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Les Républicains au Congrès

La résistible ascension des conservateurs américains

 

Alix Meyer

 

Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2015

Broché. 274p. ISBN 978-2753541436. 17 €

 

Recension de Catherine Pouzoulet

Université Charles de GaulleLille III

 

 

 

Paru à la rentrée universitaire 2015, le livre d’Alix Meyer, s’il paraît s’inscrire dans les publications en relation avec la question au programme de l’agrégation d’anglais sur les Républicains américains d’Eisenhower à George W. Bush, n’a pourtant rien d’un livre de circonstance. Il s’agit en fait de l’adaptation d’une thèse soutenue sous la direction de Vincent Michelot, dont les enjeux dépassent largement ceux du concours, et ont d’ailleurs une étrange résonance avec l’actualité politique française ; car au-delà de cette étude des Républicains au Congrès, l’auteur propose une réflexion plus générale sur l’évolution de nos démocraties : « le mouvement de renforcement du pouvoir exécutif au détriment du législatif, le triomphe du fait majoritaire sur la délibération démocratique, est une tendance internationale séculaire. Étudier sa manifestation aux États-Unis doit contribuer à développer une meilleure connaissance des éventuels déséquilibres qu’il engendre » [15]. D’emblée, le sous-titre, « la résistible ascension des conservateurs américains », dissipe l’ambiguïté du descriptif de la question au journal officiel en rétablissant le sens de la dynamique politique qui a vu les conservateurs s’emparer graduellement du parti républicain, et non l’inverse, en même temps qu’il insiste sur leur difficulté à s’imposer et surtout à pérenniser leur contrôle des institutions. Partant en effet du constat que le renforcement du pouvoir exécutif a conduit à une abondance d’études sur l’« impérialisation » de la fonction présidentielle mais à une relative négligence du pouvoir législatif, Alix Meyer a fort judicieusement choisi de s’intéresser au fonctionnement du Congrès et d’adopter une perspective néo-institutionnaliste, en montrant à la fois comment les institutions contraignent les acteurs, mais aussi comment en retour le fonctionnement des institutions passe par des individus particuliers.

C’est donc en se concentrant plus particulièrement sur la période 1994-2006, pendant laquelle les Républicains ont été en position de dominer le Congrès, qu’Alix Meyer se propose de nous livrer une « histoire critique des douze années de gouvernance républicaine à la Chambre » [18] et de faire un bilan de la révolution conservatrice. Il s’agit d’étudier cette relation dialectique entre les élus et les institutions, pour décrire comment les Républicains ont pu changer le Congrès, et modifier un certain nombre de politiques publiques, mais aussi comment ils ont pu être transformés par l’ exercice du pouvoir, et ainsi de mieux comprendre les raisons de leur succès relatif dans certains domaines, mais aussi de leurs échecs, car Alix Meyer estime que somme toute, les institutions ont résisté à cet assaut conservateur et que leur inertie est telle que le changement est, si ce n’est impossible, du moins difficile. Aussi les attentes des électeurs sont-elles d’autant plus vouées à être frustrées que déjà les hommes politiques entretiennent une relation ambiguë avec leur électorat. C’est donc une analyse très subtile, et assez critique, du fonctionnement d’une démocratie représentative que nous livre Alix Meyer, et de la dialectique entre majorité et minorité, le Sénat restant « la dernière institution du système politique américain où la majorité ne suffit pas » tandis qu’au contraire « le fait majoritaire s’est inexorablement renforcé à la Chambre des représentants, réduisant souvent la minorité à un rôle de critique passif » [17]. Le Congrès américain est donc selon l’auteur le meilleur lieu où étudier les « frictions entre individus et institutions » [16], et plus particulièrement le cycle de vie d’un mouvement politique, qui est voué à connaître la même trajectoire que celle des conservateurs américains, « de l’accession d’une nouvelle majorité à sa déchéance finale », lorsque des individus mus par une « volonté de changement radical » se trouvent une fois élus confrontés à une institution qui « tend à l’inertie » [17].

Un premier chapitre tout à fait essentiel pour les agrégatifs retrace l’émergence de ce nouveau conservatisme qui au départ était composé de diverses mouvances militantes puisqu’il y avait au moins trois grands courants dans le mouvement conservateur d’après-guerre, libertaires, anticommunistes et fondamentalistes, et qu’il fallut d’abord un gros travail militant pour tenter de « fusionner » [29] ces différentes composantes de la nébuleuse conservatrice avant même de pouvoir envisager de prendre le contrôle d’un parti. C’est donc très progressivement que s’est constitué un mouvement qui va partir à l’assaut du parti républicain et faire de lui le « parti de la révolution conservatrice » [21]. Alix Meyer commence par débusquer cet oxymore de la révolution conservatrice en expliquant que ces révolutionnaires auto-proclamés sont en effet motivés par une révolte, un rejet des changements institutionnels et politiques introduits par le New Deal et qui, à l’époque où ils commencent à faire entendre leur protestation, sous Truman puis Eisenhower, paraissaient irréversibles, alors que le libéralisme à la Roosevelt semblait faire consensus et allait triompher dans les élections de 1964. Le conservatisme moderne se construit donc dans l’opposition aux politiques du New Deal et connaît de nombreux échecs, mais Alix Meyer fait très justement remarquer que les revers électoraux du parti républicain pendant cette période ne veulent pas dire pour autant que le conservatisme ne trouve aucun écho dans l’opinion, et il ne faudrait pas donc conclure à un « rejet du conservatisme » dans tout le pays. Au contraire, au Congrès en particulier, il y a une très informelle mais réelle coalition conservatrice entre Démocrates sudistes qui s’allient à la minorité républicaine. Aussi la défaite « colossale » [31] de Goldwater en 1964 ne fait-elle pas illusion, car même si, dans l’instant, on prononce le conservatisme mort et enterré devant un libéralisme triomphant, c’est une défaite « en trompe l’œil » [30] qui trahit au contraire des recompositions en cours et l’émergence d’un conservatisme « décomplexé, volontaire et optimiste » [33] qui va bientôt permettre l’élection de Nixon et surtout consacrer le nouveau positionnement du parti républicain sous la pression de cette nouvelle droite. Car la candidature de George Wallace achève de discréditer le républicanisme modéré d’Eisenhower et jette « les bases rhétoriques des futures victoires républicaines » [36].

Certes l’affaire du Watergate laisse le parti républicain « à terre » [37] sans affaiblir le mouvement conservateur mais Nixon avait déjà esquissé une convergence entre le mouvement conservateur et le parti républicain. Au moment où le réveil religieux voit le retour en politique des évangéliques et fondamentalistes, et où apparaissent sur la scène politique les néo-conservateurs partisans d’une politique étrangère plus agressive, c’est un mouvement conservateur puissant mais divisé qui va permettre en 1980 l’élection de Reagan, et créer la confrontation entre une volonté affichée de rupture avec les politiques antérieures, même si Reagan lui-même ne parle pas de « révolution », et l’exercice du pouvoir. L’ère Reagan laisse un bilan mitigé, d’une part parce que les deux grands objectifs que se donnent les conservateurs de réduire les impôts et de combattre les déficits s’avèrent vite antagonistes, mais aussi parce que, malgré sa popularité, Reagan s’affronte à un Congrès encore largement dominé par les Démocrates, et si Reagan a fait de l’économie de l’offre la nouvelle orthodoxie après des décennies de politique keynésienne, les résultats inégaux de cette révolution reaganienne montrent les limites de l’action présidentielle. Aussi les conservateurs sont-ils conduits à s’interroger sur la « capacité du président des États Unis à entraîner seul une révolution » [48]. La présidence de George H. Bush est ensuite affaiblie par une nouvelle situation de cohabitation à l’américaine (divided government), et génère de nouvelles frustrations, avant qu’en 1992, dans une élection triangulaire avec la candidature de Ross Perot qui popularise des thèmes conservateurs comme le retour à l’équilibre budgétaire, la victoire de Clinton ne vienne infliger un nouveau revers aux conservateurs, qui vont toutefois trouver dans la position dominante des Démocrates, qui se retrouvent seuls à la tête du gouvernement fédéral, forts de leur majorité dans les deux chambres au Congrès et de leur nouveau président, un puissant facteur de remobilisation qui aboutit aux élections à mi-parcours de 1994.

Celles-ci constituent un véritable séisme politique devant le raz de marée républicain de candidats ralliés au « Contrat avec l’Amérique » qui donnent enfin à un parti républicain rénové, et repositionné sur les thématiques conservatrices, un statut majoritaire. Cet engagement des candidats avant même leur élection constitue selon Alix Meyer un véritable « tournant dans l’histoire politique du pays » [61] et illustre une nouvelle conception de la politique selon laquelle les élus auraient conclu avec leurs électeurs l’engagement de respecter les termes d’un programme de gouvernement. Cette démarche répond à la volonté d’unifier le parti républicain, de nationaliser l’élection et d’anticiper le travail législatif. Ces élus, dynamisés par leur opposition véhémente au président Clinton, adoptent aussi une attitude de rejet de tout compromis avec les Démocrates, déjà initiée au sein des Républicains par la minorité conservatrice qui avait, sous la houlette de Newt Gingrich, pratiqué un harcèlement de la majorité démocrate et le refus de toute coopération assimilée à une compromission. À partir de là, le choix d’Alix Meyer de « décentrer le regard de l’autre côté de Pennsylvania Avenue sans jamais feindre d’ignorer les actions présidentielles » [15] prend toute sa mesure et donne à voir, de l’intérieur, les contradictions de cette révolution conservatrice qui se construit sur une dénonciation violente de la majorité démocrate présentée comme « sclérosée, antidémocratique, amorale et même criminelle » [13] mais qui va se trouver aux prises avec de formidables obstacles institutionnels. Aussi les Républicains vont-ils être contraints de revoir à la baisse leurs objectifs et être empêchés de mettre en œuvre le contre-modèle conservateur dont ils rêvaient pour les États-Unis.

C’est l’histoire de cette révolution « rhétorique », d’abord dans les mots, beaucoup plus nuancée dans les politiques publiques, que raconte Alix Meyer dans des chapitres denses, touffus, parfois très techniques, mais d’une très grande richesse pour tout politiste et historien du politique. Après une étude approfondie du « Contrat avec l’Amérique », il nous livre, en comparant les cohortes du 104e (1995-1996) et 109e Congrès (2005-2006), une étude sociologique du groupe parlementaire républicain qui montre, avant le retour en force en 2006 des Démocrates qui met un terme à douze ans de domination républicaine, la prise de contrôle totale par les conservateurs du parti républicain. Celui-ci a achevé sa mue et a accompli une véritable révolution, de géographie électorale, en ayant cessé d’être perçu comme le parti des Yankees de Nouvelle Angleterre pour recruter massivement dans les anciens États de la Confédération, autant qu’une révolution idéologique, en ayant éliminé son aile progressiste ou modérée. Suivent ensuite deux grandes études de cas, l’une sur les questions fiscales (Budgets et impôts), l’autre sur les « difficiles réformes de l’État-providence », qui montrent le délicat exercice du pouvoir, avec des Républicains pourtant déterminés et chantres d’une révolution conservatrice obligés de composer avec le président et la minorité sénatoriale. Contraints dans un cas à l’impuissance (à peine résorbés, les déficits budgétaires reviennent au galop, certes à cause des dépenses militaires engagées après les attentats du 11 septembre 2001) ; dans l’autre, à voir leurs premières victoires dans la réforme de l’aide sociale (Welfare) contrebalancées, contre toute attente, par leur introduction de nouveaux programmes (la couverture des médicaments, Medicare D, et le programme scolaire No Child Left Behind) ou leur échec à privatiser le système des retraites (Social Security). Alix Meyer conclut donc, au terme de ces études approfondies, qu’ « après douze années de majorité républicaine au Congrès, les conservateurs n’ont donc pas terrassé l’État-providence » [149], même s’il concède que les conservateurs ont réussi à infléchir un certain nombre de politiques publiques, en privilégiant certaines catégories de la population (les personnes âgées par exemple) au détriment d’autres (les plus pauvres), ou certaines priorités, souvent dans un souci électoraliste à court terme (en poursuivant par exemple les baisses d’impôts au prix d’un abandon de la discipline fiscale et de la réduction des déficits).

Le livre d’Alix Meyer s’achève sur une analyse extrêmement nuancée du phénomène de « polarisation » tenu pour responsable d’une crise du politique et d’une inefficacité des politiques publiques. En particulier, il fait une distinction importante entre polarisation partisane au niveau des appareils de parti, à mesure que s’est opérée la lente convergence entre le mouvement conservateur et le parti républicain, alors que dans le même temps les Démocrates, délestés de leur aile conservatrice, en particulier sudiste, devenaient de plus en plus progressistes, créant un phénomène de « répulsion réciproque » [11] peu propice aux compromis bipartisans qui jusque-là avaient présidé au bon fonctionnement du Congrès, et la polarisation idéologique des électeurs, sur laquelle les avis sont partagés. Plus fondamentale paraît la question de la véritable responsabilité politique des élus, qu’Alix Meyer relativise toutefois en insistant sur les contradictions de l’électorat lui-même. Les années 2000 voient en effet un électorat de plus en plus versatile : à peine avec l’élection de George W. Bush les Républicains se sont-ils affranchis de l’obstacle d’un président démocrate et ont-ils gagné les rênes de l’État fédéral qu’ils sont lourdement sanctionnés par les élections à mi-mandat de 2006 qui voient les Démocrates triompher et regagner leur majorité au Congrès. Cette lourde défaite électorale met un point final à une révolution conservatrice qui avait déjà été abandonnée, sans que les Démocrates, renforcés en 2008 par l’élection d’Obama, parviennent à mieux faire que les républicains. À leur tour, ils se font lourdement sanctionner par les élections de 2010, dominées par l’émergence d’une nouvelle force politique extrémiste, le mouvement ultra-conservateur du Tea Party. Le livre s’achève, comme il avait commencé, sur l’épisode affligeant de la fermeture contrainte du gouvernement des États-Unis pendant quelque seize jours en octobre 2013, rappel d’un épisode similaire sous la présidence Clinton en janvier 1996, où les élus radicaux du Tea Party se rallient à la même posture jusqu’au-boutiste que leurs aînés « révolutionnaires ». Dans un contexte de polarisation partisane aiguë, la minorité du Tea Party au sein du parti républicain n’a donc fait que créer un blocage quasi-total du processus législatif, sans permettre au parti républicain d’atteindre aucun des objectifs qu’il s’était fixés, notamment d’obtenir la révision ou l’abrogation de la réforme de santé honnie des conservateurs connue sous le sobriquet d’Obamacare.

Cette étude particulièrement riche, passionnante en ce qu’elle donne vraiment à voir le fonctionnement du Congrès, au prix de précisions parfois très techniques mais nécessaires (filibustes, cavaliers budgétaires, motion de clôture des débats, rôle du Speaker et des Leaders dans la conduite des groupes parlementaires et des commissions…) et parfois aussi de certaines répétitions (la procédure de résolution budgétaire est ainsi analysée plusieurs fois sous divers angles) laisse le lecteur médusé sur le rôle de blocage que jouent les conservateurs. Le comportement d’opposition jusqu’au-boutiste, presque irrationnel, de la frange radicale de la majorité républicaine pose le problème de la relation aux électeurs car ces élus s’estiment légitimés par un puissant sentiment anti-étatique de la part de leur électorat. Alix Meyer a cette formule laconique : « rendre l’État fédéral ingouvernable c’est déjà gouverner » [247]. Paradoxalement, cette posture extrémiste place en position d’arbitres au Congrès les Républicains modérés du Sénat et la minorité démocrate de la Chambre, qui se trouvent en mesure d’imposer leurs conditions. Une telle attitude n’incite guère à l’optimisme sur la résolution de la crise du politique, à un moment où les Américains n’ont jamais éprouvé une telle défiance de leurs élus. Le grand soir conservateur n’a pas eu lieu, et la révolution conservatrice laisse un bilan plus que mitigé alors qu’elle s’est heurtée aux capacités de résistance du système politique. Mais les postures extrémistes des élus du Tea Party n’ont fait que créer un blocage préjudiciable à la bonne marche des institutions et finalement anti-démocratique.

 

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