Les
prépositions de l’anglais et leurs régimes
Michel Simon
Collection
Interlangues Toulouse : Presses
Universitaires du Midi, 2015 Broché. 162 pages.
ISBN 978-2810703708. 16 €
Recension de Bénédicte Guillaume Université Nice
Sophia Antipolis
Comme l’indique le titre de cet ouvrage, l’auteur
s’intéresse à l’ensemble des régimes que peut introduire chacune des
prépositions de l’anglais. Se réclamant dès l’introduction d’un triple héritage
théorique (la linguistique structurale, la syntaxe génétique et la Théorie des opérations énonciatives d’A.
Culioli [17]), l’auteur doit surtout faire face d’emblée à un problème de
terminologie, et partant de limitation de son sujet de recherche. Du reste,
l’enjeu est tel qu’après avoir exposé les principaux tenants et aboutissants du
problème terminologique dans une introduction claire et concise, où il
explicite également la nature de ses corpus (nous y reviendrons), M. Simon
consacre encore au problème terminologique et à la présentation de la
problématique la relativement brève (18 pages) première partie de son ouvrage. L’auteur reprend en grande partie à son compte (mais avec
le recul nécessaire) le postulat théorique de Huddleston et Pullum (2002) selon
lequel, premièrement, la préposition doit être considérée comme la tête du
syntagme qu’elle introduit, à l’instar d’un verbe ou d’un nom [20] ;
deuxièmement, il est arbitraire de considérer, par exemple, que since est une préposition dans since the beginning of the week, mais
deviendrait une conjonction de subordination dès lors qu’elle introduirait une
proposition à un mode fini (since the
week began). Ainsi, les propositions à un mode fini font partie intégrante
pour l’auteur des régimes possibles des prépositions de l’anglais (cf. tableau 1, page 22, qui reprend la
classification de Huddleston et Pullum, ce qui explique que les termes anglais
désignant les régimes aient été retenus, alors même que l’ouvrage de M. Simon
est rédigé en français). L’auteur a répertorié avec minutie 97 prépositions qui
entrent dans la définition qu’il défend, gouvernant tout ou partie de huit
régimes possibles, puisqu’il a décidé d’y inclure les subordonnées à un mode
fini. Notons toutefois que, contrairement à Huddleston et Pullum (2002), M.
Simon trouve nécessaire de conserver une forte différenciation entre
préposition et particule adverbiale, reprenant à son compte les travaux de B.
Fraser à ce sujet [24-28]. Afin d’alimenter les tableaux récapitulatifs qui croisent
les 97 prépositions et les huit régimes possibles, et ainsi d’étayer ses
analyses, M. Simon se fonde sur des énoncés authentiques issus du British National Corpus (que l’on ne
présente plus) et de deux romans britanniques contemporains. Lorsqu’aucun
exemple ne vient instancier une case, et de peur de la laisser vide par manque
d’exemple plutôt que parce qu’une impossibilité syntaxique se fait jour, il
fabrique également des exemples avec l’aide de deux lecteurs anglophones natifs
(dont l’origine géographique n’est toutefois pas précisée). De cette manière,
une case vide est réellement supposée refléter une impossibilité ou une
agrammaticalité. Il faut noter que les tableaux en question sont repris
dans l’annexe 3c, mais sans les exemples illustratifs. Or, les tableaux avec
exemples (mais pas l’intégralité du corpus utilisé, car l’auteur limite
volontairement à une page la présentation de chaque préposition) sont
téléchargeables sur le site de l’éditeur, et comprennent également l’étymologie
et les définitions de chaque préposition selon les entrées du dictionnaire Merriam-Webster
en ligne. Ces tableaux illustrés d’exemples constituent un complément fort
utile de la lecture de l’ouvrage, et leur mise en ligne constitue sans nul
doute un compromis intelligent, qui satisfait le lecteur désireux d’en savoir
plus. On découvre aussi dans les tableaux annexés comme dans le
corps de l’ouvrage certaines particularités du classement de l’auteur :
ainsi since you ask est sans surprise
répertorié comme un exemple de préposition since
+ forme finie [32] et est opposé à cette même page à l’exemple Recognition is a prerequisite to
understanding, since what has not been recognised can hardly be understood qui
est, selon l’auteur, un exemple de préposition since + construction en WH- ;
on pourrait toutefois arguer que la construction en WH- en question est elle-même le sujet d’une proposition de forme
finie. De même, dans l’annexe en ligne, l’exemple the global economic benefits could be even greater, since many of the
countries involved have high trade barriers… est donné pour illustrer la
catégorie since + pronoun or quantifier.
Or, là encore, il nous semble que cet exemple pourrait tout aussi bien figurer
dans la catégorie since + declarative or
comparative clause. Cette remarque n’a pour but que de montrer le très
grand intérêt suscité par le remarquable travail de relevé et de classification
de l’auteur, qui aurait peut-être mérité d’être encore mieux expliqué au
lecteur, ce dernier souhaitant par moments en savoir plus sur les critères qui
ont mené aux choix opérés, et mieux comprendre dans quelle mesure l’auteur a pu
être amené, dans certains cas, à répertorier et / ou comptabiliser un même
exemple sous plusieurs entrées. On en a du reste parfois un aperçu, comme au
début de la deuxième partie, lorsque l’auteur explique de manière fort
intéressante pourquoi il a été amené à faire un cas particulier des
prépositions pouvant être suivies d’un adjectif substantivé, une distinction
qui aurait pu sembler de prime abord peu pertinente, puisque un adjectif
substantivé appartient de fait à la catégorie du GN ; or, en fonction
d’exemples que lui soumettaient ses informateurs anglophones, M. Simon a jugé
utile de recenser tout de même les exemples d’adjectifs substantivés dans la
catégorie préposition + syntagme adjectival, sans toutefois comptabiliser les
exemples en question dans les statistiques de cette catégorie [38]. Les 97 prépositions sont par la suite divisées en trois
principaux sous-groupes [28] : la catégorie A englobe les prépositions
spatiales ou directionnelles (56 en tout) dont un certain nombre peut également
prendre en contexte une valeur temporelle. La catégorie B regroupe sept
prépositions à sens temporel (à l’exclusion de celles déjà répertoriées dans la
catégorie A) dont deux d’entre elles, as et
since pour ne pas les nommer, font
également partie de la catégorie C, qui s’intéresse pour sa part aux
prépositions pouvant jouer d’autres rôles sémantiques, au nombre de 38. On l’a
donc compris, certaines prépositions peuvent appartenir à plus d’une seule
catégorie. La deuxième partie s’attaque à une analyse systématique,
tout en étant problématisée, des résultats obtenus sous la forme de 97
tableaux. Le but est dès lors de faire sens de ce qui est possible ou
impossible du point de vue des régimes, en gardant en tête les complémentarités
sémantiques (possibles synonymies ou quasi-synonymies) et syntaxiques (during ne peut pas introduire une
proposition à un mode fini, while ne
peut pas introduire un groupe nominal) entre les différentes prépositions. On
est dès lors face à un véritable système, puisque, selon l’auteur, « tout
sauf le hasard semble guider ces différents régimes prépositionnels » [36].
C’est du reste bien ce que semble mettre en évidence le maillage ainsi cartographié
par les 97 tableaux. En ce qui concerne les prépositions qui gouvernent une
forme verbale finie, M. Simon oppose celles qui peuvent l’introduire
directement (rection directe) de celles qui ont besoin de
l’intermédiaire de l’expression nominalisante the fact that (rection indirecte). Il ressort de la confrontation
des deux catégories que, à l’instar des verbes, les prépositions compatibles ou
non avec the fact that le sont en
raison de contraintes logico-sémantiques. Ainsi, le caractère présupposant de
l’expression en question explique que les prépositions à valeur purement
temporelle ne soient pas compatibles avec the
fact that, car elles sont censées communiquer une information nouvelle concernant
l’axe temporel. De la même manière, une préposition dont le sens est purement
spatial ne peut guère s’accommoder d’un introducteur qui situerait
l’information que l’on va communiquer en amont sur l’axe temporel [48]. En
revanche, bon nombre de prépositions à valeur argumentative requièrent la
présence de the fact that. L’auteur passe ainsi en revue les différents cas de
figure (préposition + forme verbale finie / forme verbale non finie / WH- clause / syntagme adverbial ou
prépositionnel / syntagme adjectival / syntagme nominal) par ordre de fréquence
croissant, et tente non seulement de rationaliser, par un examen approfondi des
exemples de son corpus, la distribution de tel ou tel régime en fonction des
différentes catégories de prépositions qui l’utilisent, mais également de
justifier la plus ou moins grande fréquence de tel régime pour une catégorie de
prépositions donnée. De nombreuses références sont faites à l’étymologie et aux
évolutions historiques, tant des prépositions elles-mêmes que des formes
qu’elles gouvernent (le gérondif par exemple [59-60]), ce qui apporte un
éclairage intéressant sur les contraintes observées. Dans la dernière sous-partie de la deuxième partie,
l’auteur aborde le cas qui est à la fois le plus fréquent et le plus
prototypique, à savoir celui dans lequel la préposition gouverne un groupe
nominal ou un pronom. Il revient tout d’abord sur la grande surprise qu’il
avait annoncée au début de la deuxième partie : en dépit de ce à quoi on
se serait attendu, toutes les prépositions qu’il a recensées ne sont pas
compatibles avec cette catégorie. Ainsi, deux prépositions, certes assez rares,
saving et upside, n’introduisent jamais de GN [87] ; dans le même temps,
une dizaine de prépositions ne sont pas aptes à introduire des pronoms. Certes,
ces oiseaux rares sont souvent hérités tels quels du latin (in re, qua…) ou bien archaïsants (ere…), mais l’auteur fait tout de même
remarquer, en se fondant également sur les prépositions qui sont a contrario les plus compatibles avec un
GN et / ou un pronom, que les prépositions appartenant à la catégorie B (les
temporelles) ont nettement moins tendance à introduire des pronoms que celles
des autres groupes. La fin de cette deuxième partie est consacrée à l’étude des
prépositions le plus souvent employées devant un GN ou un pronom, en fonction
de regroupements sémantiques (as et like, near et next to…). Enfin, la troisième partie, intitulée « Contiguïté
prépositionnelle et bilan », se veut complémentaire par rapport à la
deuxième en proposant d’entrer dans le corpus par l’étude de quelques
prépositions spécifiques (au contraire de la partie précédente, qui détaillait
les résultats du corpus régime par régime), et plus particulièrement de celles
que l’auteur qualifie de « polyfonctionnelles », dont as, qui est étudié en premier lieu, est un
exemple prototypique. Sont également analysés à ce titre since, beside / besides et
with / within / without. L’auteur
étudie par la suite certaines prépositions doubles, dont le statut peut parfois
poser problème : ainsi, up against ou
encore up to semblent être des
expressions suffisamment fréquentes et lexicalisées pour pouvoir être
considérées comme des prépositions complexes. Ce n’est toutefois pas aussi
clairement le cas de up through ou
encore up into, et dès lors on peut se
demander si up est alors réellement
employé comme préposition dans de telles expressions, ou plutôt comme particule
adverbiale [113]. Le linguiste s’intéresse par la suite à quelques locutions
prépositionnelles (in spite of, in view
of, in common with…). La comparaison avec des formes simples (par exemple, in spite of vs. despite) amène à la même conclusion que l’étude des prépositions
doubles précédemment : plus une préposition est complexe, moins nombreux
sont les constituants syntaxiques qu’elle peut introduire [124]. Inversement,
« plus une préposition se grammaticalise, plus son champ fonctionnel
s’élargit » [145]. La dernière sous-partie de la troisième partie fait le
bilan des résultats obtenus et sert de conclusion élargie à l’ouvrage. L’auteur
cherche avant tout à affiner les corrélations syntaxico-sémantiques, certes
prévisibles dans bien des cas, mais que son travail sur corpus permet d’étayer
et d’affiner à nettement plus grande échelle qu’aucune grammaire ou
dictionnaire ne pourrait le faire. Au terme de sa monographie, M. Simon propose
de remplacer la division tripartite des prépositions qu’il a utilisée
jusqu’alors par deux grandes catégories ; en effet, les prépositions
spatiales et temporelles relèvent toutes de l’extra-discursif, car elles sont
utilisées par l’énonciateur pour repérer son discours dans le temps et dans
l’espace, tandis que les prépositions de la catégorie C modalisent et balisent
le discours, ce qui les fait fonctionner au niveau intra-discursif [137-138 ;
144]. Il ne s’agit cependant là que d’une autre lecture possible, la division
tripartite ayant par ailleurs l’avantage de matérialiser le caractère charnière
de la catégorie B, car, entre autres, un certain nombre de prépositions
spatiales peuvent aussi avoir un sens temporel, tandis que l’inverse n’est pas
vrai, et que seul since appartient à
la fois à la catégorie B et à la catégorie C [142]. Enfin, la conclusion générale [147-148] dresse un rapide
bilan des régimes observés ainsi que des corrélations entre les trois grandes
catégories à ce propos en fonction des trois ordres de J. Lyons. L’auteur
insiste également sur le caractère présupposant des prépositions, qui peut
contribuer à justifier certains cas très fréquents comme certaines
impossibilités. La conclusion est suivie de plusieurs annexes, dont il a déjà
été question dans le présent compte-rendu. On ne peut que recommander la lecture du travail de M.
Simon, qui s’est attaqué à un territoire finalement assez méconnu de la
grammaire de l’anglais, et qui offre de surcroît un bel exemple de travail sur
corpus. En effet, l’auteur prend le meilleur de chaque approche, en mariant de
manière totalement maîtrisée l’abondance d’exemples d’un corpus électronique
(le BNC), la bonne connaissance du contexte que permet la lecture personnelle de
romans, et enfin la consultation très organisée et systématique de locuteurs
natifs, notamment dans le but de n’oublier aucun cas de figure possible. On apprécie
aussi tout au long de l’ouvrage la présence de tableaux récapitulatifs des principaux
points abordés, qui fixent les idées et facilitent le va-et-vient entre les
diverses sous-parties. Certes, l’ouvrage a aussi par moments les défauts de ses
qualités, notamment parce que le nombre très important de prépositions retenues
et le choix de comptabiliser également dans les régimes des prépositions ce qui
est dévolu de manière traditionnelle aux conjonctions de subordination fait que
l’espace d’une monographie est souvent un peu trop étroit pour faire justice à
l’importance du corpus et aux analyses qu’il mériterait ; l’auteur en est
du reste bien conscient, et mentionne ces limitations à plusieurs reprises.
Ainsi, on regrette par moments que certaines analyses ne soient pas plus
développées, ou que certains regroupements de prépositions, rendus par ailleurs
nécessaires pour faire sens de l’ensemble, empêchent d’approfondir certains cas
particuliers. Un petit bémol aussi concernant la bibliographie, relativement peu
fournie (vingt entrées seulement), et ce d’autant moins qu’elle comprend en
réalité un certain nombre de références généralistes, ou bien spécialisées dans
le domaine des particules adverbiales, alors qu’on se serait attendu à beaucoup
plus de titres concernant les prépositions proprement dites (même si
l’exhaustivité en la matière n’aurait sans doute été ni possible, ni
souhaitable). C’est néanmoins au final une très éclairante cartographie
d’ensemble que nous donne à voir M. Simon, qui se ménage tout de même de
nombreuses possibilités d’entrer dans les détails du système, notamment dans la
troisième partie. De manière certaine, la richesse du corpus rassemblé par
l’auteur et l’impressionnant travail de recensement et de classement auquel il
s’est livré renouvellent de manière significative l’étude des prépositions de
l’anglais.
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