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Winston Churchill

 

Catherine Heyrendt-Sherman

 

Collection Biographie gourmande

Paris : Payot-Rivages, 2016

Broché. 160 pages. ISBN 978-2228916547. €15

 

Recension de François Kersaudy

Université Paris I-Panthéon-Sorbonne

 

Winston Churchill côté cuisines

 

Avec la « biographie gourmande » de Winston Churchill par Catherine Heyrendt-Sherman, nous abordons un sujet assez peu connu en France : Churchill vu sous l’angle culinaire. La mise en bouche emporte d’emblée l’adhésion ; si le Vieux Lion de Sa Majesté s’est toujours « contenté de ce qu’il y a de meilleur », c’est dû en grande partie à ses années d’enfance dans le château ancestral de Blenheim, où l’apparat et la bonne chère faisaient partie de la vie ordinaire. Par la suite, ses voyages, ses campagnes exotiques et les rigueurs du rationnement de guerre ont favorisé un éclectisme de bon aloi, même si les goûts du grand homme sont restés pour l’essentiel résolument insulaires, puissamment roboratifs, fortement carnés et abondamment arrosés.

Voici en effet un livre qui paraîtra plus digeste avant les repas, car rien ne nous est caché des secrets de préparation de la Turtle Soup, du Jellied Consommé, de l’Irish Stew, du Yorkshire Pudding (arrosé d’une épaisse sauce au jus de viande) et du filet de chevreuil rôti farci au pâté de foie gras servi avec sauce aux truffes. Par chance, Churchill ne semble pas avoir apprécié le haggis, ce qui nous permet d’échapper à la recette de la panse de brebis farcie avec cœur, poumon, foie et rognons de mouton, assaisonnée de graisse de bœuf et baignant dans une sauce double crème parfumée au whisky.

Le whisky, précisément, est inséparable de la carrière de Winston Churchill, et le lecteur apprendra sans doute avec surprise que le grand homme n’avait rien d’un connaisseur ; il se contentait de banal Johnny Walker, blended – un mélange issu de plusieurs distilleries, plutôt snobé par les connaisseurs , qu’il buvait à toute heure avec beaucoup de soda et de glaçons. Par contre, il était nettement plus averti en matière de sherry, de vin blanc, de cognac et de champagne (invariablement du Pol Roger, millésimes 1928, 1934 et 1947 de préférence). Enfin, le cigare ne saurait être négligé : des Aroma et des Romeo y Julieta cubains, de préférence « double corona » de 19 mm de diamètre, consommés au rythme de neuf par jour avec un stock d’environ 4000 unités dans les réserves du manoir de Chartwell…

Au fil de son récit, Catherine Heyrendt-Sherman n’omet pas de préciser deux choses incontestables : d’une part, Churchill, généreux de nature, n’appréciait vraiment son confort et les plaisirs de la table que lorsqu’il pouvait les partager ; d’autre part, si l’homme avait tout d’un gourmet, il n’avait rien d’un cuisinier : « Que les choses soient claires, écrit l’auteure : sa passion pour la gastronomie consiste à manier la fourchette – et le verre , mais non la poêle à frire. » Une anecdote illustre parfaitement ce propos : un jour où son épouse lui dit qu’il ne pourra passer le week-end à Chartwell, le personnel de cuisine étant en congé, Winston lui répond : « ça ne fait rien, je peux me faire cuire un œuf dur ; je l’ai vu faire… »

Tout ceci nous permet de découvrir l’héroïne cachée des cuisines de Chartwell et de Downing Street : Mrs Landemare, cuisinière d’élite qui a fidèlement servi le couple pendant un quart de siècle entre 1930 et 1954. Nous comprenons aussi que Churchill considérait la gastronomie comme un instrument diplomatique et stratégique de première importance lors des grands sommets internationaux et des conciliabules stratégiques bilatéraux. Ce passage du livre est d’ailleurs parmi les plus réussis, sur la forme comme sur le fond :

La convivialité de Churchill est toujours doublée d’une généreuse mesure de compassion et d’empathie – c’en est d’ailleurs peut-être le secret. […] Défenseur perpétuel des opprimés, Churchill prend à cœur aussi bien le devenir des populations allemandes vaincues que celui des Juifs persécutés. Sa foi inébranlable en un monde libre et démocratique le pousse à maints sacrifices personnels, au mépris de sa santé. Et lorsque les repas au sommet permettent à ce visionnaire de joindre l’utile à l’agréable, de planifier la paix mondiale tout en dégustant potages clairs, viandes et fruits de mer, petits pois et desserts glacés arrosés de champagne Pol Roger, son bonheur est complet.

Hélas ! Le nôtre ne l’est pas tout à fait, car ce petit ouvrage présente quelques faiblesses inattendues. L’abondance d’anglicismes et de traductions approximatives  est sans doute la plus voyante, mais non la plus inquiétante : le War Office devient un « bureau de la guerre », le Board of Trade une « chambre de commerce », Churchill est nommé ministre des Munitions plutôt que de l’Armement, et ce grand homme pourtant résolument agnostique « confesse » plutôt que d’avouer – sans compter que le terme de « Cecilienhof Palace » peut paraître excessivement britannique pour un château teutonique. Par ailleurs, si l’auteure est inattaquable dans le domaine culinaire, elle est plus mal à l’aise en abordant les cuisines politiques, diplomatiques et stratégiques : Winston Churchill ministre de la Guerre durant la Première Guerre mondiale ? Entirely ruled out!, aurait rugi le maréchal Kitchener…  De même,  l’exposé des raisons de l’accession au pouvoir de Churchill le 10 mai 1940 étonnera plus d’un historien, la qualification de « succès stratégique » pour la rencontre de Terre-Neuve entre Churchill et Roosevelt peut faire sourire, et un Churchill qui obtient de Staline en octobre 1944 – quatre mois avant Yalta – l'engagement de déclarer la guerre au Japon, voilà qui tient plutôt du personnage de roman que du diplomate amateur que nous connaissons. Les diagnostics médicaux ne sont pas très fiables non plus, surtout lorsque nous apprenons que l’« on soupçonne chez Churchill une robustesse de poumons hors norme. » C’est que, si la lecture de cet ouvrage achève de nous persuader que Winston Churchill a rarement eu l’estomac dans les talons, personne ne peut ignorer que la faiblesse des poumons a toujours été son talon d’Achille…

 

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