Apparitions fantastiques Apparitions et disparitions dans la fiction brève (Littératures et arts de l’image)
Sous la direction de Lauric Guillaud et Gérald Préher
Collection « Interférences » Presses universitaires de Rennes, 2018 Broché. 342 p. ISBN 978-2753574298. 25 €
Recension d’Anne Garrait-Bourrier Université Clermont Auvergne
Le volume Apparitions fantastiques se compose de 342 pages. Il est conçu de manière équilibrée et cohérente en quatre parties de densité équivalente : « Le fantastique et l’événement » [39-118] ; « Désir et apparition » [119-184] ; « Le visible et l’invisible » [185-269] et « Le double du réel » [261-328]. Il propose une longue introduction riche et très analytique sur le fantastique et se conclut par une brève introduction. Il répond donc à la construction classique des recueils d’articles. Si l’on y regarde de plus près l’ouvrage est tout sauf classique et c’est ce qui fait son intérêt et son caractère indéniablement innovant. La littérature sur le genre fantastique est foisonnante (elle est ici sommairement résumée dans les notes de bas de page de l’introduction). Mais elle est également en général assez cloisonnée par champ disciplinaire : les lettres françaises, les lettres anglophones, les lettres germanophones. L’apport de ce volume est de proposer une mise en regard de tous ces champs entre eux en rapprochant des chercheurs qui viennent de tous les milieux dans lesquels justement le fantastique représente un intérêt majeur :
Ce volume se propose de développer [des] pistes sur un mode transversal en réunissant des analyses de la littérature ou des arts de l’imaginaire. Les formes brèves sont toutes convoquées : nouvelles, novella, tale, short story, conte. De même tous les genres ou sous-genres de l’imaginaire : fantastique, gothique, horreur, terreur, science-fiction. […] On trouvera aussi bien développés l’angle littéraire que l’angle iconographique. [11] Sont en effet regroupés des chercheurs américanistes, anglicistes, philosophes, spécialistes des arts, de la photographie, chercheurs en lettres modernes, en lettres germaniques, en études cinématographiques… Ce panel impressionnant de spécialistes venant d’horizons très différents aurait pu donner à l’ouvrage une forme d’hétérogénéité peu porteuse scientifiquement. C’est en fait l’exact contraire qui se produit. Les directeurs ont avec subtilité et efficacité construit l’agencement des divers travaux proposés en fonction d’une progression scientifique et thématique qui valorise la pluridisciplinarité des intervenants. En effet le volume évolue en quatre temps, de l’origine du fantastique « conceptuel » à ses manifestations les plus visuelles et aux apparitions les plus concrètes de l’invisible. Le volume envisage dans une première partie intitulée « Le Fantastique et l’événement » le phénomène de l’apparition dans le récit bref en se focalisant sur le moment précis de l’apparition que les auteurs nomment l’ « événement », « cet ineffable d’un autre monde » [329]. Le temps second de la réflexion – « Désir et apparition » – amène les lecteurs à s’interroger sur la source de cet événement en se concentrant sur le thème du désir, ce qui génère ou non l’apparition, et permet en tout cas d’en appréhender le mystère. Le troisième temps – « le visible et l’invisible » – met en valeur la dichotomie visible-invisible, c’est-à-dire apparition / disparition, en mettant au jour la dichotomie essentielle qui fait de l’apparition une concrétisation de l’invisibilité comme « l’espace étroit que l’artiste ménage, entre positivisme et transcendance » [330]; c'est-à-dire, encore plus explicitement en partie quatre, un « double du réel » – titre donné à cette ultime partie – et une voie d’accès à ce réel fantasmé « fondé sur le paradigme quantique de coexistence des possibles contradictoires », comme le dit fort justement Sylvie Allouche [326]. Dans ces deux dernières parties, le lecteur quitte alors par touches discrètes le seul champ du récit bref pour approcher des manifestations plus graphiques de l’apparition, qu’il s’agisse de la photographie ou du cinéma, à l’instar de l’œil de Redon présenté par Jean Arrouye dans son article « Les apparitions de l’œil chez Odilon Redon ou l’invention d’un fantastique darwinien » [217-234], œil qui fonctionne comme une caméra, ou la présence des fantômes dans le cinéma japonais présenté par Charles Quiblier dans « Apparitions de fantômes japonais de l’histoire courte au long métrage » [271-284] ou bien encore la fascination pour le genre nouveau de la photographie spirite chez Théophile Gautier : « En dépit de son étiquette fantastique, on comprend que Gautier ait été récupéré par la photographie spirite, surtout celle de Buguet, qui, séduit par cette pratique en vogue aux États-Unis depuis 1851, se lance vers 1865 » [189]. Il y a dans cette construction originale du volume un effort même de mise en scène de l’apparition qui est tout à fait stimulant et qui fait de cet ouvrage un apport nouveau dans les études sur le fantastique et sur le thème de l’apparition. Le sous-titre annonce cette intention et l’ouvrage y répond avec sincérité en articulant « les trois éléments clés de la poétique du fantastique, cet ‘art du visible’ (M . Viegnes) : le récit bref, le couple apparition / disparition, et l’image » [329]. Le seul reproche que l’on pourrait peut-être formuler à l’encontre de cette excellente analyse de l’apparition fantastique est sans doute l’absence d’une bibliographie générale, compilant en les agrégeant les bibliographies des contributeurs, elles-mêmes absentes. La recherche des données bibliographiques doit donc se faire en bas de page. Mais celles-ci sont vastes et riches, ce qui compense largement le fait qu’il faille aller les puiser au cœur des articles eux-mêmes. En résumé le volume Apparitions fantastiques est un ouvrage pluridisciplinaire de haut niveau, offrant des perspectives modernes et nouvelles sur un sujet pourtant souvent traité. Il permettra donc aux jeunes chercheurs travaillant sur le fantastique, mais aussi à des chercheurs plus aguerris, de décloisonner leurs approches et de mieux comprendre les évolutions d’un « genre » qui va bien au-delà des genres et qui se comporte lui-même dans ce volume comme une lumineuse apparition.
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