Marie Tudor
Isabelle Fernandes
Paris : Tallandier, 2012 Broché. 400p. 9 illustrations couleur. ISBN 978-2847347371. 22,90 €
Recension de Charles Giry-Deloison Université d’Artois (Arras)
Éphémère reine catholique d’une Angleterre des années 1550 en voie d’être acquise au protestantisme, Marie Tudor reste, dans la mémoire collective et l’historiographie britanniques, un monarque à la réputation détestable. Surnommée Bloody Mary (Marie la Sanglante) et vouée aux gémonies dès le lendemain de sa mort (17 novembre 1558), Marie Ière fut la victime, posthume, de la haine des protestants anglais exilés, qui ne lui pardonnèrent jamais l’exécution de quelque 290 de leurs coreligionnaires, et du progressif désamour de ses sujets restés en Angleterre, qui lui reprochèrent d’avoir subordonné les intérêts du royaume à ceux de l’Espagne et du pape. Les bûchers jamais éteints à travers tout le royaume, le mariage avec Philippe II en juillet 1554, le rétablissement des liens avec Rome, la perte de Calais en janvier 1558 et l’absence d’héritier furent autant d’événements qui brisèrent les liens forts qui avaient uni la reine à son peuple au début du règne. En 1557, la distance entre monarque et sujets était devenue telle que ces derniers rendirent Marie responsable des récoltes désastreuses de 1555-1556 et des épidémies de typhus et de grippe qui s’en suivirent. Mais c’est John Foxe qui détruisit, pour des siècles, la réputation de Marie. Réfugié à Strasbourg, Foxe se lança, en 1550, dans la rédaction d’une histoire de l’Église depuis Wycliff. L’essentiel tient dans sa description graphique des souffrances des martyrs protestants aux mains de Marie. Traduit en anglais en 1563 (Book of Martyrs), le livre connut un succès immense et Élisabeth Ière ordonna qu’un exemplaire fût disposé dans chaque église paroissiale, aux côtés de la Bible. L’historiographie whig fit le reste. Marie est sans doute morte trop tôt, avant que les effets de la terrible crise démographique des années 1555-1558 et de la perte de Calais n’aient eu le temps de s’estomper et la restauration du catholicisme de prendre effet. Sans descendance, vilipendée par un martyrologue hors pair, sa mémoire souffrit aussi de l’éclat du très long (et parfois brillant) règne de sa demi-sœur Élisabeth qui lui succéda. La femme s’effaçant devant la reine, l’Histoire ne retint de Marie que ses cinq courtes années de règne et, sans thuriféraire, elle fut reléguée dans le camp des vaincus et dans les noires ténèbres du catholicisme. Dans un certain sens, la mauvaise santé chronique de Marie n’était que le reflet de l’état du royaume durant son règne. Depuis les années 1980, l’historiographie britannique redécouvre la décennie 1547-1558. Pour l’historien qui s’intéresse à Marie, la difficulté est d’arriver à percer la chape d’opprobre et de mépris et de dresser, avec détachement et mesure, un bilan du règne. Elle est, aussi, de découvrir la femme derrière la reine, tant les cinq années de pouvoir ont effacé les trente-sept années d’attente. Redonner un peu d’humanité à Marie, reconnaître ses succès, faire oublier sa légende noire, n’est pas mince affaire. À la suite de David Loades (Mary Tudor. A Life, 1989) de Judith M. Richards (Mary Tudor, 2008), d’Anna Whitelock (Mary Tudor : England’s First Queen, 2009) et, dans une perspective un peu différente, de Susan Doran et Thomas Freeman (Mary Tudor : Old and New Perspectives, 2011), c’est ce à quoi Isabelle Fernandes s’emploie dans cette première biographie de Marie parue en français depuis l’essai de Marc Blanchard en 1934 (Marie Tudor : Essai sur les sources du drame avec des notices inédites de Victor Hugo). Il faut remercier l’auteur de proposer au public français, non une traduction mais un ouvrage neuf, s’étant libéré des influences de l’historiographie britannique et mettant l’accent sur la femme et sur les années de jeunesse puis de maturité de celle-ci, avant son avènement le 19 juillet 1553. Ce parti pris conduit, naturellement, Isabelle Fernandes à construire son ouvrage en trois parties chronologiques, correspondant aux trois grandes étapes de la vie privée et publique de Marie : fille de roi (L’apprentissage de l’obéissance, 1516-1547), demi-sœur de roi (Une impériale sœur, 1547-1553), reine (La première reine d’Angleterre, 1553-1558). Le portrait de Marie qui ressort de l’étude, fouillée, d’Isabelle Fernandes est celle d’une femme traumatisée, tant au moral qu’au physique, par ses années de jeunesse. Née en 1516 de l’union d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon, elle fut l’enfant chérie de son père jusqu’à ce que celui-ci décide de divorcer de Catherine et d’épouser Anne Boleyn (1533). En 1531, apprenant qu’il lui serait désormais impossible de voir sa mère, Marie tomba gravement malade. Elle en garda des séquelles toute sa vie. Le statut et les conditions de vie de Marie furent, dès lors, étroitement dépendantes des décisions d’Henri VIII. Écartée de la succession en 1534 au profit des enfants d’Anne Boleyn, réduite à un quasi isolement sans domesticité, interdite de voir ses parents, elle ne retrouva grâce auprès de son père qu’à la fin de 1536, après l’exécution d’Anne et sa propre soumission aux exigences de son père (rejet de l’autorité du pape,…). Isabelle Fernandes souligne bien que les années 1537-1547 furent relativement paisibles pour Marie, grâce notamment à la naissance d’Édouard (fils d’Henri et de Jane Seymour), au virage conservateur pris par le régime en 1543 et aux excellentes relations que Marie entretenait avec la sixième et dernière épouse de son père, Catherine Parr. En 1544, Marie fut restaurée dans l’ordre de succession à la Couronne, prenant place derrière son demi-frère Édouard et devant sa demi-sœur Élisabeth, et elle reçut en héritage un important patrimoine qui la mettait à l’abri du besoin. Pour autant, ces années ne furent pas sans incertitudes et sans drames (exécution, en 1541, de Margaret Pole qu’elle considérait comme sa seconde mère) et sa santé s’en ressentit fortement. Isabelle Fernandes décrit la lente dégradation des relations entre Marie et Édouard VI, qui étaient pourtant proches, après la chute du protecteur Somerset (Édouard Seymour) en 1549 et la prise en main du Conseil par John Dudley, futur duc de Northumberland. Sous l’égide de ce dernier et avec l’assentiment d’Édouard, l’Angleterre bascula dans un protestantisme à forte connotation calviniste. Inquiète de l’évolution de la situation et craignant pour son avenir et pour sa sécurité, Marie décida, au printemps 1550, de fuir le pays. Mais le plan échoua, en grande partie à cause de son indécision. Dans les semaines qui suivirent, le Conseil entreprit de lui interdire la célébration de la messe catholique dans sa chapelle et Édouard lui intima l’ordre de se rendre à la Cour. Marie argua de sa mauvaise santé, mais la pression royale fut trop forte et, en mars 1551, elle fit son entrée à Londres. Convoquée devant Édouard et son Conseil, Marie fut accusée de désobéissance et menacée de représailles si elle n’adhérait pas aux nouvelles dispositions religieuses. S’ensuivit un long bras de fer entre le roi et sa demi-sœur qui, fidèle à la mémoire de sa mère et à sa foi catholique, refusa de céder. La tension était telle, notamment après la déclaration de guerre de la France à Charles Quint (octobre 1551), que Marie fut mise en résidence surveillée. Isabelle Fernandes montre bien à quel point, dans ces moments dramatiques pour elle, Marie trouva refuge épistolaire et réconfort auprès de Charles Quint. Depuis la mort de sa mère, Marie s’était tournée vers l’Empereur qu’elle considérait comme la seule personne à pouvoir l’aider et la conseiller. Il s’y employa, sans doute tout autant pour des raisons politiques que familiales, chargeant ses ambassadeurs successifs de porte assistance morale et parfois matérielle (tentative d’évasion) à la princesse. En mars 1551, il menaça même Édouard VI de lui déclarer la guerre s’il continuait à interdire à Marie la liberté du culte catholique. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée au règne de Marie. Ces années cristallisent tous les problèmes personnels et politiques de la jeune femme mais, aussi, illustrent le courage dont celle-ci sut faire preuve, face à l’adversité, durant toute son existence. Le sous-titre de l’ouvrage d’Isabelle Fernandes, La souffrance du pouvoir, prend ici tout son sens. La reine montra une indéniable détermination lors de la tentative de prise de pouvoir par Lady Jane Grey en juillet 1553, lorsqu’elle décida en 1554 d’épouser Philippe II en dépit des très fortes réserves d’une part de ses conseillers et de la majorité de la population, et lorsqu’elle finit par accepter, quelques mois avant sa mort, qu’elle n’aurait jamais d’enfant. Toutefois, c’est bien la souffrance qui domine ses dernières années. Celle de ne plus avoir auprès d’elle un mari aimé (Philippe quitta l’Angleterre en janvier 1555 pour ne revenir, brièvement, que de mars à juillet 1557) ; celle de voir son Conseil lui tenir tête en 1557 lorsque Philippe exigea que le royaume entrât en guerre aux côtés de l’Espagne ; celle d’être désavouée par le pape qui, ennemi de Philippe II, destitua l’archevêque de Cantorbéry, Reginald Pole (celui-là même qui avait ramené l’Angleterre dans le giron de l’église catholique), de sa légation pontificale en juillet 1557 ; celle de constater que son peuple, qui l’avait favorablement accueillie en 1553, s’éloignait d’elle, excédé par la présence espagnole et la sanglante répression contre les protestants ; celle de savoir qu’Élisabeth, qu’elle détestait, lui succéderait... Toutefois, sa plus grande souffrance fut de ne pas avoir d’enfant. Isabelle Fernandes souligne le comportement tout à fait extraordinaire de Marie, se croyant puis feignant d’être enceinte, pendant près de douze mois en 1554-1555 puis, de nouveau, en 1557-1558. Ces souffrances psychologiques et sa santé défaillante plongèrent Marie dans des accès de plus en plus fréquents de profonde mélancolie. C’est en reine et femme prématurément usée par la vie que Marie meurt le 17 novembre 1558 à l’âge de 42 ans. C’est une vraie satisfaction de voir une maison d’édition accepter de prendre le risque de publier une biographie de Marie Ière d’Angleterre en français. Il est, de ce fait, encore plus dommage que cette biographie pêche, parfois, par des inexactitudes et des approximations, par des effets de style mal venus et, surtout, par une surinterprétation de certaines attitudes de Marie. Par exemple, Henri VIII ne s’empara pas « des villes de Tournai et de Thérouanne lors de la journée des Éperons en août 1513 » [26], Charles Quint et Henri VIII ne se retrouvèrent par pour un troisième tête-à-tête en août 1521 [31], s’il est quasi établi que le poète Thomas Wyatt fut amoureux d’Anne Boleyn, en revanche, rien n’atteste que l’inverse fut vrai [108], les fonctions de héraut et de roi d’armes sont distinctes [258], il est exagéré de parler « d’exécutions en chaîne » entre 1537 et 1542 [111], il est maladroit de qualifier de « parvenus » les hommes du Conseil sous Édouard VI [132] et de « rois parlementaires » les monarques anglais [206]... L’usage de concepts anachroniques pour le XVIe siècle est gênant (« garde alternée » p. 53, « antiféminisme » p. 246…). De même pourquoi écrire, par exemple, Calédonie au lieu d’Écosse [106] ? Il faut reconnaître à Isabelle Fernandes la volonté de comprendre et d’expliquer les ressorts des décisions et des comportements, parfois complexes, de Marie. Mais, trop souvent, elle n’échappe pas au danger qui guette tout biographe : faire tenir à son sujet des propos dont rien ne prouve qu’il les ait prononcés ou même pensés, ou lui prêter des intentions qu’il n’a peut-être jamais eues. Ainsi, quelle preuve avons-nous que Marie considérait que le Te Deum qui célébra la chute de Saint-Quentin en août 1557 était, en réalité, un remerciement adressé à Dieu pour sa nouvelle (et inexistante) grossesse [260] ? De même, sur quelles sources peut-on se fonder pour écrire qu’il est possible que « mettre les protestants au bûcher fut (..) autant de tentatives désespérées de laver son âme par le sacrifice du sang et d’expier ces fautes commises avant et pendant 1536 » [86] ? Lors de son accession, Marie prit pour devise Veritas Temporis Filia (Vérité est fille du Temps). Souhaitons que ce temps soit désormais venu et que, grâce à Isabelle Fernandes, d’autres travaux d’historiens français viendront enrichir notre connaissance de ces années médianes du XVIe siècle anglais.
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