire colonial. Churchill joue un rôle déterminant
quand il est dans l’opposition. Il fonde la théorie des « trois
cercles » géopolitiques qui doit permettre au pays d’être solidaire de ses
anciennes colonies, d’avoir un partenariat particulier avec les États-Unis et
de veiller, avec les États voisins, à faire obstacle au communisme des pays de
l’est [98]. Mais quand il revient au pouvoir en 1951, Churchill semble avoir
oublié son souhait d’une « unité de l’Europe » [111]. C’est petit à
petit qu’émerge une forme de « résignation à l’adhésion aux Communautés
européennes » [115] malgré la « réticence » [118] des Britanniques
à faire partie de l’Europe. L’auteur explique
qu’à partir de son adhésion, le Royaume-Uni va trouver les moyens d’obtenir
« un statut à part », en obtenant divers « régimes
différenciés » des autres États-membres [125]. En pleine crise économique,
l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir constitue une
« révolution » pendant laquelle elle met en place une politique de
« libéralisme autoritaire et nationaliste » en n’hésitant pas à
demander le remboursement de sommes versées au budget européen [135] au motif
que le pays contribue davantage qu’il ne reçoit. Le discours qu’elle donne au
Collège d’Europe de Bruges en 1988 marque la naissance d’un
« euroscepticisme de droite » [149]. Plus de dix pages [161-174]
sont consacrées à l’ancien Premier ministre Tony Blair, à sa politique (ses
ambitions de troisième voie), à ses ambiguïtés (« faux-nez de
l’europhilie, vrai héritier de Thatcher » [161]), à ses qualités (avoir
apaisé la situation en Irlande du nord en instaurant un système parlementaire
de dévolution) et à ses possibles défauts. À la lecture de ce
passionnant premier chapitre, le lecteur ne peut s’empêcher d’avoir le
sentiment que le destin du Royaume-Uni a toujours été d’être et de demeurer une
île, le membre isolé d’une famille européenne qui connaît depuis toujours des
hauts et des bas. Le second chapitre
est plus long que le premier mais aussi plus technique, tel qu’un intéressant
tableau [280-281] faisant état des principaux défis politiques, juridiques et
institutionnels que les négociateurs du Brexit ont dû surmonter à compter du
printemps 2017. Cette technicité est une qualité puisque le lecteur trouvera
dans ce chapitre une multitude d’informations politiques et juridiques couvrant
la période de 2016 (le référendum) au European Union (Withdrawal Agreement) Act
2020 promulgué dans la foulée de la victoire du conservateur Boris Johnson
aux élections générales de la mi-décembre 2019. Outre les contentieux
Miller que l’auteur évoque évidemment vers la fin de l’ouvrage [372], il
retrace, pas à pas, tous les évènements qui ont mené à la sortie de l’Union
européenne par le Royaume-Uni, avec une mise en contexte politique et juridique
qui est d’une grande utilité. Loin du jargon juridique, le vocabulaire utilisé
par l’auteur est d’une grande simplicité et encore une fois, le lecteur note la
maîtrise qu’a l’auteur des enjeux sociétaux au Royaume-Uni. La fin de l’ouvrage
est datée du 16 mars 2020, soit quelques jours avant la promulgation du Coronavirus
Act 2020, qui a reçu l’assentiment royal le 25 mars. Depuis cette date, la
pandémie liée à la Covid-19 est venue ajouter une crise sanitaire à celle du
Brexit. A-t-elle compliqué le Brexit ou, au contraire, l’a-t-elle facilité en
mettant le nouveau coronavirus au premier plan des médias ? L’avenir le
dira et on peut espérer que l’auteur reprendra alors la plume pour poursuivre son
« histoire anglaise ».
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