Entre Dieu et César Histoire politique des accommodements religieux aux États-Unis
Amandine Barb
Préface de Denis Lacorne Collection Droit et religions Aix-en-Provence : Presses Universitaires Aix-Marseille, 2019 Broché. 326 pages. ISBN 978-2731411195. 26 €
Recension de Philippe Ertzer Université Bordeaux Montaigne
Amandine Barb
introduit son ouvrage en évoquant les mesures adoptées en 2017, au niveau
fédéral mais aussi à l’initiative de certains États, et qui visaient à
réaffirmer, défendre, protéger le libre exercice et la libre expression
religieuse aux États-Unis. Elle a cependant placé en épigraphe quelques mots de
George Washington qui, en 1787, formulait le nécessaire compromis social :
certains droits, certaines libertés doivent être abandonnés par l’individu pour
le bon fonctionnement de l’ensemble. Le thème de la concession
indiqué alors par le Président de la Convention constitutionnelle de Philadelphie,
et la difficulté d’en tracer « la frontière », résonne ainsi avec le
sous-titre du livre d’Amandine Barb, intitulé Entre Dieu
et César : Histoire politique des accommodements religieux aux États-Unis. Ce terme d’accommodement, qui traduit accommodation,
l’auteure [20] le présente ici comme « ambivalent » dès lors qu’il
évoque à la fois un « assouplissement de la séparation entre l’Église et
l’État » mais aussi une rupture de la neutralité de l’État, lequel n’a
pourtant pas à favoriser une religion, ni la religion en général. La
problématique retenue par Amandine Barb s’en tient au premier de ces aspects,
et étudie les situations « d’ajustement », de
« dérogation » ou « d’exemption » à une règlementation par ailleurs
commune à tous les citoyens, cela au nom de la liberté d’exercice de la
religion, également garantie pour chacun. Le conflit qui en résulterait
constituerait une « discrimination indirecte », et justifierait donc
que l’on puisse envisager ces « accommodements raisonnables ». L’objectif annoncé de
ce travail consiste à rapporter ces faits à l’histoire de la
« laïcité » américaine, comme une mesure de terrain qui permettrait
de documenter les modèles successifs de gestion du fait religieux. Plus
exactement Amandine Barb parle du « modèle américain de la laïcité »
et de ses transformations, « l’accommodement » participant alors à
l’évolution de ce modèle bien plus qu’à n’en former qu’une exception.
L’ensemble du livre suit ainsi une trame chronologique des décisions de
justice, mises en regard à chaque fois avec le contexte social et politique du
temps. La question des accommodements est un fait polémique d’actualité, qui
n’intéresse pas que les minorités mais également les groupes chrétiens
traditionnels qui souhaitent se prémunir de certaines évolutions libérales, et
auxquels s’oppose encore la croissance d’une Amérique non-croyante. C’est donc
une société en mutation constante, et tiraillée par des forces opposées, qui a
façonné dans le long terme le modèle américain, et l’ouvrage révèle à vrai
dire, au travers de ces accommodements, des représentations multiples du
« vivre-ensemble ». La construction
retenue par l’auteure, en sept chapitres, commence par explorer les fondements
historiques aux xviie
et xviiie
siècles des premiers accommodements, adaptés alors aux spécificités de
certaines minorités. De ce détour aux origines Amandine Barb relève deux
éléments principaux du droit colonial et des premières constitutions des États.
D’abord que la liberté religieuse ne devait pas fournir un prétexte à troubler
l’ordre public ni le droit des autres citoyens. Deuxièmement que les
territoires américains purent formuler des accommodements
au regard « d’obligations civiques […] théologiquement neutres » ;
cette précision est importante : « l’accommodement » n’est pas une
exemption à une doctrine religieuse imposée par une Église d’État, ce qui
serait alors une tolérance religieuse. Le
principal cas qui remonte aux origines américaines concerne les quakers, qu’on
ne pouvait armer ou faire prêter serment, des caractéristiques qui justifièrent
des aménagements au droit dès le temps colonial. Ce sont eux principalement
(avec d’autres objecteurs à la violence) et les juifs qui bénéficièrent de ces
accommodements, adoptés localement comme des indulgences par égard à des
situations spécifiques. Partant de là, Amandine Barb observe que la liberté
religieuse n’appela alors pas, constitutionnellement, à formuler un principe
fédéral d’exemption accordé de droit. Elle interroge de fait la position qui
consiste à y voir une intention des Pères fondateurs [61]. Le deuxième chapitre
rattrape le temps jusqu’aux années 1940 et s’intéresse aux décisions
judiciaires qui ont établi la jurisprudence, dans un contexte de domination du Protestant Establishment où l’accommodement
apparaissait comme une mesure renforçant la séparation entre l’Église et l’État
– Amandine Barb met le mot Église au singulier,
ce qui souligne d’une certaine manière ce qu’elle appelle « les tendances
hégémoniques de la majorité protestante » [28], ou le « magistère
moral du protestantisme » [63, 70, 82] qui est alors remis en question par
des minorités nouvelles qui se placent en rupture avec certaines normes, et qui
en viennent à solliciter la justice. Par
les jugements des tribunaux il devient alors possible de cerner la notion
d’ordre public, et la mesure dans laquelle elle limitait la manifestation des
opinions religieuses. Le xixe siècle offre ainsi peu
d’exemptions à la loi commune d’une société majoritairement chrétienne, où
l’ordre public passait par le respect des mœurs et
de la morale religieuse, repère identitaire dans une histoire marquée par
l’immigration. L’auteure analyse dans ce contexte la jurisprudence Reynolds (1878), inaugurale concernant les rapports
entre Églises et État – la Cour suprême valida la loi fédérale contre la
polygamie (pratiquée alors par les « mormons »), considérant que le
Congrès n’avait pas enfreint le Premier amendement. De ce point de départ le
récit montre que Reynolds constitua une ligne
de conduite tenue jusque dans les années 1960, basée sur une distinction entre
la liberté d’opinion et celle de pratique religieuse. Relevant également des
mesures qui visaient à enrayer le développement du catholicisme, l’auteure
souligne une « ambivalence » dans un emploi du Premier amendement qui
visait à préserver le « statu quo
religieux » [77], autrement dit à protéger l’hégémonie des formes
dominantes du protestantisme. Elle s’intéresse
alors aux stratégies mises en œuvre par les minorités religieuses, et à cette
époque le fil conducteur à suivre concernait les Blue Laws,
ces lois qui pour favoriser la pratique historique du culte chrétien le
dimanche forçaient au repos dominical dans plusieurs
États. Ces lois mobilisèrent essentiellement les juifs et les adventistes du
septième jour, puisque ces groupes consacrent le samedi au repos et à la
prière, et étaient ainsi contraints d’interrompre leurs activités les deux
jours. Il est à noter que les adventistes forment un groupe chrétien (et les
saints des derniers jours – les mormons – aussi) et que finalement la question
porte surtout sur une morale partagée par les Églises protestantes
traditionnelles. Contre ce Protestant Establishment
se sont aussi toujours dressés les différents courants de la libre pensée, et
des organisations comme l’ACLU (American Civil Liberties
Union, 1920) ont défendu le concept des accommodements devant les
tribunaux au nom d’un principe d’équité, participant à « une
reconceptualisation critique du principe de séparation » [93]. Amandine
Barb identifie avec la mise en oeuvre de ces forces une bascule progressive
vers une approche « plus libérale et égalitaire » du Premier
amendement qui s’accompagna d’une meilleure considération de la pluralité
américaine. Le plan historique se
poursuit ensuite par un chapitre (iii) consacré aux années 1960-1980 favorables aux
minorités dans une Amérique religieuse qui se transforme, et le suivant (iv) explore les
défis de 1990-2000, où la différence entre les politiques américaine et
française apparaît vivement. La bascule qui s’est
produite dans les années 1940 suit l’application du principe d’incorporation
aux clauses religieuses du Premier amendement. En effet, avec les arrêts Cantwell 1940 et Everson
1947, la Cour a « incorporé » ces clauses, c’est-à-dire les a
considérées applicables aux États alors qu’elles ne concernaient initialement
que le Congrès fédéral. Il s’ensuivit un mouvement de laïcisation, et la Cour
posa aussi un regard nouveau sur certaines demandes d’exemption, cela dans un
contexte d’opinion sensibilisé par la dénonciation de l’intolérance nazie [99]
puis de l’athéisme soviétique [102]. Avec l’arrêt Sherbert
(1963) c’est un droit constitutionnel à une exemption religieuse qui fut
reconnu, et l’on pouvait dès lors opposer à l’État qu’une loi n’était pas
« le moyen le moins contraignant » qu’il a de protéger « intérêt
impérieux ». Ce que l’auteure veut mettre en lumière c’est que la compréhension
que l’on adopta de l’idée de « séparation » s’inversa, au lieu de
clamer un droit insensible aux particularités religieuses, celui-ci devait
garantir le libre exercice autant que possible, ce qu’elle formule par
« un élargissement de la protection de la liberté religieuse » ou
encore un « approfondissement de la séparation entre l’Église et l’État »
[103]. Ce qui est important
aussi dans ce chapitre c’est la redéfinition de la « croyance » dans
les années 1960, qui évolua d’une nature « théistique » vers une définition
« fonctionnelle ». L’accent est mis sur le caractère sincère de
celle-ci et l’importance centrale qu’elle occupe pour l’individu ; de fait cela
ouvrit la voie aux exemptions basées sur des cas de conscience moraux ou
éthiques non affiliés à un dogme religieux. Tout l’intérêt de ce (de tout)
travail historique apparaît notamment dans ces pages, qui contextualisent
l’émergence des notions juridiques qui fondent les grands débats d’aujourd’hui
comme l’auteure le précisera à la fin de son ouvrage. Si l’athéisme fut
ainsi considéré équivalent à une conviction religieuse par une cour d’appel
fédérale en 2005, les tribunaux distinguèrent tout de même les abus du recours
au Premier amendement, et l’auteure consacre un sous-chapitre aux ambivalences
de la Cour suprême qui finalement n’aura accordé des accommodements que
seulement dans un tiers des arrêts entre 1963 et 1990. La question accompagna
une plus grande politisation du religieux, et le Congrès a parfois légiféré en
contradiction avec les tribunaux pour élargir la liberté de religion, et
Amandine Barb montre bien cette « discordance » entre les
institutions [132]. D’une façon générale,
dans cette lecture, on est sans cesse ballotté entre progressisme et
conservatisme, et le chapitre iv
s’ouvre sur la jurisprudence Smith (1990) qui
remit en question l’idée d’un droit constitutionnel aux accommodements,
l’argumentaire reprenant les concepts de 1878 et bouleversant la logique de
1963. Le Premier amendement ne protégerait dès lors plus que des discriminations
intentionnelles. Une décision qui motiva une « opposition quasi
unanime » et une « alliance improbable » [142] entre laïques,
évangélistes et minoritaires contre l’interprétation suivie du juge Scalia, et
qui poussa le Congrès à prendre en charge la question des exemptions, avec
l’idée de « restaurer » la liberté religieuse. C’est là le contexte
dans lequel fut adopté le Religious Freedom Restoration
Act (RFRA, 1993). L’auteure détaille les débats qui occupèrent la
décennie en identifiant une problématique majeure à laquelle elle donnera une
grande place dans la suite du récit, à savoir le heurt entre droits de la
conscience religieuse et droits civils, et qui font courir le risque d’un
« coût social » des accommodements religieux. Plus largement, elle
voit dans les années 1990 la liberté religieuse émerger « en tant qu’objet
de politique publique » [154], devenant en 1998 un enjeu de la politique
étrangère américaine. Amandine Barb propose à ce stade de considérer le regard
critique que l’Amérique porte alors sur la France, qui connut dans cette
période les débats initiés par l’affaire de Creil (sur le port du voile à
l’école, 1989) et la laïcité française est présentée comme un
« contre-modèle à la séparation américaine libérale pluraliste » –
Barb [156, 22] emprunte ici le concept de « laïcité
libérale-pluraliste » à Maclure et Taylor. La France fut ainsi épinglée en
2003 et 2004 dans les rapports de l’office américain dédié à la surveillance
mondiale de la liberté religieuse, principalement pour son hostilité envers les
« sectes » et « sa loi sur le voile ». Mais malgré le
discours idéalisé qui a pu être tenu en Amérique, les années 2000 et 2010 ne se
sont pas caractérisées par une généralisation des exemptions, les demandes
étant souvent rejetées. Amandine Barb doit observer qu’il n’y a pas eu de
grande avancée, si ce n’est symboliquement, concernant la protection du libre
exercice de la religion « ces trois dernières décennies aux
États-Unis » [171], même si Smith a
engendré une réaction de défense contre les « empiètements de l’État
laïque » [179]. Les derniers
chapitres (v,
vi, vii) forment
une partie qui interroge « l’enjeu identitaire et politique » porté
par les accommodements. Ceux-ci servent notamment la « Droite
religieuse » dans l’opposition politique qu’elle formule à partir de sa
vision des « valeurs chrétiennes », qui ne s’accommodent pas de la
contraception par exemple. Dans ce cas l’accommodement apparaît comme un
« outil d’opposition et de résistance à l’État laïque » [29] et
l’auteure montre comment cette conception de la liberté religieuse se fait au
détriment d’autres citoyens, et constitue un point de conflit très actuel. Les temps ont changé,
les chrétiens conservateurs se présentent comme « marginalisés et discriminés »
alors qu’ils représenteraient les valeurs morales initiales de l’Amérique. Ils
dénoncent les nombreux arrêts laïques d’une Cour suprême trop libérale, et le
débat des juristes porte sur l’interprétation du Premier amendement, faut-il y
voir un principe de non-préférence ou de neutralité ? Accompagnant les
nominations à la Cour effectuées par les derniers présidents républicains, les
années 1990 voient la jurisprudence Everson
(1947) remise en question, le financement public des institutions religieuses
est permis, voire dû, tant qu’est maintenue une « égalité de traitement
entre religion et non-religion » [190]. Mais la laïcité constitutionnelle
n’a pas cédé aux revendications des chrétiens conservateurs, qui évoquent une
« tyrannie du sécularisme » et sollicitent à leur compte le procédé
des accommodements. C’est dans ce
contexte que l’on comprend le titre du livre d’Amandine Barb (Entre Dieu et César), qui répond à l’extrait suivant
de la pétition formulée en 2009 par une coalition chrétienne : « En aucune
circonstance nous ne rendrons à César ce qui est à Dieu » [193]. Ce
courant est porteur d’une conception « maximaliste » de la liberté de
religion, en ce sens qu’il n’a d’autre horizon que l’abdication de la société à
vouloir laïciser l’environnement immédiat de ces chrétiens, qui défendent leur
conception de la morale au risque d’une attitude discriminatoire envers autrui.
Ce titre, Entre Dieu et César, montre alors où
se positionne l’accommodement religieux, comme un compromis entre les besoins
de l’État et ceux de la religion. La conception « maximaliste »
refuse ce compromis. L’auteure décrit
ainsi quelques affaires qui mettent en scène une certaine lecture du
christianisme qui servit à justifier le racisme ou le sexisme, et où des accommodements
furent clairement – et vainement – demandés comme des exemptions au respect des
lois antidiscriminatoires. Le cas des personnes LGBT est au cœur des débats
actuels et les demandes d’accommodements religieux aboutissent parfois ;
plus largement la question côtoie celle de l’autonomie des institutions à
caractère religieux. Un autre phénomène très débattu concerne la mise à
l’épreuve de la conscience religieuse des médecins et pharmaciens dans les cas
de contraception ou d’avortement, et les législations varient d’un État à
l’autre. La réforme Obamacare, qui force les
employeurs à rembourser de tels actes, a suscité une demande importante
d’exemptions et une « mobilisation nationale pour la sauvegarde de la
liberté religieuse », puisque les « droits humains
fondamentaux » sont ainsi mis en « péril » de l’avis de certains
leaders catholiques [221]. Amandine Barb
souligne la reprise de ces positions par les mouvements qui dénoncent une
ingérence gouvernementale excessive (anti big government,
notamment le Tea Party movement), ce qui
amplifie la portée de cette opposition, et l’auteure évoque une similarité avec
la rhétorique anti-fédéraliste du xviiie siècle qui voulait se garantir de la puissance
fédérale, notamment en matière religieuse. Ainsi la défense de l’accommodement
au nom de la liberté de conscience s’est renforcée d’un argumentaire qui
s’appuie sur un droit constitutionnel de liberté individuelle et d’autonomie
des citoyens. Il est intéressant également de constater la mobilisation de grandes
entreprises américaines ou de fédérations sportives qui ont pu s’opposer à
l’exploitation législative locale de jurisprudences conservatrices (comme Hobby Lobby, 2014) [232], ce qui montre bien la
polarisation politique du sujet. L’enjeu ici concerne l’affirmation explicite
de la prédominance des droits civiques sur le droit à l’exemption religieuse ;
ainsi si un accommodement venait à nuire à quelqu’un au nom de la religion d’un
autre, explique l’auteure, alors la loi aurait pris un parti religieux, à l’encontre
de la clause d’établissement du Premier amendement. Un argument qui mena au
projet du Do Not Harm Act, qui
contrebalancerait le RFRA de 1993 (supra), à un
moment où la société et l’État se mobilisent globalement en faveur des droits
pour les personnes LGBT [229, 236]. Alors Amandine Barb
nuance les victoires des chrétiens conservateurs par une opinion publique qui
leur est défavorable. Elle précise encore que les religions traditionnellement
dominantes « connaissent une désaffection continue depuis plusieurs années » [238].
Dans les mutations du paysage religieux actuel, qui s’accompagnent d’une
sécularisation et d’une libéralisation croissante, ces groupes chrétiens
conservateurs comptent de ce fait sur les accommodements pour faire valoir un
peu plus longtemps le poids historique de leurs valeurs et représentations des
États-Unis, et l’on comprend que cet effort se fait non sans contradiction et
non sans illusion. Cette partie traitera
encore de l’accroissement des exceptions réclamées pour les élèves des écoles
publiques, qui plus que de ne concerner que des aménagements liés aux
différents rituels en viennent à porter sur le contenu pédagogique proposé par
ces établissements. L’État fédéral encourage les comités d’éducation publique
(qui sont décentralisés aux États-Unis) à accommoder les pratiques religieuses
des élèves, expliquant que les écoles ne sont pas des « zones sans
religion » [242]. Ainsi le port du kirpan (poignard) pour les étudiants
sikhs put-il par endroits être permis, sous certaines conditions garantissant
des impératifs de sécurité. La même liberté vestimentaire, et le port de signes
religieux, sont permis aux enseignants également tant que le contexte ne met
pas en doute la neutralité religieuse de l’école publique. Au New Jersey, pour
2017, ce sont ainsi 144 fêtes religieuses qui ont été répertoriées et pour
lesquelles les établissements doivent s’adapter. Amandine Barb souligne le fait
que les accommodements obtenus au sein des écoles participent aussi d’une
reconnaissance identitaire, et la question s’étend aux dates traditionnelles
des fermetures scolaires pour les fêtes chrétiennes et juives. Le risque est
celui de « l’impasse communautaire », l’auteure reprend de Diane Ravitch
l’expression de « multiculturalisme particulariste » [249] et l’on peut se
demander alors si la défense de l’égalité sert ici le
« vivre-ensemble ». Mais les tribunaux ne permettent généralement pas
que l’on revienne sur des enseignements qui servent la connaissance du monde et
de la société, même si les cours d’éducation sexuelle connaissent souvent des
possibilités d’exemption. Les chrétiens conservateurs s’emparent ici aussi de
la rhétorique de leur liberté religieuse pour vouloir introduire un droit
parental à affirmer des clauses de conscience. Finalement, remarque
Amandine Barb, ces questions conduisent, dans une Amérique qui développe aussi
son irréligion, à se demander si la religion peut être la seule justification
d’arrangements avec la loi, ou si des convictions « séculières » ne
porteraient pas la même légitimité. Pour ce qui concerne les athées, leurs cas
de conscience ne peuvent justifier un accommodement au nom du Premier
amendement que si leur non-croyance en Dieu est retenue comme une religion, ce
qui attise les critiques qui dénoncent un système où domine l’exception
religieuse. Amandine Barb explicite alors la problématique qui occupe les
juristes, si en effet certains dénoncent l’injustice à laquelle conduit ce
statut spécial accordé à la religion, il faut remarquer « l’asymétrie »
des dispositions constitutionnelles qui, si elles assurent le même traitement
aux opinions, favorisent en revanche les actions de nature religieuse
(l’exercice) [264]. L’exemption participe ainsi d’un « droit affirmatif à
pratiquer sa foi » ([265], Barb cite Stern) et c’est bien le point qui
distingue les groupes non croyants, qui s’opposent à ce qu’ils considèrent
comme des privilèges, des associations laïques qui reconnaissent l’exemption
comme un outil de la séparation (et représente donc une « avancée
laïque » [284]). Toujours est-il que
l’évolution de la société invite à se questionner sur le statut des athées et
sur des accommodements aux « convictions de conscience séculières ».
L’auteure identifie au centre des débats une distinction (chez Greenawalt) qui
apparaît finalement entre liberté de religion et liberté de conscience, et
signale que la seconde a historiquement contenu les deux concepts en Amérique.
Cette liberté de conscience s’étend aux croyances fondamentales structurantes
de l’identité avec Maclure et Taylor, et Amandine Barb en extrait la nécessité
de pouvoir juger de la sincérité des consciences et de la crédibilité des
appels à l’exemption. Elle se demande ainsi si l’on est sur le point de
dépasser le paradigme de la religion, ou encore celui de la conscience en
envisageant plus largement « l’intégrité éthique » (Laborde) comme
critère d’accommodement, intégrant des usages culturels. Chez ces auteurs elle
relève l’idée d’une perception, celle que l’individu a de la conception du bien,
ce qui est au fond le jugement de sa conscience. Elle pointe du doigt alors
l’usage que les chrétiens conservateurs pourraient faire d’une plus grande
reconnaissance de leurs valeurs morales, sachant que le droit dans plusieurs
États s’adapte déjà aux convictions morales et éthiques pour certaines
situations. Dans certains cas (vaccination en Californie par exemple) le droit
est revenu sur des accommodements antérieurement accordés, montrant la
nécessité d’en anticiper l’impact, le « coût pour la société ».
Cependant la prise en compte de revendications non religieuses semble cependant
« inévitable » [275], comme celles des non protestants l’ont été il y
a un siècle. Amandine Barb conclut
sur les perspectives offertes par le mandat de Donald Trump et son alliance
politique avec les tenants d’une liberté religieuse « maximaliste ».
Elle interroge la constitutionnalité de certaines mesures prises par son
administration et qui servent la morale chrétienne sans encadrer les répercussions
sur d’autres catégories de citoyens. Enfin, elle évoque cette inquiétude
principale des défenseurs de la laïcité [283] : « l’impact qu’aura la
présidence Trump sur la composition de la Cour suprême ». Il va sans dire que
cette publication de la collection « Droit et religions », qui
accompagne la fin du (premier ?) mandat du Président Trump, apporte l’éclairage
historique indispensable pour comprendre les enjeux politiques en cours et à
venir liés à la gestion de la pluralité religieuse. C’est une question majeure
puisque le respect de croyances multiples est réclamé dans la conduite des
politiques publiques et affecte ainsi de nombreux défis nationaux aux
États-Unis. Plus largement, ce livre observe le débat qui s’y tient concernant
le modèle américain du « vivre ensemble » et ses différentes
représentations, et le travail d’Amandine Barb est précieux en ce qu’il
parvient à en démêler la complexité.
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