Affiches politiques britanniques du premier XXe siècle Early Twentieth-Century British Political Posters
Sous la direction d’Emmanuel Roudaut
Collection « Res Anglophonia » Paris : Mare & Martin, 2016 Broché. 261 p. ISBN 978-2849341834. 30 €
Recension d’Emmanuelle de Champs Université de Cergy-Pontoise
Cet ouvrage bilingue et abondamment illustré met à l’honneur la collection d’affiches politiques britanniques détenue par le Mundaneum de Mons, en Belgique. Les reproductions d’excellente qualité en font un véritable catalogue. Une sélection peu connue est ainsi exhumée et commentée par des spécialistes de l’histoire politique de la période. L’équipe franco-britannique rassemblée par Emmanuel Roudaut comprend Florence Binard, Richard Davis, Renée Dickason, Clare Griffiths, David Haigron, Richard Tholoniat et Philippe Vervaecke. Jean-Claude Sergeant a également rédigé certaines notices peu de temps avant sa mort. La mémoire de Gilbert Millat, qui avait parmi les premiers exploré ce fonds exceptionnel, traverse le volume. Il s’agit bien d’un véritable travail collectif et non d’une juxtaposition d’essais : le soin apporté à la coordination transparaît dans la volonté d’éviter les redites, dans les nombreux renvois et dans l’appareil critique commun : chronologie de la vie politique britannique (1900-1939), bibliographie thématique, à la fois sur la culture visuelle et sur la période. Pour chaque longue notice, les versions françaises et anglaises figurent en regard, le livre visant ainsi une large diffusion universitaire – et au-delà. Centré autour de l’étude et de la valorisation d’un corpus homogène, cet ouvrage met les connaissances de spécialistes au service de documents souvent peu connus. Une quarantaine d’affiches sont ainsi commentées tour à tour, rassemblées autour de huit grands thèmes : « Guerre et paix », « La Chambre des lords et la constitution », « Pour ou contre le libre-échange ? », « Représentations de l’ouvrier », « La réforme sociale », « Les nouvelles électrices », « Figures de dirigeants », « Le moment du tripartisme ? ». Les documents sont replacés dans leur contexte historique et les auteurs en fournissent un commentaire à la fois politique, culturel et graphique, témoignant de la vitalité du genre de l’affiche dans une période marquée par d’intenses débats et par la mise en place d’une véritable démocratie – les femmes britanniques obtiennent le droit de vote à l’égal des hommes en 1928. Sur le plan chronologique, les documents présentés couvrent principalement deux périodes : 1900-1911 et l’élection de 1929. L’omission de la Première guerre mondiale se justifie à la fois par l’abondance de travaux sur la propagande politique entre 1914 et 1918 et par l’union sacrée observée par les partis. De même, les affiches des campagnes féministes pour le suffrage – qui n’émanent que rarement des trois partis qui structurent la vie politique britannique et ont été par ailleurs largement étudiées – ne sont pas représentées. Souvent non datées, parfois même réimprimées à plusieurs années d’intervalle, les affiches posent de nombreux défis aux historiens de la vie politique et donnent à réfléchir sur la temporalité des débats démocratiques. Outre une contextualisation très précisément argumentée, les articles fournissent des clés de lecture indispensables qui donnent chair à des débats parfois techniques – sur le libre-échange (section III) ou bien sur la politique agricole des années 1920 (section V) et font ressortir les lignes de fracture entre les partis, et parfois même à l’intérieur des partis. La simplification requise par le médium – un bon dessin valant censément plus qu’un long discours – révèle aussi les difficultés qu’ont pu avoir les partis à présenter un message immédiatement compréhensible par les électeurs sur des sujets difficiles. Ainsi, les affiches se révèlent-elles parfois contrefactuelles. Une affiche du Parti conservateur présente par exemple le Japon en 1906-1912 comme un concurrent menaçant le textile britannique, ce qui est loin d’être le cas et fait peu de cas des bonnes relations que les diplomates des deux pays entendent alors cultiver [90-91]. Le recours aux stéréotypes, que ce soit pour représenter les ouvriers, les femmes, les pairs du royaume ou les paysans, révèle aussi les difficultés auxquelles sont confrontés les illustrateurs : comment représenter sans caricaturer ? Les hésitations du Parti conservateur dans la représentation de la classe ouvrière montrent ainsi la prise de conscience progressive de l’importance de cette partie de l’électorat : les affiches du début de la période reprennent les topos victoriens de l’ouvrier méritant ou écrasé de misère, ce n’est que plus tard que la Tory Democracy prônée par Disraeli trouve sa représentation graphique dans une affiche qui place l’ouvrier au centre de la nation politique [section IV : 134]. Empruntant au dessin de presse lorsqu’il s’agit de caricaturer les ennemis politiques (voir section VII sur les dirigeants), le trait se fait plus réfléchi lorsqu’il s’agit de tendre un miroir aux électeurs, mais n’évite pas les embûches. Il est ainsi fascinant de voir comment les différents partis choisissent de représenter les nouvelles électrices dans les années 1920 : flappers ou solides ménagères, jeunes filles ou mères, frivoles ou responsables, les représentations des femmes ont du mal à échapper aux connotations morales. Enseignants et spécialistes de la période trouveront dans ce volume des sources originales présentées de façon toujours éclairante. Au-delà de la simple illustration, les auteurs montrent en quoi les affiches permettent d’affiner notre perception des enjeux de la période. En outre, l’intérêt porté à ce type de documents rejoint une attention croissante portée par les historiens au rôle joué par les éphémères dans la vie politique : slogans, tracts et pamphlets font aujourd’hui l’objet d’un nombre d’études grandissant. À l’articulation entre la culture populaire et le discours politique, empruntant à la presse autant qu’à la publicité ou au beaux-arts, cette sélection d’affiches ne peut que donner envie de prêter davantage attention aux placards qui recouvrent les murs dans les photographies du premier XXe siècle. Seule la mise en page fournit l’occasion d’émettre une réserve. Elle résulte d’une double contrainte : présenter des illustrations haute définition et fournir une version bilingue en regard (pages paires en français, pages impaires en anglais), deux points qui participent de la qualité de l’ouvrage. La plupart du temps, les affiches sont intégralement reproduites dans chaque version, ce qui conduit à un curieux effet de dédoublement et provoque parfois la confusion, quand exceptionnellement ce sont deux affiches différentes qui sont ainsi imprimées de part et d’autre de la double page [74-75, 112-113, 118-119, 134-135, 186-187, 230-231]. S’il faut féliciter les éditeurs scientifiques et l’éditeur commercial d’avoir su obtenir les crédits permettant que le livre soit imprimé intégralement sur papier glacé, garantie de la haute qualité des reproductions en couleur, on comprend mal pourquoi une mise en page plus économique et plus lisible, par exemple sous forme de colonnes, n’a pas été choisie.
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