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L’Âme paraphrasée

George Herbert

 

Poèmes traduits de l’anglais, introduits et annotés par Camille Fort

 

Collection Paroles d’ailleurs

Grenoble : UGA Editions, 2019

Broché. 185 p. ISBN 978-2377470532. 12 €

 

Recension d’Amélie Derome

Aix-Marseille Université

 

 

 

 

Érudit de Cambridge et homme d’Église, George Herbert maîtrisait également la viole et le vers. Polyglotte, il avait épaulé Francis Bacon dans son travail de traducteur. Il n’a cependant pas œuvré à la traduction de ses propres textes, demeurés inédits en français. Afin de l’introduire outre-Manche, Camille Fort, professeure de littérature anglaise et de traduction à l’Université de Picardie Jules Verne, a livré en 2019 une traduction d’une sélection de poèmes du recueil Temple : L’Âme paraphrasée.

Le choix du titre – citation du poème « Prière » – semble indiquer que nous quittons peut-être là la solidité de la pierre dont sont faits les temples pour regagner la labilité de la langue. La traductrice, dans son introduction à l’ouvrage, souligne en effet avoir souhaité mettre en avant la fougue et l’espièglerie d’un auteur qui déploie habilement de nombreuses audaces formelles. Chaque traduction est accompagnée non seulement de son original, mais également d’une courte présentation critique qui souligne les enjeux stylistiques et les hypotextes possibles du poème. Ces notices lèvent utilement les difficultés du texte tout en préservant judicieusement la fluidité de la lecture. Une bibliographie complète enfin cet appareil critique.

La lecture du livre est enlevée, s’émaillant de poèmes aux formes infiniment variées, que la traductrice compare aux vitraux des églises dont la fonction est d’attirer l’œil vers la lumière. La poésie spirituelle de George Herbert, qui vise à mettre à jour la sacralité du monde à travers le verbe, appelle à la mise en abyme avec la tâche du traducteur, qui « calque à la vitre », selon Chateaubriand ou cherche à se faire « verres colorés » selon le mot du linguiste Georges Mounin. Or, la version française de Camille Fort parvient avec justesse à faire sentir la lumière de l’original.

Si l’ensemble de la traduction n’est pas versifié, des équivalences ont été établies et les pentamètres sont rendus par des alexandrins, tandis que les tétramètres deviennent des décasyllabes ou des octosyllabes français. Le travail sur les rimes mérite d’être également loué et si leur totalité n’est pas reprise en traduction – tâche dont la difficulté est immense – de nombreuses occurrences subsistent en français et la traductrice conclut souvent les poèmes par un distique rimé, ce qui suscite un élégant effet de clôture. La langue de George Herbert, où se mêlent emprunts à la Bible et tournures plus familières, est également transposée avec finesse. L’équilibre entre le recours à une syntaxe moderne et à un lexique plus ancien rend justice au pasteur anglican. Ainsi, la traduction de « Affliction », qui dépeint la traversée mouvementée d’une nuit spirituelle, combine avec succès vers à consonnance contemporaine « À moi les étoiles : Et le ciel, et la terre / Acquittaient mes gages : un jouir sans frontière » et échos du XVIIe siècle : « Lors, convaincu d’espoir, j’ai bouté hors de moi / La crainte et la mélancolie » [44-45].

Certaines traductions semblent par ailleurs résulter d’un véritable tour de force, à l’image de « Du Ciel », que la traductrice rend en alexandrins tout en reprenant à son compte la contrainte technique selon laquelle le second terme de la rime consiste en un nouveau mot faisant écho au premier : « Ô, qui me montrera là-haut le pur émoi ? / Echo. Moi. / Echo, tu es mortelle : tel est ton renom. / Echo. Non » [173]. La version française de « Paradise », qui met en scène la disparition progressive des syllabes des mots à la rime, relève d’une prouesse similaire : l’anglais « charm », « harm » et « arm », devenant « alarme », « larmes » et « armes » [128-129]. La typographie des deux calligrammes du recueil, « The Altar » [26-27] et « Easter-Wings » [40-41] est en outre restituée en français et l’acrostiche en diagonale « Colossians 3.3 » [106-107] demeure également intacte. Enfin, l’habileté de la traductrice se révèle à nouveau à la manière dont de nombreuses allitérations, exemptes de l’original, ponctuent la version française et compensent avec brio la perte occasionnelle de la rime. Songeons notamment au vers suivant « Rafale tout enflée du souffle de nos crimes » [70-71], ou bien encore à ceux-ci, extraits du poème « The H. Scriptures (II) » : « Etoiles, piètres livres, en défaut de dire… / Livre étoilé, fais le jour sur l’éternel joïr » [66-67].

En ce sens, la précision de l’appareil critique et l’élégance des traductions de Camille Fort semblent une introduction bienvenue à l’œuvre de George Herbert et, après avoir refermé le recueil, le lecteur en vient à la conclusion que cette paraphrase française des poèmes de l’orateur britannique ne manque certainement pas d’âme.

 

 

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