Sherlock Holmes, un nouveau limier pour le XXIe siècle Du Strand Magazine au Sherlock de la BBC
Ouvrage dirigé par Hélène Machinal, Gilles Menegaldo et Jean-Pierre Naugrette
Collection Interférences Rennes : Presses universitaires, 2016 Broché. 325 p. ISBN 978-2753551442. 22 €
Recension de Christophe Gelly Université Clermont Auvergne
Cet ouvrage s’inscrit dans la lignée du renouveau récent des études sur Conan Doyle et surtout sur les réinterprétations du « mythe » de Sherlock Holmes, domaine à vrai dire jamais totalement délaissé par la critique mais particulièrement travaillé depuis les succès des adaptations et pastiches récents tant dans le domaine littéraire et cinématographique que télévisuel. La particularité de ce recueil est de placer cette étude dans le champ diachronique, sur le long terme, et donc de revenir aux sources du mythe pour mieux analyser les variations apportées par les adaptations récentes. De ce point de vue, la pertinence du manuscrit dans le champ disciplinaire ne fait aucun doute, car il s’agit clairement d’approfondir les études actuelles sur le sujet par une approche différente, qui se veut transmédiale. L’organisation de ce recueil témoigne tout d’abord de cette volonté de présenter un panorama critique de la question, panorama qui, s’il n’est pas complet, aidera le lecteur spécialiste du domaine ou plus novice sur le sujet, à saisir le contexte de ce renouveau de la figure holmesienne. Il est d’abord question des origines du « mythe » du détective dans la littérature sensationnaliste du XIXe siècle (Wilkie Collins notamment), et de ses résonances avec notre propre contexte culturel. Puis les contributions s’orientent dans un deuxième temps vers les réécritures de l’œuvre de Doyle et notamment vers la prédominance de la pratique sérielle dans celles-ci. Une quatrième partie traite des adaptations cinématographiques, puis dans un dernier temps l’ouvrage aborde la transmédialité des œuvres inspirées par le texte source (théâtre, bande dessinée). Il semble qu’aucun domaine n’ait échappé à la sagacité des auteurs, et l’on peut se demander si cette omniprésence de la figure du détective n’aurait pas pu justifier une approche également diachronique mais plus généralement culturelle, voire culturaliste, du phénomène. Il est vrai que l’introduction du volume, rédigée par Hélène Machinal, vient heureusement combler cette lacune. Cependant, une question traverse l’ouvrage sans être abordée de front tout au long de ces pages, qui est celle de l’adaptation, de sa théorie et des différents courants de celle-ci à travers les âges. Les contributions rassemblées dans l’ouvrage donnent bien une image pertinente et approfondie des différentes variantes apportées à la figure initiale du détective, mais sans toujours rapporter ces variations à des choix explicables culturellement, idéologiquement et esthétiquement. On se gardera bien, cependant, de penser que l’on a entre les mains une simple somme de recensions des « transformations » apportées à la création de Doyle, car tous les textes proposent des lectures argumentées du phénomène de l’adaptation, souvent de façon très innovante et parfois audacieuse. Il est par exemple très intéressant de constater que certaines formes de l’adaptation cinématographique, comme le cinéma muet, souvent peu étudiées, font ici l’objet de plusieurs références. C’est donc bien la question de la transmédialité, titre de la dernière partie de l’ouvrage, qui transparaît en filigrane tout au long de la lecture. Car s’il s’agit bien d’adaptation ici, c’est d’une adaptation d’un type particulier, englobée dans ce concept plus large de transmédialité, qui fait l’objet de cette étude. En somme, le fil rouge de l’investigation réside dans la volonté de rendre compte de la persistance de cette figure holmesienne à travers des contextes différents, même lorsque cette figure est transposée dans un univers où on ne l’attendrait pas. Julien Guieu montre ainsi comment le cinéma de Jim Jarmusch, de façon étonnante, replace la figure de l’enquêteur dans un contexte plus méditatif qu’ouvertement criminel. Mariaconcetta Costantini propose, quant à elle, une lecture à rebours, au sens chronologique, pour examiner et commenter les différents signes de l’influence exercée sur Doyle par cette autre grande figure du récit policier anglophone, souvent méconnue, qu’est Wilkie Collins. Ces deux exemples parmi d’autres manifestent bien l’ampleur du corpus considéré et la multiplicité des perspectives abordées — il est question ici autant de l’héritage que de la descendance de la figure holmesienne. Certes, cette étendue du corpus soulève parfois des questions sur l’unité de la figure « mythique » elle-même : si Holmes a été décliné sous tant de formes différentes, que reste-t-il de la figure d’origine ? En quoi les angoisses et les questionnements incarnés par le détective victorien résonnent-ils dans notre monde hyper-technologique, et surtout que perd-on de la figure d’origine à travers ses mutations successives ? Ces questions sont souvent abordées dans ce volume concernant la série de la BBC, car c’est un corpus qui se prête fort bien à ces investigations critiques. Cependant, la survivance de la figure de l’auteur Doyle à travers ces adaptations, la question de l’identité culturelle victorienne de Holmes (notamment en termes genrés par exemple) ou celle de la valorisation culturelle du corpus source (Holmes est-il en passe de devenir une figure si omniprésente et pertinente culturellement qu’elle échappe, en en jouant, à la culture de masse dont elle est issue ?) sont autant de problématiques qui mériteraient d’être abordées de façon synthétique. L’approche diachronique proposée ici mêle ces approches de manière parfois morcelée, mais c’est peu ou prou la règle du genre pour un recueil de contributions. On préfèrera retenir de cette somme sur les mutations récentes ou moins récentes du grand détective archétypal le parti-pris louable et le pari réussi qui consistent à renouveler en partie le champ des études holmesiennes en abordant des dimensions habituellement peu représentées dans ce champ : citons par exemple les travaux portant sur la place de la sérialité (Nathalie Jaëck), ou sur l’imaginaire de l’autopsie (Dominique Meyer-Bolzinger). Cet ouvrage offre ainsi au lecteur spécialiste ou simplement curieux (il faut noter l’absence de jargon dans tout le volume) une voie d’entrée ou d’approfondissement remarquable dans les arcanes toujours plus vastes de la critique holmesienne.
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