Les Voyageuses britanniques au XVIIIe
siècle L'étape
lyonnaise dans l'itinéraire du Grand Tour
Sous la direction d'Isabelle Baudino
Collection Des idées
et des femmes Paris :
L'Harmattan, 2015 Broché. 262 pp. ISBN
978-2343063638. 31 €
Recension
de Suzy Halimi Université Sorbonne
Nouvelle-Paris3
Dans son excellente préface, l'auteur situe l'ouvrage
dans le contexte des récits de voyage écrits et publiés par les Grands
Touristes anglais pendant le « long dix-huitième ». Un livre de plus
sur cette littérature déjà riche? Non pas, celui-ci présente deux originalités: - Un corpus intéressant, car il s'agit non de
voyageurs britanniques, mais de femmes, se déplaçant seules – fait assez
singulier pour l'époque – ou accompagnées et consignant dans leur journal
leurs impressions, remarques et commentaires entre 1718 et 1839, textes publiés
ensuite entre 1763 et 1841, « récits méconnus, peu étudiés, absents des
anthologies » [15]. On se félicite
donc de l'attention portée à ces sources primaires, dévoilées ainsi aux
lecteurs. - Par ailleurs, le choix a été fait de « limiter
l'exploration à la ville de Lyon », « place centrale dans les
itinéraires et sur les cartes » [17], étape privilégiée des Grands
Touristes sur la route de l'Italie ou à leur retour, un sujet qui n'a guère
jusqu'ici retenu l'attention des critiques spécialistes du Grand Tour. Ce sont donc des études de cas qui font l'objet d'une
approche pluridisciplinaire, de regards croisés associant des historiens, des
géographes, des anglicistes et des historiens de l'art. Entre les pages 76 et
77 figurent en outre plusieurs illustrations de belle qualité montrant les
lieux fréquentés par les voyageuses lors de leur « étape lyonnaise ». L'ouvrage est divisé en deux parties d'inégale longueur.
La première intitulée « Lyon et les voyageuses » regroupe neuf
articles et la seconde, « Lyon et au-delà », ajoute deux
contributions, un peu excentrées par rapport au sujet : l'une sort du
cadre chronologique avec « Diary of an Ennuyée : The pains and
privileges of being a nineteenth-century invalid traveller in Italy »
d'Anna Jameson (1826); l'autre déborde du cadre géographique pour évoquer la
traversée des Alpes, « Remembering the mules : Eighteenth-century
British women travellers in the Alps ». Vient ensuite une riche bibliographie sélective,
présentée selon les normes en vigueur ; une lacune cependant : il
nous semble que le livre de Marie-Madeleine Martinet, Le Voyage d' Italie dans les
littératures européennes (1997) aurait pu y figurer en bonne place. Puis
c'est la présentation des auteurs ayant contribué à l'ouvrage, le résumé des
articles en français et en anglais, une liste des illustrations et enfin, un Index Nominum, fait rare – et d'autant
plus appréciable – dans un ouvrage collectif. La présentation de l'ensemble est
irréprochable. Place donc d'abord au cadre géographique. Gilles Bertrand
aboutit à un constat assez frustrant : « Lyon est absent des index
qui figurent dans l'ensemble des guides de voyage » de l'époque [35]. Quelques-unes des Britanniques du corpus
sont sensibles, néanmoins, mais de façon très sporadique aux manufactures, à la
cité commençante, mais portent « un regard hâtif et distrait sur la ville »
[50]. Le géographe Bernard Gautiez scrute aussi ces « informations très
limitées » [78] livrées par les voyageuses : la beauté des quais, les
ponts qui enjambent le fleuve et le panorama à partir de la colline de
Fourvière… guère plus. Mais entre ces deux contributions s'insère, bien à
propos, l'article que signe Silvia Blasio « [An] emotion recollected in tranquillity : Le voyage en France
de William Marlow et son étape à Lyon [63-76]. Il ne s'agit certes pas d'une femme,
mais d'un peintre qui a fixé sur la toile certaines vues de la ville, dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle, les lieux mêmes évoqués par les voyageuses du
corpus ; ce sont les illustrations qui figurent dans l'ouvrage entre les
pages 76 et 77. L'historien Olivier Zeller nous livre une analyse fine
des lieux de sociabilités lyonnaises [97-119] : les lieux essentiellement
fréquentés par les hommes (café, cabaret billard etc.), les espaces plutôt féminins (lavoir, marché, fontaine, etc.) et d'autres enfin réservés à la
mixité (théâtres, promenade). Il découvre dans le journal de Marianne Starke « une
véritable pépite » [103] : la liste des établissements lyonnais dont
l'accueil et l'hospitalité sont jugés de qualité ; point de vue d'une
femme appartenant à la gentry, ayant
le souci de préserver son rang social. Référence est aussi faite aux sociabilités
de voyage, plaisirs et désagréments « dans le huis clos des berlines »
[115 ]. Un article intéressant, celui de Nicole Pellegrin, est
consacré au couple Joseph et Anna Cradock, qui passent ensemble dix jours à
Lyon en 1784, et laissent tous deux le récit de leur périple. Y aurait-il un
point de vue féminin et un autre masculin sur l'étape lyonnaise? Il n'en est
rien : la première, bonne épouse, dénuée d'« ambition littéraire »,
aurait collecté, les informations « avant la rédaction personnalisée et
masculinisée des mémoires du mari » [132] ; mais on ne saurait parler
d'une écriture « féminine » à propos des notes d'Anna ! Puis
voici Miss Mary Berry, choisie par Nicolas Bourginat, qui effectue trois
passages à Lyon: 1783-1785, 1802-1803, 1816-1818. Cette « chroniqueuse de
la vie mondaine », trouve à Lyon « une mentalité bourgeoise étriquée »
[151], qui ne l'attire guère, et préfère entamer un couplet presque convenu sur
« la ville martyr », victime des excès de la Terreur [153]. Le rappel de ces événements historiques inspire son
article à Stéphanie Gourdon, qui s'intéresse à Helen Maria Williams… qui n'est
jamais allée à Lyon, même si elle a laissé des Letters from France !! et qui en dresse, par ouï-dire une « vision
fantasmée » [160], avec une rhapsodie sur la « liberté comme idéal »
[161] et des invectives contre les marchands lyonnais assimilés aux
aristocrates… Mais Helen Maria Williams entre-t-elle vraiment dans le corpus
des voyageuses britanniques ayant séjourné à Lyon au cours du long XVIIIe ??
Même fantasme chez Ann Plumptree, à laquelle s'intéresse Stephen Bending. Elle,
en revanche, a bien visité Lyon en 1802, mais la ville qu'elle décrit est celle
de souvenirs, une ville qui n'aurait pas changé depuis 1792, la victime de la
Terreur ; encore le couplet obligé… Enfin, Lady Elizabeth Montagu, duchesse de Buccleuch, fait
une brève apparition sous la plume de Stephen Lloyd [137-141], moins pour les
trois jours passés à Lyon en 1786 que pour le tableau peint par Henri-Pierre
Danloux, entre 1796 et 1798, dans la tradition des conversation pieces, tableau figurant parmi les illustrations
ajoutées à l'ouvrage. Les deux dernières contributions se situent, comme nous
l'avons dit, hors des limites chronologiques et géographiques assignées à cet
ouvrage. Elles lui apportent cependant un éclairage complémentaire intéressant.
Au-delà de Lyon, il y a la traversée des Alpes, à dos de mulet, non sans danger
dans des paysages escarpés : expérience effrayante et fascinante tout à la
fois, expérience du sublime, dans le sillage d'Addison et de Burke, analysée
par Patrick Vincent [205-221]. Et combien de voyageuses du corpus auraient-elles
pu se reconnaître dans « The Diary of an Ennuyée », d'Anna Jameson
pour qui l'Italie, au lendemain d'une douloureuse rupture sentimentale, est en
même temps, ‘a place of beauty and decay’
[197], en harmonie avec sa propre langueur ? (Hannah Sikstrom). Mais
entre ce témoignage tardif et les précédents, le romantisme commence à poindre… En conclusion, un ouvrage de qualité appuyé sur un
ensemble de documents pour la plupart inédits, un sujet somme toute assez mince
(l'étape lyonnaise), mais dont les auteurs ont su tirer le meilleur parti. Une
contribution originale et intéressante à la riche littérature consacrée aux
récits de voyage et au Grand Tour au cours du « long dix-huitième ».
Cercles © 2016 All rights are reserved and no reproduction from this site for whatever purpose is permitted without the permission of the copyright owner. Please contact us before using any material on this website.
|
|
|