The Global Dimensions of Irish Identity Race, Nation, and the Popular Press, 1840-1880
Cian T. McMahon
Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 2015 Paperback. xiii+238 p. ISBN 978-1469620107. $34.95
Recension de Pauline Collombier-Lakeman Université de Strasbourg
The Global Dimensions of Irish Identity : Race, Nation, and the Popular Press, 1840-1880 reflète les évolutions connues récemment tant par l’historiographie de l’Irlande au XIXe siècle que par celle des mouvements nationalistes en général. L’importance de la diaspora irlandaise, notamment en raison de l’accélération de l’immigration suite à Grande Famine (1845-1851), a donné lieu à de nombreux ouvrages depuis les années 1990. Les études consacrées aux Irlandais établis aux quatre coins du monde se sont également multipliées.(1) Ces travaux ont conduit les spécialistes d’autres domaines (histoire politique, histoire des idées, histoire culturelle) a réécrire l’histoire de l’Irlande en tenant compte d’un cadre géographique plus vaste. Ainsi les liens entre l’Irlande et l’Empire sont désormais devenus un champ de recherche fructueux,(2) tandis que le rôle de la diaspora irlandaise dans l’évolution du nationalisme irlandais ou dans la vie politique des pays d’accueil est, depuis peu, davantage pris en compte.(3) Ces progrès de l’historiographie de l’Irlande font écho aux évolutions nouvelles des théories du nationalisme puisque celles-ci ont introduit des notions telles que le « nationalisme à distance » (long distance nationalism), le nationalisme de diaspora ou encore le transnationalisme.(4) Le projet de l’auteur, Cian T. McMahon, est ambitieux et multiple. L’ouvrage retrace d’abord le sort d’un certain nombre de figures éminentes du mouvement de la Jeune Irlande, depuis son émergence dans la vie politique irlandaise en 1842 jusqu’aux lendemains de la Guerre Civile américaine, à la suite de laquelle les derniers Young Irelanders célèbres décédèrent (John Mitchel et John Martin en 1875, Richard O’Gorman en 1893 et Charles Gavan Duffy en 1903). Certains de ces personnages comme Charles Gavan Duffy, John Mitchel, William Smith O’Brien ou encore Thomas D’Arcy McGee sont bien connus et ont déjà fait l’objet d’études précises.(5) D’autres le sont moins (Thomas Francis Meagher, Michael Doheny, Patrick O’Donohoe) et le fait que McMahon consacre un nombre non négligeable de pages à l’analyse de leur discours et à leurs parcours politiques parfois très différents est un des nombreux mérites de l’ouvrage. Partisans d’un nationalisme non sectaire, attachés à la défense de la langue, de la culture et du patrimoine gaéliques, et associés au journal The Nation, les membres de la Jeune Irlande furent d’abord un soutien à la cause du Repeal défendue par Daniel O’Connell. Cependant, ils rompirent avec ce dernier à partir de 1845 et se radicalisèrent considérablement pendant la Grande Famine. Cette radicalisation valut à l’un de leurs chefs de file, John Mitchel, de faire les frais du Treason Felony Act de 1848 et d’être déporté aux Bermudes (mai 1848) puis en Tasmanie (1849-1850) avant de s’échapper et de rejoindre les États-Unis (1853). Impliqués dans une rébellion mal préparée et vite réprimée (juillet 1848), d’autres Jeunes Irlandais importants furent également condamnés à la déportation en Tasmanie (William Smith O'Brien, Thomas Francis Meagher, Patrick O'Donohoe, John Martin, Terence Bellew McManus and Kevin Izod O'Doherty) ; beaucoup d’entre eux s’exilèrent, comme Mitchel, aux États-Unis (Thomas Francis Meagher, Patrick O’Donohoe, Terence Bellew McManus). McMahon rappelle ces faits relativement bien connus mais ne se limite certainement pas à un récit narratif des pérégrinations et péripéties vécues par les Jeunes Irlandais exilés. Son intention est, plus fondamentalement, de démontrer comment le mouvement de la Jeune Irlande a contribué à réinventer l’identité de la population irlandaise à un moment crucial de son histoire: des années 1840 marquées par la crise démographique, économique, sociale et culturelle que représenta la Grande Famine, jusqu’aux années 1880 qui annoncèrent la renaissance du nationalisme parlementaire irlandais avec l’appui des Fenians. Ainsi Cian T. McMahon affirme que les migrants irlandais en Australie comme aux États-Unis ne cherchèrent pas à se définir comme blancs mais comme celtes, en opposition aux populations d’origine anglo-saxonne. Se définir comme celtes permettait aux immigrés irlandais de remettre en cause les stéréotypes anti-irlandais et de tenter de se faire accepter par les nouvelles terres d’accueil (Australie, États-Unis). D’après McMahon, le rôle de la presse dans cette entreprise de construction identitaire fut crucial : il souligne en effet que les immigrés irlandais étaient informés des idées de la presse nationaliste irlandaise et avaient eux-mêmes accès à de nombreux journaux créés par des nationalistes exilés. L’identité celte forgée par la diaspora et promue dans la presse aurait contribué à la formation d’un nationalisme irlandais à l’échelle mondiale, bien au-delà des frontières d’Irlande. McMahon utilise son étude pour aborder également bien d’autres thèmes : l’attitude des Irlandais immigrés à l’égard de l’esclavage et des populations autochtones non-blanches (aborigènes en Australie ; noirs, Indiens et coolies aux États-Unis) ainsi que, dans le cas des États-Unis, la participation irlandaise à la Guerre Civile. Ces sujets lui permettent de montrer que les choix et les attitudes furent contrastés : certains Jeunes Irlandais exilés adoptèrent des positions racistes et esclavagistes et soutinrent les États confédérés ; d’autres défendirent le sort des aborigènes, des esclaves, des Indiens ou des coolies et combattirent du côté des forces de l’Union. Plus précisément, Mitchel défendit l’esclavage et Meagher massacra des Indiens, alors que O’Donohoe défendit les droits des aborigènes et John Boyle O’Reilly ceux des Indiens. Aborder ces thèmes permet à McMahon de renforcer l’une des thèses de sa démonstration, à savoir que les Irlandais ne se définirent pas avant tout comme « blancs » mais comme « celtes ». L’ouvrage est riche, foisonnant, parfois répétitif et on pourrait arguer que certains thèmes mériteraient à eux seuls de faire l’objet d’études spécifiques plus longues et plus poussées. Vouloir traiter tous ces thèmes au fil de la période envisagée conduit aussi peut-être l’auteur à des choix ou des partis pris discutables. Ainsi l’utilisation des concepts ne convainc pas tout à fait, notamment quand l’auteur annonce : Unwilling to renounce their Celtic self-image and ‘become Saxon’, however, the Irish developed a diasporic identity that I call global nationalism. Constantly adapting to the practical exigencies of given times and places (…) global nationalism portrayed the Irish as an international community capable of simultaneous loyalty to their old and new worlds. [Introduction, p. 2] McMahon cherche à défendre l’idée tout à fait valable selon laquelle l’exil des Jeunes Irlandais permit l’essor d’un nationalisme déterritorialisé. Mais, alors qu’il se présente clairement comme un disciple de Benedict Anderson et s’inspire de son Imagined Communities : Reflections on the Origins and Spread of Nationalism (1983), on s’étonne qu’il n’ait pas recours à une notion qu’Anderson a proposée dans un article publié plus récemment (en 1998) et qui paraît plus appropriée : le « nationalisme à distance » (long distance nationalism). Le nationaliste à distance est pour Anderson celui qui s’engage dans un combat politique en faveur d’une patrie rêvée qu’il a quittée et dans laquelle il ne vit pas ou plus. Un autre terme possible serait le nationalisme de diaspora (diaspora nationalism), grâce auquel « une population dispersée partageant la même histoire, la même mémoire d’expulsion et/ou de déportation et les mêmes mythes se mobilise pour se constituer en une ‘nation’ territorialisée et légitimée par un État reconnu sur la scène internationale ».(6) Que ce nationalisme à distance soit présenté par McMahon comme l’idéologie ayant défini l’identité de la diaspora irlandaise est discutable dans la mesure où la diversité des immigrés irlandais est passée sous silence. Dans un ouvrage dont l’un des thèmes principaux est la construction de l’identité irlandaise au XIXe siècle, l’auteur annonce d’emblée que son propos se limitera aux Irlandais catholiques, excluant d’emblée les protestants et les femmes [Introduction p. 7 : ‘in this book, the term Irish refers to a mostly Catholic, nationalist, male community’]. L’auteur avance qu’inclure le cas des femmes et des Irlandais protestants dépasserait le cadre de son étude. Ce parti pris pose problème car il contraint l’auteur à restreindre le sens qu’il donne aux termes choisis pour son titre, à savoir Irish identity. Il le conduit aussi à traiter de façon parallèle le cas de la diaspora irlandaise en Australie et celui de la diaspora irlandaise aux États-Unis. Or, les conditions d’accueil offertes aux migrants irlandais et le statut politique de ces deux terres d’accueil étaient bien évidemment bien différents, ce qui n’est pas assez pris en compte dans l’ouvrage. Enfin, bien qu’il ait le souci louable de montrer que le discours des immigrés Irlandais était pluriel et complexe, notamment concernant la question de l’esclavage ou le sort des populations autochtones non blanches, il privilégie une interprétation selon laquelle l’ethnique primait sur le reste (et notamment sur le religieux). Cependant, cela ne revient-il pas à tomber dans le piège d’un type de discours nationaliste irlandais qui, tout en affirmant vouloir transcender les différences entre confessions, ne créa que l’illusion d’une unité? MacMahon démarre son propos avec une citation de Patrick Ford selon laquelle les immigrés irlandais était un peuple « à l’identité clairement marquée et définie », une « race dont les membres étaient liés les uns aux autres instinctivement en un tout intégral »(7), sans remettre véritablement en cause par la suite l’idée que les Irlandais aient tous pu adhérer au même idéal identitaire. À cette démarche, on opposera simplement l’analyse que Conor Cruise O’Brien a faite des liens entre nationalisme et religion : Le républicanisme irlandais sous toutes ces formes […] affirme transcender les vieilles différences entre confessions et les remplacer par « le nom commun d’Irlandais », c’est-à-dire une identité nationale séculière. La réalité, sous un vernis pseudo-séculier de plus en plus superficiel, est que ce nationalisme est devenu un nationalisme sacré irlandais catholique.(8) _________________________ (1) Pour ne citer que quelques exemples : Thomas P. Power, The Irish in Atlantic Canada, 1780-1900. Dublin: New Ireland, 1991 ; Donald Harman Akenson, The Irish Diaspora : A Primer. Belfast: Institute of Irish Studies, QUB, 1993 ; Donald M. MacRaild, Irish Migrants in Modern Britain 1750-1922. Houndmills: Macmillan, 1999 ; Kevin Kenny, The American Irish : A History. Harlow: Longman, 2000 ; Patrick O’Farrell, The Irish in Australia : 1788 to the Present. Cork: University Press, 2001. (2) Voir, par exemple : Stephen Howe, Ireland and Empire : Colonial Legacies in Irish History and Culture. Oxford: University Press, 2000 ; Kevin Kenny (ed.), Ireland and the British Empire. Oxford: University Press, 2004 ; Jill C. Bender, ‘Ireland and Empire’, in Richard Bourke & Ian McBride (eds.), The Princeton History of Modern Ireland. Princeton: University Press, 2016 : 343-360. (3) Adrian N. Mulligan, “A forgotten ‘Greater Ireland’ : The transatlantic development of Irish nationalism”. Scottish Geographical Journal 118-3 (2002) : 219-234 ; David A. Wilson, Irish Nationalism in Canada. Montreal: McGill-Queen's University Press, 2009 ; Ely M. Janis, A Greater Ireland : The Land League and Transatlantic Nationalism in Gilded Age America. Madison: The University of Wisconsin Press, 2015. (4) Anderson, Benedict, ‘Long Distance Nationalism’, in B. Anderson, Spectres of Comparison : Nationalism in Southeastern Asia and the World. London: Verso, 1998 : 58-74 ; R. Kastoryano, « Vers un nationalisme transnational : Redéfinir la nation, nationalisme et le territoire ». Revue française de science politique 56-4 (août 2006) : 533-555 ; R. Bauböck & Th. Faist (eds.), Diaspora and Transnationalism : Concepts, Theories and Methods. Amsterdam: University Press, 2010. (5) Entre autres, G. O’Brien, ‘Charles Gavan Duffy, 1816-1903 : Rebel and statesman’, in G. O'Brien & P. Roebuck (eds.), Nine Ulster Lives. Belfast: Ulster Historical Foundation, 1992 : 87-98 ; Bryan P. McGovern, John Mitchel : Irish Nationalist, Southern Secessionist. Knoxville: University of Tennessee Press, 2009 ; Blanche Touhill, William Smith O’Brien and His Irish Revolutionary Companions in Penal Exile. Columbia: University of Missouri Press, 1981 ; Richard P. Davis, Revolutionary Imperialist : William Smith O'Brien, 1803-1864. Dublin: Lilliput, 1998 ; Robert Sloan, William Smith O'Brien and the Young Ireland Rebellion of 1848. Dublin: Four Court Press, 2000 ; David A. Wilson, Thomas D’Arcy McGee. Montreal: McGill-Queen’s University Press, 2 volumes, 2008 & 2011. (6) R. Kastoryano, « Vers un nationalisme transnational » : 538-539. (7) Introduction p. 1 : ‘Perhaps there is no other people of the face of the earth whose identity is more clearly marked and defined. There are forces, ever at work, which draw the members of our race instinctively together, and knit them into an integral body’. (8) C. Cruise O’Brien, God Land : Reflections on Religion and Nationalism. Cambridge (Mass.): Harvard University Press : 39 : ‘Irish Republicanism in any format […] claims to transcend the old sectarian differences, substituting for them “the common name of Irishman”, a secular national identity. The reality, beneath an increasingly perfunctory pseudosecular cover, is Irish Catholic holy nationalism’.
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