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Une histoire du Royaume-Uni de 1900 à nos jours

 

François-Charles Mougel

 

Paris : Perrin, 2014

Broché. 576 p. ISBN 978-2262037475. 25€

 

Recension de Xavier Boniface

Université du Littoral Côte d'Opale

 

 

L’auteur, professeur émérite à l’IEP de Bordeaux, est un spécialiste reconnu du Royaume-Uni, auquel il a consacré de nombreuses synthèses qui font toujours référence. Le livre dont il est rendu compte ici reprend, pour une part, un précédent paru en 1996 aux Presses universitaires de France, mis à jour et complété : l’essentiel de l’importante bibliographie (11 pages) est postérieure à la première édition, et les deux dernières parties, qui couvrent la période depuis 1979, sont entièrement renouvelées, tandis que le reste du texte a été revu. Dans un court avant-propos, F.-C. Mougel part du constat que « ce pays caméléon nous échappe souvent » – une observation qui fait écho à la préface de François Bédarida à La société anglaise du milieu du XIXe siècle à nos jours (éd. du Seuil, 1990), soulignant que « s’il est un pays dont les traits se laissent mal appréhender, c’est bien [l’Angleterre] ». F.-C. Mougel entend donc « s’abstraire des images » pour saisir « la trame originale de la destinée de ce pays », fondée sur « la dialectique de la continuité et de l’innovation » : jamais occupé, ni profondément déchiré par les luttes internes, le Royaume-Uni du xxe siècle apparaît comme le « creuset d’une démocratie économique et sociale réussie » et le « laboratoire d’une culture originale ».

Le plan est classiquement chronologique, avec des charnières – notamment pour les deux premières – liées à l’histoire générale, puisque les guerres mondiales en sont les termes. Ainsi, la première partie s’étend de la mort de Victoria à la fin de la Grande Guerre (« le temps de la grandeur et des épreuves ») ; la deuxième couvre la période de 1918 à 1945 (« le temps des crises et des défis ») ; la troisième (« le temps des expériences et du changement ») s’achève en 1979, avec un tournant plus spécifiquement britannique, l’arrivée à Downing Street de Margaret Thatcher. Une quatrième partie (« le temps des révolutions ») s’étend jusqu’en 2010, tandis que la dernière, nécessairement plus courte, esquisse un suggestif tableau du « Royaume-Uni aujourd’hui ».

D’emblée, l’ouvrage se distingue par la grande clarté et le caractère pédagogique du propos : l’auteur vise toujours à construire, hiérarchiser et expliquer les faits, d’où des alinéas spécifiques ou des « premièrement… » qui rythment le texte. Des annexes (listes des chefs de gouvernement, des leaders des principaux partis et des États membres du Commonwealth, outre un tableau généalogique), ainsi que trois cartes complètent utilement l’ensemble. Il s’agit donc d’un très bon instrument de travail pour les étudiants comme pour leurs professeurs. En même temps, ce n’est pas un simple manuel : il va plus loin et offre matière à penser sur un siècle de l’histoire du Royaume-Uni, envisagée dans toutes ses dimensions. Si les approches politiques et internationales en constituent les grandes lignes, aucun domaine n’échappe à l’approche synthétique de l’auteur, qui traite également des questions économiques et sociales, des aspects culturels et religieux, des questions militaires et ultramarines – le propos ne se limite donc pas à la seule métropole – ou encore des représentations du pays tant de la part de ses habitants que de l’extérieur. De nombreux chiffres viennent compléter les analyses.

De ce riche volume, que faut-il retenir ? Plutôt que d’évoquer les grands événements de l’histoire britannique, déjà bien connus, cette recension s’attachera aux caractéristiques ou aux questions que l’auteur relève à propos des différentes périodes qui séquencent le xxe siècle, et dont elles révèlent sa fine compréhension. Ainsi, la fin de l’ère victorienne, avec ses lumières, fondées sur son économie-monde ou la pax britannica, et sa part d’ombres, dont les remises en cause de la puissance britannique, invite à se demander s’il s’agit d’une « apothéose » ou d’un « crépuscule ». Puis la Belle Époque de l’ère édouardienne passe pour une « charnière entre le temps de la stabilité et celui des turbulences » et de la « tourmente » de la Grande Guerre. Celle-ci est une guerre totale qui mobilise autant le front de guerre que le front de l’intérieur (Home Front) et qui, à terme, conduit à un rapprochement des modes de vie et des mentalités au sein de la société. L’entre-deux-guerres, dont l’auteur rappelle à juste titre qu’il s’agit d’une reconstruction historique inspirée par la situation internationale, n’est pas « une période de simple passivité ou de pure médiocrité », mais plutôt un « temps d’expérience » entre le regret d’un passé révolu et l’inquiétude devant l’avenir. Si le bilan est mitigé, il est loin d’être négligeable puisqu’il a permis au Royaume-Uni de surmonter les épreuves du second conflit mondial. Cette « citadelle du refus de la défaite » est en effet le premier pays à entrer dans la guerre et le dernier à en sortir. Surtout, lors de cette période, il prépare non seulement la victoire, à court ou moyen terme, mais il envisage aussi, à plus long terme, « la démocratie du futur », dont le rapport Beveridge marque une étape importante. Après 1945, et jusqu’en 1964, c’est une « phase de choix décisifs » et de mutations qui s’annonce, alors que le pays est confronté à la décolonisation, à la guerre froide et aux évolutions économiques et sociales, dans un contexte de consensus politique intérieur : le Royaume-Uni passe encore à l’époque pour une grande puissance, « à l’intersection » des trois cercles définis par Churchill, l’Empire, l’Atlantique et l’Europe. En revanche, de 1964 à 1979, confronté aux difficultés intérieures – l’état de la société – et extérieures – la fin de la décolonisation ou les difficultés d’intégration à l’Europe –, il a le sentiment d’un déclin, d’où le choix un peu provocateur, comme titre du chapitre en question, de l’expression désignant l’Empire ottoman au xixe siècle, « l’homme malade de l’Europe ». Mais après 1979, le royaume est touché par deux « révolutions » pacifiques et idéologiques, le thatchérisme et le blairisme, qui constituent des « ruptures ». L’auteur y voit des références remontant au début du siècle, le modèle victorien pour l’un et celui, libéral-radical, de Lloyd George pour l’autre : serait-ce un retour « aux problématiques du temps de la grandeur » ? 

Relue sur la longue durée d’un siècle, l’histoire du Royaume-Uni révèle donc des continuités, comme la place mondiale du pays ou les défis permanents à relever, tant dans les domaines économiques et sociaux que dans le balancement international entre l’Europe et le « grand large ». Les moyens pour y répondre restent également à peu près les mêmes, le sens du réformisme, la capacité à rassembler et l’aptitude à innover. Ce bel ouvrage offre donc une réflexion dynamique et stimulante sur les évolutions de la puissance, de l’identité et de la société britanniques contemporaines.

 

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