Jeremy Bentham’s
Prison Cooking A Collection of Utilitarian Recipes
Jeremy Bentham
Edited by Alysha Owen, Joanna O'Neill, Tolu Ogundipe, Katarzyna Gambus,
DeAndra Lupu & Jennifer Timmins Foreword by Fergus Henderson. Introduction
by Timothy Causer Commentary by Annie Gray. Illustrations by Jake Lamerton University College London Library, 2015 Hardcover. ISBN 978-0905937137.107p. £9.00
Recension d’Anne Brunon-Ernst Université Paris 2 et Centre Bentham
Tout utilitaristes qu’ils sont, les benthamiens
du Bentham Project (UCL, Londres) ne
manquent pas d’humour. Ils viennent de publier un petit ouvrage qui est une
compilation de recettes de cuisine, rassemblées par Bentham, en vue de nourrir
la population pénitentiaire des Panoptiques. L’ouvrage de 107 pages, se compose
d’une table des matières, d’une préface du chef britannique Ferguson Henderson,
d’une introduction de Tim Causer, qui permet de placer les recettes dans le
contexte du projet panoptique, ainsi que d’une note explicative précisant le
fonctionnement du double système de notes, l’un par Bentham et l’autre par
Annie Gray, historienne de l’alimentation, commentant ces recettes. Les
recettes à proprement parler suivent : elles sont introduites par les
conseils de Bentham sur la gestion d’une cuisine et les règles pour économiser
la nourriture et le chauffage. Quatre catégories de recettes sont
présentées : les soupes, les pains, porridges
et puddings, les plats principaux et
les desserts. Les manuscrits dont sont issues les recettes ont été transcrits
par des volontaires, dans le cadre du projet de transcription collaborative (Transcribe Bentham). Une section est
donc dédiée au projet et aux commentaires de certains de ces transcripteurs. La parution de ce livre doit
certainement à un intérêt qui ne faiblit pas pour les recettes de cuisine. Cependant,
il y a lieu de s’interroger sur l’utilité d’un tel ouvrage, qui ne va pas
servir à la bonne ménagère britannique, à moins qu’elle ne cherche à
empoisonner sa famille. L’intérêt d’un
tel ouvrage est de l’ordre de la transmission d’un savoir, plus que
véritablement la transmission d’un savoir-faire. En effet, les instructions
sont souvent vagues, les mesures imprécises, et les abréviations fréquentes,
rendant la fabrication effective d’un plat à l’aide de ce guide malaisée. À sa décharge, si Bentham est
l’auteur des recettes, il revient à Tim Causer, avec l’aide de son équipe de
transcripteurs bénévoles, d’avoir édité et publié cet opuscule. Si les recettes
sont composées par Bentham à la fin du
XVIIIe siècle, le livre de recettes, en tant qu’ouvrage qui vise à transmettre
un savoir culinaire, est le fait du Bentham Project. La notion de transmission
est encore complexifiée ici par le fait que Bentham reprend souvent des
recettes courantes à son époque, de la maison royale de George III (pour
les soupes médicinales) à l’atelier (pour les soupes nourrissantes). La raison d’être de ce livre de
recettes est peut-être plus particulièrement à trouver dans le
sous-titre : « Compilation de recettes utilitaristes ». Une
recherche terminologique rapide d’usage de la langue sur Internet montre que le
concept même de recette de cuisine utilitariste est inexistant. Bentham en
aurait-il inventé le principe et aurait-il fallu attendre septembre 2015 pour
qu’enfin les gourmets puissent découvrir l’utility
food ? Qu’est-ce que la cuisine
utilitariste ? La cuisine utilitariste est destinée à un certain public :
c’est de la cuisine pour les pensionnaires des panoptiques. Dans une vision
purement marketing, le titre Panopticon
Cooking aurait certainement été plus accrocheur que Prison Cooking. À moins que l’objectif ait été de cibler la
ménagère britannique qui connaît les prisons, mais pas le Panoptique. Une fois le caractère pénitentiaire des
recettes identifié, il est aisé de circonscrire les principes directeurs de la cuisine
panoptique. Comme les pensionnaires du Panoptique sont entretenus sur des
deniers publics, pour commencer, et ensuite dans un système d’externalisation
par contrat de gestion des prisons, la nourriture doit être la moins chère
possible. Cependant, n’oublions pas deux
points importants. En premier lieu, l’utilité signifie la maximisation du
bonheur individuel et collectif. Les prisonniers ne doivent pas être affamés
dans les prisons. Quel que soit le crime commis, ils ne méritent pas la mort.
En second lieu, le maître mot du nouveau régime de gouvernance que met en place
l’utilité est le principe du calcul coût/bénéfice. Afin que le prisonnier
rembourse le coût de son entretien (et que la gestion d’une prison soit une
entreprise rentable), il doit être productif. Sa productivité n’est assurée que
s’il est convenablement nourri. Les recettes utilitaristes
témoignent de ce calcul coût/bénéfice. Les légumes, la viande, et la farine les
moins chers sont sélectionnés. Pour ce qui est de la viande, Bentham
sélectionne par exemple les bas morceaux (tripes, foie, os à moelle, rognons,
pieds, etc.) au lieu des morceaux
nobles. Néanmoins, l’ensemble propose des repas équilibrés. En outre, Bentham
introduit une information tout utilitariste dans ses recettes : pour
chacun des plats proposés, le coût de la main d’œuvre pour l’élaboration des
plats est indiqué (en plus du coût des matières premières comme
traditionnellement dans les recettes des bonnes ménagères ou dans les comptes
des maisons bourgeoises). Le goût a sa place dans
l’arbitrage coût/bénéfice. Le goût, qui apparaît dans les recettes par
l’utilisation d’assaisonnement, a un coût, qui est chiffré au même titre que
les autres ingrédients. Tous les plats sont assaisonnés, leur goût relevé avec
des épices (poivre, piment, gingembre, etc.),
des herbes et des condiments divers (sel, etc.)
Une section est réservée aux desserts, qui comprennent custard, baked pears, gooseberry pudding et apple cake. Revenons aux fondamentaux,
car cette cuisine n’en n’est pas moins bonne pour être utilitariste. Le bonheur
benthamien ne s’évalue-t-il d’ailleurs pas par la supériorité des plaisirs sur
les douleurs ? Si ce livre de recettes a fort peu
d’intérêt pour la ménagère du XXIe siècle, les ingrédients étant difficiles à
se procurer (certains n’existent plus de nos jours) et les instructions
rarement assez précises pour reproduire un des plats mentionné, l’avantage d’un
tel ouvrage réside dans ce qu’il nous apprend sur l’utilitarisme et son
application au champ culinaire.
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