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Prendre le Large

Le UKIP et le choix du Brexit

 

Karine Tournier-Sol

 

Collection Chroniques

Paris : Éditions Vendémiaire, 2017

Broché, 154 p. ISBN 978-2363582850. 18€

 

Recension de Clémence Jallot

Université Paris-Sorbonne

 

 

Karine Tournier-Sol est maîtresse de conférences en civilisation britannique à l’université de Toulon et consacre ses recherches à la vie politique britannique et notamment aux relations entre le Royaume-Uni et l’Europe.

Prendre le Large : Le UKIP et le choix du Brexit s’inscrit dans le contexte de l’étude de la montée des populismes, notable depuis 2010, non seulement à l’échelle européenne, mais également nationale. Ces formations sont longtemps restées en arrière-plan au Royaume-Uni, jusqu’à l’avènement du UKIP, premier parti aux élections européennes de 2014, brisant ainsi la logique bipartite de rigueur depuis 1945, le pouvoir alternant entre domination travailliste et domination conservatrice. L’auteure a ainsi pour ambition d’expliquer le phénomène UKIP et de comprendre ce qui fait la particularité de ce mouvement outre-Manche, parvenu à réaliser la promesse de son appellation : obtenir l’indépendance des Britanniques du joug européen.

Dans la lignée de l’analyse de Ford et Goodwin, Karine Tournier-Sol présente le UKIP comme un parti insurrectionnel, anti-establishment, seule alternative possible aux actuels dirigeants politiques aux yeux d’un électorat issu majoritairement de la classe ouvrière. Elle reprend également le travail de Evans et Mellon qui ont élargi l’identité politique des électeurs à d’autres bords, anciens sympathisants travaillistes comme conservateurs, mais aussi à tous les milieux sociaux grâce à des chevaux de bataille fédérateurs : l’immigration, la sortie de l’Union Européenne et le mécontentement à l’encontre des partis traditionnels.

Karine Tournier-Sol revient sur la fondation du UKIP, sur l’impulsion d’Alan Sked, lui-même issu du Bruges Group, think tank inspiré quant à lui par les paroles eurosceptiques de Margaret Thatcher lors de la ratification du très conversé traité de Maastricht. Le UKIP défend ainsi le retour d’une souveraineté perdue et d’une particularité insulaire qui ne ressemblent en rien aux Européens, aux antipodes d’une communauté anglophone héritée du Commonwealth. La pensée du parti s’inscrit dans une frange radicale du mouvement eurosceptique, celle qui prône le rejet pur et simple du projet européen, mais s’échine à affirmer ne pas être anti-européen et s’efforce de dissocier son image du racisme. Toutefois, Karine Tournier-Sol ne distingue pas fascisme et racisme et ne s’évertue pas à définir le mouvement dans le spectre politique et à établir une identité idéologique. La classification générique de « populisme » est là un écueil, tant le terme a été galvaudé. Il ne peut pas être légitimement appliqué au UKIP étant donné l’absence d’une définition précise du terme. Quant au parallèle avec le Front national, il est dressé mais la complexité des relations entre le UKIP et ses homologues européens n’est qu’à peine effleurée alors qu’elle souligne l’ambivalence entre la volonté de ne pas paraître raciste et les actes, propos et dérapages qui caractérisent bien le parti comme tel.

L’existence du UKIP, d’abord limitée aux scrutins européens, a dû outrepasser le paradoxe de ne trouver une légitimité qu’au travers d’une élection qu’il renie par essence. La rigidité d’un single issue party opposé à occuper sa place au Parlement européen s’est rapidement assouplie, même si cette question s’est de nouveau posée une fois le but ultime du parti atteint en 2016 : la sortie de l’Union Européenne. Quel intérêt aurait-il alors à prolonger son existence ? L’établissement de programmes politiques proches de la frange extrême du Parti conservateur, dès l’élection de Roger Knapman à la tête du parti en 2002, a permis au UKIP de diversifier son propos et ses objectifs en brouillant la frontière d’idées entre les deux partis. Mais cette porosité a joué également en faveur des conservateurs, jusqu’à ce que David Cameron leur emprunte même l’idée de donner aux Britanniques le choix de se maintenir au sein de l’Union européenne ou de la quitter.

Le quatrième chapitre entreprend de trouver l’origine du caractère unique du phénomène UKIP au Royaume-Uni, tout d’abord en déconstruisant le mythe selon lequel la culture britannique rendrait le pays imperméable au racisme et maintiendrait la confiance du peuple à l’égard des élites et de l’Etat. Parmi les facteurs, l’argument du FPTP (first-past-the-post system) est rapidement balayé mais pas expliqué – bien qu’il ne soit pas déterminant dans l’accession au pouvoir, un système proportionnel offre plus de possibilités aux petits partis d’accéder aux coalitions gouvernementales et d’ainsi trouver leur légitimité et leur crédibilité dans la représentation parlementaire. Puis l’auteure entreprend un historique de l’extrême droite britannique depuis la British Union of Fascists (BUF) fondée en 1932 par Oswald Mosley jusqu’aux échecs des National Front et British National Party. Un délitement de l’extrême droite aurait précédé la montée du parti de Nigel Farage. Théorie intéressante : la porosité avec les idées des conservateurs se cristalliserait autour du personnage de Margaret Thatcher et de son « populisme à l’anglaise » si puissant et accaparant que la droite radicale s’est trouvée dans l’incapacité d’exister.

Cet ouvrage bref a pour ambition d’exposer au plus grand nombre le phénomène UKIP. Il recense tous les facteurs qui font la particularité de ce parti et la place qu’il occupe dans l’extrême droite britannique. Il n’a pas la prétention de redéfinir la nature du UKIP mais recense ce qui a déjà été observé dans un langage abordable. La longue liste d’événements qui ont suivi le vote jusqu’à la sortie effective le 31 janvier 2020 et qui se poursuivra encore dans la période de transition fait que l’ouvrage ne peut pas avoir suffisamment de recul pour poser un regard scientifique sur l’histoire immédiate des relations compliquées entre le Royaume-Uni et l’Europe. Prendre le large : Le UKIP et le choix du Brexit présente toutefois avec clarté le rôle d’un parti dans ce moment pivot de l’histoire européenne.

 

 

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