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 Oscar Rejlander

Artiste photographe

 

Sous la direction de Lori Pauli

avec des textes de Jordan Bear, Karen Hellman et Philip Prodger

 

Ottawa : Institut canadien de la photographie du Musée des beaux-arts du Canada

Distribué par 5 Continents Éditions, Milan, 2018

Cartonné, 336 pp. ISBN 978-8874398393. 49

 

Recensé par Laurent Bury

Université Lumière–Lyon 2

 

 

 

Il fallait bien que cela arrive un jour : après que l’histoire de la peinture a enfin consenti à réhabiliter les peintres officiels ou académiques du XIXe siècle longtemps vilipendés et condamnés aux oubliettes, l’histoire de la photographie semble prête à accomplir le même effort. Alors que la production photographique du milieu de l’époque victorienne s’est longtemps résumée aux créations – certes géniales – de quelques « grands amateurs », il devient possible d’accorder un peu d’attention aux professionnels, à ces figures pour qui la manipulation des plaques de verre et des produits tachant les mains n’était pas un simple passe-temps mais un gagne-pain. Lewis Carroll, Julia Margaret Cameron, Lady Clementina Hawarden : trois créateurs étonnants, certes, et plus proches d’une certaine sensibilité moderne, parfois par leurs défaillances techniques mêmes. Mais qui admiraient-ils tous trois ? Quel était leur modèle, par-delà leur admiration pour les maîtres de la peinture occidentale passée ou contemporaine ? La réponse est simple : Oscar Gustaf Rejlander (1813-1875), nom connu des amateurs éclairés mais hélas ignoré du grand public.

L’exposition coorganisée par le Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa, et le J. Paul Getty Museum, à Los Angeles, présentée dans ces deux institutions entre octobre 2018 et juin 2019, vient donc on ne peut plus opportunément remettre les pendules à l’heure et rendre à Rejlander la place éminente qui n’aurait jamais dû cesser d’être la sienne. 188 œuvres y étaient présentées, dont une dizaine de négatifs et une demi-douzaine d’œuvres graphiques. Le catalogue qui l’accompagne, monographie richement illustrée, constitue une somme rejlanderienne et permet de contempler, enfin réunies, des images issues des grandes collections britanniques, étasuniennes et canadiennes, bien sûr, mais pas seulement : on y trouve aussi les quatre clichés offerts au Musée de Grenoble par la famille du peintre Fantin-Latour, des exemplaires acquis par la Société française de photographie ou par le Musée d’Orsay, sans oublier quelques pièces appartenant au Moderna Museet de Stockholm. Car c’est en Suède que Rejlander était né et avait vécu jusqu’à l’âge de 26 ans, avant d’émigrer en 1839 vers l’Angleterre. Alors qu’il avait été jusque-là portraitiste, sa carrière de photographe démarra en 1854 et devait durer jusqu’à sa mort, vingt ans plus tard.

Carrière faite de hauts et de bas, la roche Tarpéienne étant toujours proche du Capitole, comme le montre la réception de son chef-d’œuvre au sens artisanal du terme, The Two Ways of Life, ambitieuse scène allégorique de 40 cm par 75, réalisée à partir d’une trentaine de négatifs, conçue pour la grande exposition des « Art Treasures of Great Britain » organisée à Manchester en 1857. Rejlander était en effet l’un des rois du « tirage combiné » (combination printing), technique qui fit fureur au milieu du XIXe siècle et qui eut notamment pour illustre défenseur et praticien Henry Peach Robinson (1830-1901). Saluée par les uns comme une création magistrale digne des formes d’art les plus élevées, mais jugée scandaleuse par les autres à cause de ses nombreux nus, cette image n’en fut pas moins acquise en trois exemplaires par la reine Victoria et le prince Albert, et exposée dans le salon de Balmoral. Ce demi-échec laissa néanmoins un goût amer à Rejlander, qui déclara renoncer à l’allégorie et à la scène de genre pour ne plus produire que des images « de ruines recouvertes de lierre et des paysages à n’en plus finir ». Heureusement, il n’en fit rien, et continua à réaliser des portraits d’une acuité incomparable (on songe à l’extraordinaire Mary Constable and her Brother) et des images où les visées artistiques d’une Julia Margaret Cameron étaient soutenues par un savoir-faire technique autrement plus sûr.

Quatre textes précèdent les reproductions. Commissaire de l’exposition, Lori Pauli fait le point sur les données biographiques dont on dispose aujourd’hui et retrace le parcours de l’émigré suédois auxquels ses dons permirent de fréquenter l’aristocratie et l’intelligentsia britanniques. Évoquant la « plasticité » des œuvres de Rejlander, Karen Hellman montre comment l’artiste parvint à surmonter les lourdes contraintes techniques d’un medium encore jeune pour atteindre un naturel étonnant dans ses portraits, et pour obtenir de véritables effets de profondeur de champ en combinant plusieurs négatifs pour une même image.

Jordan Bear étudie la dette de Carroll, Cameron et Hawarden envers Rejlander, en adoptant un angle d’approche bien particulier : la compatibilité des ambitions esthétiques et de l’exploitation commerciale. Les objectifs nobles – l’imitation de la peinture d’histoire, pour le dire très vite – n’empêchèrent jamais Rejlander de veiller à la diffusion de ses œuvres, grâce à la reproduction de masse, et c’est justement par le biais de reproductions que les illustres amateurs découvrirent les créations de ce professionnel qu’ils aspiraient à imiter et dont ils collectionnaient les clichés. Julia Margaret Cameron s’avère, comme souvent, un cas fascinant par sa manière de recadrer ou de rephotographier les photographies réalisées par Rejlander, qu’elle rencontra en 1863 lorsqu’il vint sur l’île de Wight réaliser un portrait de Tennyson.

Phillip Prodger se penche exclusivement sur la collaboration de Rejlander avec Charles Darwin. En 1871, le savant vint demander au photographe son aide afin d’illustrer son livre The Expressions of Emotions in Man and Animals pour lequel il n’arrivait pas à réunir assez d’images convaincantes. La photographie instantanée n’avait pas encore été mise au point, et il n’était pas facile de saisir des mouvements musculaires subtils et éphémères. Comme le montre leur correspondance, Rejlander s’investit dans l’opération, utilisant ses talents d’acteur et posant lui-même pour certaines expressions d’après les peintres italiens de la Renaissance, non sans retailler sa moustache pour rendre ses muscles labiaux plus visibles !

Un regret concernant la version française de ce volume : en dehors de certaines bizarreries de traduction (beggar maid dans le titre d’une célèbre photographie d’Alice Liddell par Lewis Carroll ne signifie en aucun cas « servante-mendiante » [78] mais simplement « jeune mendiante », allusion possible à la légende de King Cophetua and the beggar maid), il aurait été appréciable d’indiquer non seulement un titre français pour chaque œuvre, mais aussi son titre original, comme c’est de plus en plus le cas dans les expositions et les livres d’art.

 

 

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