L’héritage de Daguerre en Amérique Portraits photographiques (1840-1900) de la collection Wm. B. Becker
François Brunet & William B. Becker
Paris : Mare & Martin Arts, 2013. Broché. 328 p. ISBN 979-1092054217. 20 €
Recension de Nathalie Dessens Université de Toulouse–Le Mirail
Cet ouvrage récent est à la fois original dans sa conception, scientifiquement informatif et d’une lecture extrêmement agréable. Il a été publié à l’occasion de l’exposition Le Portrait daguerrien en Amérique : Visages de la collection Wm. B. Becker, présentée par la Maison Daguerre de Bry-sur-Marne et le Musée Gratien-Bonnet de Lagny-sur-Marne entre septembre et décembre 2013. Son intérêt premier est, évidemment, les quelque 250 portraits réalisés aux États-Unis, entre 1840 et 1900, à partir des procédés mis en place par Daguerre, et issus de la collection de William Becker. Ces reproductions permettent au spécialiste comme au profane de voir cette Amérique du XIXe siècle, de partir des portraits pour se raconter autant d’histoires qu’il y a de photographies, de laisser l’imagination de chacun s’engouffrer dans les fenêtres ainsi ouvertes sur des histoires individuelle et sur l’histoire de cette Amérique en mutation. Si le lecteur, ou plutôt le spectateur, ici, peut laisser libre cours à son imagination, les auteurs n’en ont pas moins encadré avec soin, dans de courts textes issus de recherches approfondies, le cheminement de sa lecture. L’ouvrage s’ouvre sur une introduction de François Brunet, situant l’art du portrait dans l’espace américain. Expliquant que « ce qui distingue la photographie américaine est qu’elle a plus que d’autres cultivé, consacré et diffusé le portrait en tant qu’art, mais d’abord en tant qu’expression privilégiée de l’individualité et de sa relation à la collectivité » [12], il met en évidence l’importance de l’objet de l’ouvrage. Les reproductions des portraits sont encadrées par trois chapitres hautement informatifs. Une contextualisation par François Brunet, « Le portrait daguerrien, un art nouveau dans un pays neuf » [17-43], un essai par William Becker, destiné à aider au cheminement du lecteur dans l’organisation pédagogique du classement des portraits reproduits, « L’héritage américain de Daguerre » [47-67], et une conclusion de François Brunet, situant le rôle majeur des collectionneurs dans la préservation de cet héritage historique (« Le collectionneur et ses histoires » [319-324]). Les portraits reproduits sont ensuite organisés en plusieurs séries qui permettent tout à la fois de les mettre en relation, malgré leur grande diversité, et de bien saisir ce qu’ils nous disent de l’Amérique de la deuxième moitié du XIXe siècle. L’organisation est, en partie, chronologique (« Premières images », « premiers maîtres »), en partie thématique (« L’art du photographe », « Galerie américaines-caractères », « A l’aise dans l’image », « Galerie américaine-métiers », « La famille et les moments de la vie », « Groupes et réunions », « Les charmes de la campagne », « Scénettes », et « Fictions »), chacune des rubriques correspondant à un grand type de portraits. Le choix de classement est expliqué et justifié par les chapitres rédigés par les auteurs, qui sont autant d’aides fournies au lecteur pour le décryptage des portraits. Si le lecteur est laissé libre d’inventer ses propres histoires à partir de chacun des portraits, d’analyser les images pour en extraire le(s) message(s), quatre petits chapitres, écrits par William Becker, racontent les véritables histoires des personnes dont les portraits sont reproduits. Une recherche minutieuse lui a permis de retracer leur vie, mais aussi l’occasion du cliché lui-même. Ces petites histoires individuelles sont autant de fenêtres ouvertes sur l’Amérique du XIXe siècle. Les intérêts de cet ouvrage sont indéniables et multiples. Il nous donne à voir ces clichés, d’habitude réservés à l’usage privé du collectionneur. Ils nous apprennent beaucoup sur la spécificité photographique états-unienne, et sont une histoire sociale des États-Unis au XIXe siècle, ce que les chapitres rédigés par François Brunet démontrent clairement. Par une méthode prosopographique, ils représentent cette Amérique en pleine maturation, jeune nation en passe de devenir une superpuissance, marquée par la volonté démocratique de « représenter l’individu dans sa singularité et son aspiration à la visibilité » [27]. L’universitaire trouvera dans cet ouvrage des recherches minutieuses et inédites. Le grand public se régalera de découvrir ces images d’un autre temps et d’un autre lieu et lira avec plaisir des textes dépourvus de tout jargon, informatifs et pédagogiques. L’érudition dont font preuve les auteurs se cache derrière une fausse simplicité qui fait tout le plaisir du lecteur et lui transmet un peu de la passion avec laquelle les auteurs ont abordé ce projet. Il n’y a rien que l’auteur de cette recension n’ait pas aimé dans cet ouvrage. Tout au plus aurait-on souhaité une bibliographie qui, reprenant les références citées en notes, aurait permis au chercheur intéressé d’aller aller plus loin dans ses lectures.
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