Femmes, pouvoir et nation en Écosse du XVIe siècle à aujourd’hui
Christian Auer, Armel Dubois-Nayt & Nathalie Duclos
Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2012 Broché. 150 pages.ISBN 978-2757404027. 20€
Recension d’Annie Thiec Université de Nantes
Cet ouvrage à trois voix présente l’originalité d’analyser les relations genre/nation en Écosse sur la longue durée, du XVIe siècle jusqu’à aujourd’hui, à travers l’étude de la place de la femme dans la sphère politique à trois époques de l’histoire nationale, à savoir, pour la première, celle de l’accession d’une femme au trône d’Écosse, en la personne de Marie Stuart, pour la deuxième, celle de la lutte des femmes pour l’obtention du droit de vote, et enfin, pour la troisième, celle de la création du nouveau parlement écossais dans le cadre de la mise en œuvre de la dévolution. Armel Dubois-Nayt, dans son introduction générale à ce volume, souligne l’absence des femmes dans l’historiographie nationale écossaise jusque dans les années 1980, avant de procéder à un état des lieux très complet des travaux publiés depuis le début des années 1990, en histoire sociale ou en histoire des femmes, par Rosalind Mitchinson, Jane McDermid, ou Esther Breitenbach entre autres, rétablissant la place des femmes dans l’histoire de la construction de l’identité nationale, jusqu’alors principalement « conceptualisée dans une problématique masculine », pour reprendre les propos de l’historienne Jane McDermid, cités par l’auteure. L’ouvrage s’inscrit dans la continuité de ces travaux universitaires dont l’objectif est de faire la lumière sur le rôle joué par les femmes dans la construction de la nation politique écossaise. La réflexion de ses auteurs s’appuie sur l’analyse de l’ethnologue Nira Yuval-Davis (Gender and Nation), selon laquelle l’exclusion des femmes du discours sur le nationalisme et les nations résulte du fait que les deux concepts ont généralement été considérés comme relevant de la sphère publique, dont les femmes justement étaient exclues ; c’est pourquoi l’étude des théories élaborées par John Knox et George Buchanan notamment sur l’exclusion des femmes du domaine politique dans le contexte de l’accession de Marie Stuart au trône d’Écosse s’est imposée à eux comme point de départ de leur travail. C’est l’objet du chapitre 1 de ce volume, intitulé « Nation et gynécocratie dans l’Écosse du XVIe siècle ». Dans ce premier chapitre de l’ouvrage, Armel Dubois-Nayt analyse les réactions à la gynécocratie dans la pensée politique écossaise du XVIe siècle, à travers l’étude des théories élaborées sur cette question par le réformateur John Knox et l’humaniste George Buchanan, tous deux opposés à l’exercice du pouvoir royal par une femme, perçu comme une transgression de l’ordre naturel et du droit divin. Son étude porte en premier lieu sur le pamphlet de John Knox intitulé The First Blast of the Trumpet Against the Monstrous Regiment of Women et publié en 1558, dans un contexte politique qui avait vu l’arrivée au pouvoir de femmes dans plusieurs nations européennes, parmi lesquelles l’Espagne ou la France, mais aussi l’Angleterre et l’Écosse. Grâce à une analyse extrêmement précise et détaillée du texte de John Knox, mais aussi de plusieurs autres de ses écrits, Armel Dubois-Nayt démontre que, en dépit de sa défense de l’exhérédation des femmes du trône comme principe « immuable, universel et atemporel », sur laquelle se sont fondés certains historien/nes pour affirmer que le pamphlet ne visait pas spécifiquement l’Écosse, mais en l’occurrence plutôt l’Angleterre de Marie Tudor, Knox avait bel et bien à l’esprit l’exemple de l’Écosse sous le règne de Marie Stuart en écrivant son pamphlet. George Buchanan, quant à lui, traite de la question du gouvernement des femmes dans le strict cadre de l’histoire écossaise. La Rerum Scoticarum Historia (1582) est le second objet d’étude de ce premier chapitre, et plus particulièrement le XIIe livre, dans lequel l’humaniste écossais, à travers l’exemple de la régence de Marie de Gueldre à la mort de Jacques II en 1460, expose sa théorie selon laquelle la régence d’une femme est contraire au droit écossais. Dans le chapitre 2, intitulé « Les suffragettes écossaises et l’affirmation de l’identité nationale », Christian Auer s’intéresse au mouvement des suffragettes en Écosse et plus particulièrement à la manière dont elles « vécurent et affirmèrent leur identité nationale ». Rappelant tout d’abord, à propos de la place accordée aux femmes dans l’historiographie écossaise, qu’il est indéniable que celles-ci « furent les victimes d’un processus de marginalisation historique » auquel le mouvement des suffragettes n’a lui-même pas échappé, jusque dans les années 1990, il souligne la difficulté pour l’historien d’évaluer avec certitude quelle fut la participation des femmes dans les manifestations radicales du début du XIXe siècle, par exemple, en raison de la rareté des sources primaires existantes. Après avoir rappelé la place de la femme et les qualités attendues d’elle dans la société victorienne, il s’interroge sur l’articulation entre identité de genre et identité nationale au sein du mouvement des suffragettes écossaises. Son analyse des archives des diverses organisations féminines militant pour l’obtention du droit de vote pour les femmes dans la seconde moitié du XIXe et le début du XXe, et son étude des relations entre les instances centrales de ces organisations et leurs branches écossaises, le conduisent à la conclusion suivante : en dépit du fait indéniable qu’elles se sentaient résolument écossaises, comme en attestent les nombreuses références dans leurs manifestations et dans leurs écrits aux grandes figures de l’histoire de la nation, les militantes écossaises « privilégièrent leur lutte de femmes par rapport à leur affirmation identitaire nationale » ; en d’autres termes, « elles étaient d’abord des femmes avant d’être écossaises ». Enfin, dans le chapitre 3, intitulé « Femmes et pouvoir politique dans l’Écosse contemporaine », Nathalie Duclos s’intéresse plus particulièrement au dispositif institutionnel instauré en Écosse en 1999 dans le cadre de la mise en œuvre du programme de dévolution du gouvernement travailliste de Tony Blair. Elle s’attache tout d’abord à « mettre en lumière le rôle joué par les féministes dans la définition d’un nouveau modèle parlementaire et de nouvelles pratiques politiques dans l’Écosse des années 1990 », contrastant alors l’absence des féministes dans le débat constitutionnel des années 1970 et leur engagement au sein du mouvement autonomiste à partir de la fin des années 1980, et en particulier au sein de la Convention constitutionnelle écossaise, où elles firent campagne pour la parité hommes-femmes au sein du futur parlement écossais et pour un changement de culture politique à même d’encourager une plus grande participation politique des femmes. Son analyse détaillée des publications émanant des groupes féministes, mais aussi des instances mises en place par les partisans de la création d’un parlement écossais, ainsi que des partis politiques, la conduit à conclure que l’influence des féministes sur le fonctionnement interne des partis fut moindre en regard de celle qu’elles eurent sur le modèle parlementaire élaboré et sur le mode de scrutin adopté. Il n’en reste pas moins cependant que le premier parlement élu en 1999 devint « l’un des plus représentatifs au monde en termes de représentation des femmes ». Nathalie Duclos note que, malgré un fléchissement du nombre de femmes élues au parlement écossais aux élections de 2003 et 2007, l’Écosse « a obtenu de bons résultats en matière de représentation politique des femmes au niveau parlementaire, mais de moins bons résultats au niveau gouvernemental ». Quant à la représentation « substantive » des femmes écossaises, autrement dit la représentation et la promotion de leurs intérêts, l’étude rigoureuse des documents officiels régissant le fonctionnement du parlement écossais et des lois votées par ce dernier, permettent à l’auteur de dresser un bilan très positif des dix premières années d’existence du nouveau parlement à la fois en ce qui concerne les mécanismes consultatifs mis en place qui permettent aux femmes de participer au processus d’élaboration des politiques publiques et au regard des politiques adoptées par le parlement dont la mise en application a eu des conséquences plus directes sur la vie de femmes que sur celle des hommes. En conclusion, l’ouvrage est à la hauteur des ambitions de ses auteurs de « participer à l’écriture d’un passé et d’un présent écossais au féminin » [15] et de réhabiliter les oubliées de l’histoire nationale que sont les Écossaises, apportant ainsi leur pierre à l’édifice des travaux universitaires des quinze dernières années qui font la lumière sur la participation active des femmes dans la construction de la nation écossaise.
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