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Wilde in Earnest

 

Sous la direction d’Emily Eells

 

Collection Intercalaires : Agrégation d'anglais

Paris : Presses Universitaires de Paris-Ouest, 2015

Broché. 204 p. ISBN 978-2840162186. 12 €

 

Recension d’Emmanuel Vernadakis

Université d’Angers

 

 

Wilde in Earnest, recueil d’articles sous la direction d’Emily Eells, est consacré à la pièce la plus représentée d’Oscar Wilde, The Importance of Being Earnest (1895). L’ouvrage a été rédigé à l’occasion de l’inclusion de cette œuvre au programme de littérature de l’Agrégation externe d’anglais. Depuis la création de ce concours, trois œuvres d’Oscar Wilde ont figuré au programme de littérature : The Picture of Dorian Gray en 1947 et 1948, Lady Windermere’s Fan en 1956 et en 2015 et 2016, The Importance of Being Earnest. Avec la perspective du concours, deux journées d’études ont été consacrées à Earnest : en Sorbonne, organisée par Emily Eells et David Rose en juin 2014, et à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, organisée par Sylvie Mikowski et Xavier Giudicelli en octobre 2015. Wilde in Earnest, rédigé en anglais et en français, repose, en grande partie, sur les communications présentées au cours de la première journée.

À cause du scandale qui couvre sa vie, de la légèreté qui masque les thématiques complexes qu’il aborde et, peut-être, à cause de la sentence de Gide : « Wilde n'est pas un grand écrivain » (In Memoriam, 1903), la réception de l’œuvre de Wilde par la critique oscillait entre réprobation et justification apologétique. Cette tendance s’est infléchie avec la parution de la biographie de l’écrivain Irlandais par Richard Ellmann, en 1987. Depuis, un nombre très considérable de monographies et articles sont parus pour éclairer les nombreuses – et parfois inattendues – ramifications de cette œuvre dont la vitalité ne se dément pas, même aujourd’hui.

Les noms des auteurs que nous révèle la table des matières de Wilde in Earnest répond au jeu de mots du titre et est, du coup, remarquable : il est assez rare de retrouver dans un seul et même ouvrage des travaux signés par autant de spécialistes de premier rang. Christopher Nassaar, auteur de Into the Demon Universe : A Literary Exploration of Oscar Wilde (New Haven: Yale University Press, 1974), est l’un des premiers universitaires dont les travaux prennent l’œuvre de Wilde au sérieux ; Michael Patrick Gillespie, Professeur à la Florida International University et directeur de l’édition critique de la pièce retenue pour le concours (Norton, 2006), est aussi l’auteur d’un Reader’s Companion pour The Picture of Dorian Gray (Twayne Publishers, 1995) et d’Oscar Wilde and the Poetics of Ambiguity (University Press of Florida, 1996) entre autres ; Peter Raby, professeur à Homerton College, Cambridge, est auteur d’Oscar Wilde (Cambridge: University Press, 1988), éditeur de l’une des toutes premières éditions critiques de Earnest (Oxford World’s Classics, 1995), éditeur de Cambridge Companion to Oscar Wilde (Cambridge: University Press, 1997) et coéditeur du tout récent et fort riche Wilde in Context (Cambridge: University Press, 2013) ; Stefano Evangelista, professeur à Trinity College, Oxford, auteur de plusieurs articles sur l’esthétisme de Wilde a également édité The Reception of Oscar Wilde in Europe (Bloomsbury Academic, 2015) ; Sos Eltis, Fellow à Brasenose College, Oxford, qui a publié Revising Wilde : Society and Subversion in the Plays of Oscar Wilde (Clarendon Press, 1996) et dirigé l’édition critique de Oscar Wilde : An Ideal Husband (New Mermaids, 2015), est également une figure très connue de la critique spécialisée ; les livres de Kerry Powell, Oscar Wilde and the Theatre of the 1890s (Cambridge: University Press, 1990) et Acting Wilde : Victorian Sexuality, Theatre, and Oscar Wilde (Cambridge: University Press, 2009) ont également considérablement aide à ce que l’on comprenne le rapport philosophique que l’œuvre de Wilde entretient avec le théâtre, la théâtralité et la pose, en dehors de la théorie du dandy qui était jusqu’alors privilégiée. David Rose, retraité de Goldsmiths, University of London, est le directeur de la revue électronique The Oscholars, outil de travail précieux pour tous les spécialistes de Wilde et de la fin du XIXe siècle. À côté de ces chercheurs internationaux on trouve des spécialistes français reconnus au plan international. Emily Eells, co-directrice de la collection et éditrice de l’ouvrage, est aussi l’auteur de nombreux travaux sur Wilde dont la monographie Two Tombeaux to Oscar Wilde : Jean Cocteau’s Le Portrait Sunaturel de Dorian Gray and Raymond Laurent’s Essay on Wildean Aesthetics (Rivendale Press, 2010). Xavier Giudicelli, spécialiste de Wilde et auteur de plusieurs articles et ouvrages sur son œuvre, vient tout juste de publier Portraits de Dorian Gray : Le texte, le livre, l'image aux Presses Universitaires de la Sorbonne. Marie-Noëlle Zeender, est l’auteur de Le tryptique de Dorian Gray : Essai sur l'art dans le récit d'Oscar Wilde (L’Harmatan, 2000), et on trouve plusieurs articles sur Wilde signés par Gilbert Pham Thanh. À cette équipe d’auteurs connus pour leur travail sur Wilde s’ajoute, enfin, Jean-Jacques Lecercle dont les travaux sur le nonsense (entre autres) font autorité.

Dirigé par Emily Eells, le recueil s’ouvre sur une métaphore musicale qui en structure à la fois l’introduction et l’ensemble de l’ouvrage. La formule de « rondo capriccioso », utilisée par l’un des premiers critiques d’Earnest pour écarter toute possibilité de sens sérieux dans la pièce, sert ici de principe structurant pour faire un tour d’horizon sur cette farce et sur l’histoire de sa réception. De la création des personnages à la poétique de leurs noms, de la légèreté des dialogues à la hardiesse de leurs allusions, de l’ancrage local au cosmopolitisme, l’introduction esquisse l’évolution de la pièce à travers ses cent-dix ans de production de sens. Emily Eells analyse les dernières productions et adaptations musicales d’Earnest qui mettent en avant les « nouveaux » sens que l’on a découverts à la pièce, l’histoire de ses productions en mise en abime ou encore l’histoire de la vie de son auteur. Wilde in Earnest montre à quel point le « rondo capriccioso » que la critique a reconnu il y a plus d’un siècle, se révèle « serioso »  aujourd’hui. L’orchestration d’Emily Eells pour nous livrer ce recueil est aussi remarquable. 

Wilde in Earnest s’affiche, certes, comme un ouvrage essentiellement pédagogique ; néanmoins, parmi les quinze articles qui le composent, rares sont ceux qui se limitent à une approche formative. Nourris de la recherche de leurs auteurs, ces essais révèlent des détails nouveaux, introduisent des résonances originales, ouvrent des perspectives parfois inattendues. L’article de Michael Patrick Gillespie, « A Close Reading of The Importance of Being Earnest », montre l’impact idéologique du dandysme dans la fabrication de personnages qui se ressemblent : égotistes, ils veulent remodeler le monde, chacun, à sa façon – ou plutôt à son intérêt. P. Raby met en évidence l’ingéniosité de ce texte qui est très « anglais » par ses personnages caractéristiques et les lieux emblématiques dans lesquels ils évoluent au moyen de rituels propres stéréotypés. L’anglicité de l’œuvre est si convaincante que l’on oublie que son auteur n’est pas Anglais. On peut remarquer que, toute proportion gardée, la posture de « outsider acculturé » de Wilde dans Earnest se retrouvera, plus tard, chez des auteurs postcoloniaux comme V.S. Naipaul, dont certains romans peuvent surprendre avec leur anglicité. L’article de Christopher Nassaar, « Jack and Algy in Wonderland », met en évidence les résonances carolliennes d’Earnest. L’auteur fait dialoguer les structures d’Alice et d’Earnest à travers l’angle du nonsense. Il arrive ainsi à illustrer la coexistence de deux Pays des merveilles dans la culture anglaise.

Si le monde d’Alice est un monde pour tous, celui d’Earnest est exclusivement réservé aux adultes. Les ramifications de sens se démultiplient avec l’étude d’onomastique proposée par David Charles Rose dans « Naming in Earnest ». Les échos biographiques, littéraires, historiques, linguistiques et contextuelles qui se dégagent de chaque nom propre sont méticuleusement démêlés et rebrodés en ajours poétiques sur un canevas d’humour. L’article de Marie-Noëlle Zeender, « Le nom-du-Père, du fils, le (faux)-frère et autres concepts familiaux dans The Importance of Being Earnest », fait écho aux travaux de l’équipe d’anglicistes lyonnais, qui ont également abordé Wilde à travers un prisme lacanien. Dans « Catching Butterflies : The Serious Aestheticism of the Importance of Being Earnest », Stephano Evangelista explique que la forme dialogique des essais à travers laquelle Wilde développe sa théorie esthétique empêche le lecteur de prendre au sérieux ce qu’il lit ; d’autant plus que les deux personnages du dialogue recourent systématiquement à l’ironie. Wilde prêche pour l’art du mensonge ; il cultive le mensonge en tant qu’art. Pour percevoir la valeur esthétique du mensonge dans Earnest, il convient d’appréhender sa création à travers une perspective Cratylienne : centrer notre réception sur le rapport qu’elle fait valoir entre le nom et son sens (rapport examiné par Socrate, avec humour et ironie aussi, dans le Cratyle de Platon). L’article « Répétitions et variations dans The Importance of Being Earnest », de Gilbert Pham-Thanh, met en évidence la désacralisation de la famille. Celle-ci commence avec le rôle de personnages insignifiants que cette pièce accorde aux pères (morts, absents ou écartés et incapables de donner un ordre).

L’article de Jean-Jacques Lecercle, « Vérité du paradoxe et obscénité du réel dans The Importance of Being Earnest », est en dialogue avec les articles de S. Evangelista (par le biais de la théorie esthétique de Wilde) et de P. Raby (par le biais du « wit » et du dandysme). L’analyse des mécanismes du « wit » wildéen proposée  par Jean-Jacques Lecercle va plus loin que celle de Robert Merle (Oscar Wilde, 1948, reprise en 1984) ; elle est approfondie. Ce n’est cependant pas uniquement pour cet analyse, pourtant remarquable, que cet article fera date dans les études wildiennes et emportera la reconnaissance des spécialistes. C’est parce que son auteur y révèle les nobles origines (littéraires) de la gouvernante de Cecily, Miss Prism. C’est la plume de Dickens qui a engendré Miss Prism chez Wilde. Jean-Jacques Lecercle cite ainsi l’extrait de Little Dorrit où une autre gouvernante, Mrs General, enseigne à l’héroïne éponyme du roman les règles de l’élocution distinguée : « Father is rather vulgar my dear. The word papa, besides, gives a pretty form to the lips. Papa, potatoes, poultry and prism are all very good words for the lips, especially prunes and prism » [128].

L’article de Sos Eltis, « The Importance of Being Earnest : Performance, Sincerity and Self Creation », est, quant à lui, en dialogue avec l’introduction d’Emily Eells. L’auteur aborde notamment la capacité de la pièce à s’adapter à de différents contextes. Elle donne lieu à de nombreuses productions, très différentes les unes des autres et à des interprétations multiples ; comme une pièce de musique. C’est encore par la métaphore musicale, cette fois-ci celle de l’opéra, puis du ballet, que Xavier Giudicelli analyse l’œuvre dans « The Importance of Being Earnest : Politique et poétique du corps ». À la lumière des Foucault, Judith Butler, Camille Paglia et Jonathan Dollimore, la question du genre – qui en français regroupe le genre littéraire et l’identité sexuée se met sur scène à travers l’étude de la pièce, pour opérer des changements, inversions et modifications qui réinventent les cadres qui la définissent.

Wilde in Earnest n’est pas fait pour servir exclusivement les besoins d’un concours national. Il dépasse les attentes des candidats à l’agrégation et de leurs formateurs. À peine quelques mois après la fin des épreuves, l’ouvrage sera encore actuel aux yeux du public parisien qui pourra redécouvrir Wilde dans une exposition au Petit Palais, intitulée « Oscar Wilde : L’impertinent absolu », qui ouvrira ses portes du 28 septembre 2016 au 15 janvier 2017. Wilde in Earnest trouvera sans doute une place méritée parmi les livres internationaux consacrés à Wilde dans la librairie du Petit Palais.

 

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