Back to Book Reviews

Back to Cercles

 

      

Énonciation, texte, grammaire

De la linguistique à la didactique

 

Sous la direction de Muriel Barbazan

 

Collection Rivages linguistiques

Presses universitaires de Rennes, 2013

Broché. 236 pages. ISBN 978-2753522756. 15 €

 

Recension de Marie-Christine Deyrich

Université de Bordeaux

 

 

Le présent ouvrage fait suite à un colloque intitulé Énonciation et texte au cœur de la grammaire qui s'est tenu en 2009 à l'université de Toulouse le Mirail et dont l'objectif annoncé était de faire avancer le champ de la description grammaticale en prenant appui sur des points d'articulation entre l'héritage de la grammaire traditionnelle et des propositions descriptives issues de la linguistique discursive. À cet effet, l'étude transversale de cet ouvrage propose de s'intéresser à l'état actuel des recherches sur la grammaire et le discours, en situant le débat dans le champ de la linguistique ainsi que de la didactique, eu égard à l'importance des paramètres énonciatifs et textuels en didactique des langues maternelles et étrangères, d'où le sous-titre De la linguistique à la didactique. L'ouvrage comporte douze contributions qui, comme le précise Muriel Barbazan dans l’introduction, concourent à une diffusion interdisciplinaire des avancées de la recherche sur la grammaire et le discours, à la fois sur le plan de la gestion mentale du langage et sur celui des descriptions linguistiques et didactiques. Ce fil conducteur propose ainsi un accès transversal touchant à différents domaines de référence pour nourrir les interrogations et les pratiques du lecteur dans le champ de la linguistique ou de la didactique des langues, s’agissant essentiellement du français langue maternelle ou langue seconde.

Les cinq premières contributions adoptent un point de vue linguistique, dans des travaux concernant le français, et se référant à des domaines allant de la théorie des actes de langage à la stylistique, en passant par l’analyse du discours et la grammaire de texte.

La première contribution s’intéresse à un procédé linguistique, s’agissant de la « réduplication ». Dans son article intitulé « La réduplication des mots d’un point de vue illocutoire : Une stratégie discursive pour insister beaucoup beaucoup », Gaétane Dostie se fonde sur le « Corpus de français parlé au Québec » pour examiner le phénomène de réduplication, notamment dans une mise en perspective des mots (dont certains seraient plus aptes à se rédupliquer), de l’acte illocutoire d’insistance, et de la modalité (envisagée dans cette recherche comme concernant soit le « dit » soit le « dire »).

Le texte de Catherine Collin, « Disons, Mettons, Supposons : Les valeurs de l’impératif dans un corpus de vulgarisation scientifique », analyse le discours scientifique de vulgarisation dans lequel l’auteur répertorie et analyse les phénomènes relatifs à l’injonction en –ons [45] : mouvement de reprise dans lequel elle relève des exemples ayant valeur de ‘statut de fait’, dont la validation est censée dépendre du co-énonciateur. Dès lors, comme elle le signale dans la conclusion, ce type d’injonction crée une continuité énonciative et discursive, tout en introduisant un changement d’orientation.

La contribution suivante, sous le titre : « Fonctionnement textuel et valeur prototypique : L’interprétation des participes présents adjoints dans le discours écrit littéraire et journalistique » compare des deux corpus en ce qui concerne les valeurs discursives du participe présent. Celles-ci, dépendent, selon les auteurs Eva Havu et Michel Pierrard, de leur position dans l’énoncé ainsi que du type de texte, le participe présent étant plus commun dans le texte écrit, eu égard à son orientation plus distanciée.

Pour sa part, Laure Anne Johnsen analyse les questions relatives à la position des pronoms libres et aux modulations référentielles, en se fondant sur deux niveaux d’analyse pour un corpus d’exemples à l’oral dans l’article intitulé : « Anaphore pronominale indirecte en micro- et macro-syntaxe ».

La question de la délimitation des unités textuelles et, partant, des domaines de référence de la linguistique est posée d’emblée par Jean-Marc Colletta. Dans son article « Arguments pour une approche paramétrique de l’acte et du texte », l’auteur indique précisément l’orientation pragmatique qu’il adopte (pour un texte envisagé avant tout comme une action de communication) ainsi que l’ancrage contextuel du texte, mettant ainsi en relation le texte envisagé comme production langagière et la filiation génétique dans l’acquisition du langage.

Dans une perspective de « grammaire textuelle », Muriel Barbazan propose une mise en relation de l’analyse linguistique et de la didactique pour répondre aux attentes des enseignants de langue concernant les facteurs qui guident la compréhension et la production de textes. Sous le titre « Structure des textes et didactique : Décrire des routines cognitives pour en identifier les marqueurs linguistiques », l’auteure propose une description des principes cognitifs à l’œuvre dans le traitement de la macro structure textuelle et une réflexion sur le guidage susceptible de favoriser l’acquisition de routines de lecture [113-114].

Les deux contributions suivantes se penchent sur l’énonciation dans une perspective grammaticale dans le cadre de l’enseignement du français.

Pour Fanny Rinck, Francis Grossmann et Françoise Boch, l’enseignement de la grammaire pose un problème majeur, parce qu’il ne prend pas suffisamment en compte les phénomènes énonciatifs. Sous le titre « Observer le rôle des guillemets dans un corpus : Une voie d’accès à l’énonciation ? », les auteurs proposent une étude du discours rapporté en français, qui est censée permettre la jonction entre le « niveau phrastique » et le « niveau discursif » [135] et qui débouche sur une expérimentation didactique [140-146] pour un public d’étudiants en sciences du langage.

La question de l’énonciation se pose en relation avec le travail de l’enseignant sur l’argumentation, pour Daniel Bain et Sandra Canelas-Trevisi, dans leur texte « Paramètres de l’énonciation et utilisation de termes métalangagiers dans l’enseignement du texte argumentatif ». Les auteurs ont analysé la façon dont les enseignants caractérisent la « situation d’énonciation » [164] des textes étudiés.

Les textes suivants relèvent davantage de la recherche en didactique.

La contribution d’Asela Reig Alamillo et Jean-Marc Colletta « Apprendre à raconter, apprendre à commenter » concerne la posture énonciative de narrateur et l’évolution des capacités narratives à partir d’un corpus de productions narratives distribuées dans trois groupes d’âge (enfants de maternelle, du primaire et adultes).

Sous le titre « Subjonctif vs indicatif dans l’interlangue française d’apprenants avancés », Pascale Hadermann compare l’emploi différencié des modes en français, effectué, d’une part par un public d’apprenants francophones, et d’autre part, par un public d’apprenants néerlandophones. Pour ces derniers, les défaillances sont envisagées essentiellement en termes de « défaillances dans les connaissances procédurales » [205], et non pas déclaratives, ce qui amène l’auteure à proposer une plus grande intégration de productions authentiques dans la L2.

Peut-on enseigner le verbe autrement ? La question que pose Jean-Pierre Sautot dans son article « Construction interactive d’une norme textuelle en classe » trouve son origine dans le désarroi des enseignants de l’école élémentaire, lorsque les programmes officiels les ont enjoints à une pratique nommée « observation réfléchie de la langue », en rupture avec les méthodes déductives alors dominantes dans les pratiques pédagogiques de l’enseignement du français. Pour traiter ce « problème didactique d'ampleur », l’auteur se fonde sur les apports d’une recherche-action qui s'est attachée à développer des situations d'enseignement-apprentissage susceptibles de compléter les méthodes déductives ; la gageure dans l’élaboration de tels dispositifs étant de viser la cohérence, tant sur le plan pédagogique que sur le plan linguistique.

Ce dernier article met en évidence la tension impérieuse entre linguistique et grammaire, tension que la didactique des langues, et notamment la didactique de l’anglais langue étrangère, a eu l’occasion d’explorer depuis quelques décennies. Nous évoquons ici plus particulièrement les recherches qui ont porté les apports d’une démarche « conceptualisatrice », en référence aux travaux fondateurs de Danielle Bailly (1997), dans des dispositifs se fondant sur la conceptualisation par les apprenants. Dans cette perspective, le concept de « transposition didactique » (Chevallard, 1991) a été sollicité et repensé pour une opérationnalisation de la linguistique, dans une démarche qui ne soit pas « applicationniste ». Dans Énonciation, texte, grammaire : De la linguistique à la didactique, on observe que la réflexion sur l’articulation entre linguistique et grammaire est toujours d’actualité mais aussi qu’elle ne semble pas avoir pris en compte les avancées précédentes de la recherche en didactique de l’anglais et des langues. L’absence de références aux travaux précurseurs dénoterait-elle un cloisonnement des recherches des didactiques des langues ? En tous les cas, des rapprochements épistémologiques mériteraient d’être effectués.

Pour conclure, nous considérons que les articles de cet ouvrage présentent un champ d’observation diversifié et susceptible d’intéresser les chercheurs en linguistique qui se préoccupent des aspects didactiques dans l’enseignement de la grammaire, et des choix ainsi que des infléchissements des emprunts théoriques. De notre point de vue, ces choix théoriques devraient pouvoir se fonder strictement sur leur utilité pour l’efficacité de l’apprentissage, le savoir de la communauté « savante » ne pouvant intervenir en l’état dans la salle de classe. Cette préoccupation, manifeste dans quelques textes de cet ouvrage et implicite dans d’autres, rejoint la position d’Antoine Culioli qui écrivait déjà en 1979 : ‘linguistics should essentially be behind the teacher, not in front of the class’.

 

_____________________

 

Ouvrages cités

 

Bailly, Danielle. Didactique de l’anglais : Objectifs et contenus de l’enseignement, vol. 1. Paris : Nathan, 1997.

 

Chevallard, Yves. [1985]. La Transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée sauvage, 1991.

 

Culioli, Antoine. ‘Why teach how to learn to teach what is best learnt untaught’. Cahiers de Charles V, 1 (1979) : 199-210.

 

Cercles © 2015

All rights are reserved and no reproduction from this site for whatever purpose is permitted without the permission of the copyright owner.

Please contact us before using any material on this website.