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Thomas More

 

Bernard Cottret

 

Collection Biographies

Paris : Éditions Tallandier, 2012

Broché. 402 pp. ISBN 978-2847348033. 24 €

 

Recension d’Isabelle Bore

Université de Picardie–Jules Verne (Amiens)

 

 

Dans cette biographie – dont le sous-titre « La face cachée des Tudors » pique d’emblée la curiosité du lecteur  – Bernard Cottret va bien au-delà du simple récit de la vie de Thomas More. En effet, l’auteur, qui s’appuie sur une documentation riche et précise, présente son héros dans l’époque où il a vécu et donne les pistes qui permettent d’accéder à une œuvre tout aussi complexe que variée. Grâce à un style flamboyant bien adapté à l’évocation de cette période bouillonnante, Bernard Cottret a à cœur de faire ressortir la subtile personnalité de Thomas More. Il met à jour les contradictions d’un personnage qui prend vie et s’humanise au fil des pages. Et s’il perd un peu de son aura de sainteté, il gagne beaucoup en proximité, ce qui le rend d’autant plus attachant.

Dans un souci évident de pédagogie, Bernard Cottret invite le lecteur à une représentation théâtrale, ce qui rend la lecture de l’ouvrage aisée et passionnante. C’est à un drame en trois actes que le lecteur est convié. Le premier acte intitulé « Un laïc en quête de salut » couvre les années 1478-1515. Il est consacré aux années de formation et place Thomas More dans un environnement résolument urbain et bourgeois. Malgré son attirance pour la vie religieuse, Thomas More s’engage dans une double formation qui le destine à une vie au milieu des hommes. Cédant aux pressions paternelles, il entame une formation de juriste, seule voie d’accès, pour un bourgeois, à un éventuel anoblissement. Parallèlement, il s’adonne à l’étude des lettres qui feront de lui l’un des grands humanistes de son temps. Cette étude est marquée par la rencontre de deux auteurs, Pic de la Mirandole et Lucien, dont la fréquentation s’avèrera déterminante pour la suite. Le premier convainc More qu’il est possible de se consacrer à l’étude et au savoir dans une vie profane. Le second nourrit déjà ses combats futurs contre la tyrannie. Ce goût pour les lettres est renforcé par l’amitié avec Érasme qui lui dédie son Éloge de la Folie. Et même si tout les oppose – More est autant attaché à la famille et enraciné dans son histoire, son pays et sa culture qu’Érasme est sans famille et déraciné – rien ne viendra démentir les sentiments qu’ils se portent mutuellement. Juriste et fin lettré, Thomas More devient vite un personnage très recherché. Avocat d’affaires et magistrat, il défend les intérêts de la Cité de Londres. Remarqué par le roi, il entre à son service d’abord en tant que diplomate puis en tant que membre du conseil privé, si bien qu’au milieu des années 1510 rien ne semble pouvoir arrêter son ascension.

Le deuxième acte intitulé « l’apothéose » met en lumière les années 1516-1531, années de la maturité où tout semble réussir à Thomas More. Il approfondit sa réflexion sur la tyrannie en écrivant en anglais et en latin une Histoire du Roi Richard III mais ce qui lui permet de faire une entrée remarquée sur la scène littéraire, c’est la publication de l’Utopie en 1516. Avec l’émergence des idées religieuses novatrices, More quitte, cependant, rapidement le champ de l’imaginaire pour se tourner vers des écrits polémiques où il engage la controverse avec les auteurs qui propagent ces idées nouvelles. Emboîtant le pas au roi Henri VIII qui publie en 1521 son Assertio Septem Sacramentorum, More écrit, en 1523, une Responsio ad Lutherum. Et lorsque les idées évangéliques font irruption sur le sol anglais par le biais notamment de la traduction du Nouveau Testament par Tyndale, Thomas More joint sa voix à celle de John Fisher, Thomas Murner, Johann Eck et Cuthbert Tunstall et écrit une série d’ouvrages où il prend la défense de la foi catholique. Cette intense activité littéraire ne signifie pas qu’il met entre parenthèses sa carrière politique. Il poursuit ses activités de diplomate tout en gravissant un à un les échelons du pouvoir : sous-trésorier de l’Échiquier et chancelier du duché de Lancastre en 1521, modérateur du Parlement en 1523, il atteint le sommet, en 1529, lorsqu’il est nommé chancelier d’Angleterre. L’éclat de cette nomination ne doit cependant pas faire illusion. Déjà, l’horizon s’assombrit car le royaume est agité depuis deux ans par la « Grande Affaire du Roi ». D’ailleurs, Bernard Cottret ne s’attarde pas sur les agissements de Thomas More en tant que chancelier du royaume. Il préfère rappeler les différentes étapes qui ont amené Henri VIII à se proclamer Chef suprême de l’Église d’Angleterre et à exiger la soumission du clergé, entraînant de façon quasi inéluctable la démission de Thomas More sur laquelle s’ouvre le troisième acte.

Ce troisième acte intitulé « la chute » qui se focalise sur les quatre dernières années de la vie de Thomas More ne se contente pas d’éclairer le déroulement chronologique des événements qui ont conduit Thomas More sur l’échafaud le 6 juillet 1535. Il met en exergue la capacité de résistance du personnage, une résistance qui s’exprime par le biais des écrits qu’il continue de produire. Contrairement à ce que l’on pense parfois, ces quatre années ne sont pas une longue retraite silencieuse. Tant qu’il jouit de la liberté, Thomas More continue son œuvre polémique avec des auteurs tels que Christopher Saint-German et George Frith. L’emprisonnement à la Tour produit, certes, une rupture mais non un tarissement de la veine littéraire. C’est, en effet, à ce moment-là que débute une troisième phase de sa carrière littéraire. L’enfermement et le dénuement lui rappelant ses années de discernement à la chartreuse de Londres, il se consacre à des écrits spirituels, n’ayant plus à l’esprit que le désir d’assurer son salut. Dans ces chapitres consacrés aux œuvres composées à la Tour de Londres, on apprécie, en particulier, la capacité de Bernard Cottret à dépasser les ruptures thématiques ou stylistiques pour faire ressortir les permanences de l’œuvre, à commencer par cette urbanité de Thomas More dont l’Utopie est l’exemple le plus évident mais que l’on retrouve également, à la fin de sa vie, dans la description du paradis dont il fait une cité et non un jardin. C’est aussi dans ces chapitres que se déploie toute la finesse pédagogique de l’auteur qui cherche à lever les ambiguïtés sur un vocabulaire dont le sens a évolué entre le XVIe et le XXIe siècle et entraîne donc le lecteur dans une enquête lexicale qui rend la lecture de l’ouvrage d’autant plus stimulante et passionnante.

 

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