Les politiques de jeunesse au Royaume-Uni et en France Désaffection, répression et accompagnement à la citoyenneté Youth Policy in the UK and France Disengagement, Repression and the Promotion of Citizenship
Sous la direction de Sarah Pickard, Corinne Nativel & Fabienne Portier-Le Cocq
Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2012 Broché. 271 p. ISBN 978-2-87854-547-0. 21€
Recension de Marie-José Arquié Université de Lorraine
Parler de jeunesse en évitant les clichés constitue un défi pourtant relevé par Sarah Pickard, Corinne Nativel, et Fabienne Portier-Le Cocq lorsqu’elles ont organisé un colloque franco-britannique sur « Jeunesse et politique[s] au Royaume-Uni et en France aujourd’hui » en septembre 2010. La collection de onze articles réunie ici émane de ce colloque. Dans leur introduction, les responsables scientifiques de l’ouvrage tentent de définir les termes de « jeunesse » et de « jeunes » en constatant tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’un groupe homogène. De plus, chaque domaine scientifique [sociologie, politique, droit, justice, démographie] utilise sa propre définition. Le Bureau des statistiques nationales britannique et l’Institut national de la statistique et des études économiques français utilisent une définition démographique, mais chacun de ces organismes a délimité des tranches d’âges différentes. Dans un souci de clarté, les directrices de l’ouvrage ont choisi de concentrer l’étude sur la tranche d’âge allant de 16 à 25 ans. Elles signalent cependant que, selon les contextes étudiés, il peut y avoir des variations : presque tous les auteurs ont adopté leur propre découpage ; en effet, les cohortes considérées sont radicalement différentes lorsque l’étude porte, par exemple, sur la justice pour les mineurs ou sur le comportement électoral des jeunes. Agnès Alexandre-Collier complète la définition de la « jeunesse » en remarquant que c’est un concept subjectif. Elle écrit avec humour que « la jeunesse mérite qu’on s’y intéresse non pas forcément pour ce qu’elle est objectivement, mais pour l’idée que l’on s’en fait, et plus précisément l’idée que s’en font ceux qui n’appartiennent plus à cette catégorie » [60]. Le titre, le sous-titre, et l’introduction de l’ouvrage indiquent que les articles ne porteront pas sur la jeunesse en général, mais qu’ils traiteront essentiellement de la jeunesse marginalisée par la pauvreté, le chômage, les difficultés scolaires, la délinquance, l’habitat, entre autres. L’introduction du livre ne présente pas de définition du concept de « citoyenneté » qui est pourtant complexe. Au fil des pages, le lecteur comprend qu’il est considéré comme synonyme de participation aux élections et d’intérêt des individus pour la vie politique. Tom Cockburn et Frances Cleaver y incluent les responsabilités prises à tous les niveaux de la société vis-à-vis d’autrui et de l’environnement, en particulier au sein d’associations. Valérie Becquet précise que la citoyenneté peut comporter plusieurs volets, comme « les droits et devoirs résultant du statut de citoyen » [148], l’engagement, ou la vie en collectivité. Elle note que le législateur, qui a conçu le service civil volontaire en France, utilise la notion de « valeurs civiques » et non de « citoyenneté », car le citoyen se doit d’avoir des qualités morales [155]. La troisième partie du livre analyse des expériences visant à accroître la sensibilisation politique des jeunes confrontés à diverses difficultés, et à améliorer leur conduite morale et sociale. La première partie de l’ouvrage intitulée « La désaffection politique des jeunes » n’aborde toutefois cette question que de manière indirecte : Sarah Pickard, Corinne Nativel, et Fabienne Portier-Le Cocq elles-mêmes écrivent [20] que ce premier volet est consacré aux relations entre la jeunesse et les partis politiques. De fait, Jeremy Tranmer étudie l’évolution de la section des jeunes travaillistes ; il s’agit donc de jeunes politisés. De plus, Bernard Roudet note, tout en le nuançant [33], un accroissement de l’intérêt politique des jeunes Français au cours de l’enquête qu’il a menée en 2008. Les trois articles de la première partie de l’ouvrage traitent de thèmes très différents. Dans son article fondé sur plusieurs enquêtes Valeurs depuis 1999, Bernard Roudet analyse les comportements paradoxaux [30] des jeunes Français dans le domaine politique. L’enquête menée en 2008 montre que les jeunes Français participent peu aux élections, du moins jusqu’à leur entrée dans la vie active ; en revanche, ils privilégient les formes d’action politique protestataires, telles que les pétitions ou les manifestations. En effet, ils veulent obtenir une société plus égalitaire, mais la majorité préfère que les réformes soient progressives. Bernard Roudet consacre une partie de son article à l’influence du niveau d’études [41-43]. Les enquêtes Valeurs révèlent que les jeunes les plus diplômés sont attachés au fonctionnement et aux principes de la démocratie représentative, mais en même temps, les mouvements protestataires sont plus le fait des jeunes diplômés que celui des jeunes non diplômés. Comme le soulignent également les articles de la troisième partie de l’ouvrage, ce sont les personnes les plus désavantagées d’un point de vue socio-économique qui sont les moins actives politiquement. Tom Cockburn et Frances Cleaver notent de leur côté que le modèle démocratique anglais, fondé sur la représentation parlementaire, n’encourage pas à une citoyenneté active, mais à de la passivité : les citoyens votent, puis laissent d’autres personnes prendre les décisions [186]. Jeremy Tranmer ajoute que les politiciens de tous les partis insistent depuis une trentaine d’années sur le fait que les marchés entravent leur liberté d’action dans le domaine économique [56] : les gouvernements successifs reconnaissent donc leur incapacité à transformer le monde économique, ce qui entraîne une certaine indifférence des électeurs, en particulier des jeunes. Bernard Roudet le confirme en remarquant que seulement 19% des jeunes Français font confiance aux partis politiques [41]. Comme le montre l’article de Jeremy Tranmer, les jeunes Britanniques partagent les mêmes sentiments au sujet de leurs partis politiques. Jeremy Tranmer retrace tout d’abord l’histoire de la section des jeunes travaillistes depuis sa création en 1924. Il met l’accent sur la relation conflictuelle entre la direction du parti et la section des jeunes que les leaders successifs du Parti travailliste ont tenté d’affaiblir. Il souligne les nombreux changements de noms de la section des jeunes imposés par la direction du parti au fil des années, changements qui symbolisent une volonté de reprise en main par les responsables travaillistes. Il développe [56] les causes de la désaffection des jeunes pour les partis politiques : entre autres, néolibéralisme, diminution du rôle des syndicats, individualisme, et concurrence entre jeunes en particulier au moment de la recherche d’un emploi. Il conclut sur le fait qu’il n’y a pas eu d’augmentation du nombre d’adhérents dans la section des jeunes travaillistes depuis 25 ans, et sur les difficultés du Parti travailliste à attirer les jeunes. De manière originale, Agnès Alexandre-Collier a choisi de s’intéresser au leader du Parti conservateur, David Cameron. Elle examine ses stratégies pour conquérir une nouvelle catégorie d’électeurs à laquelle les conservateurs ne s’étaient pas intéressés jusqu’aux élections législatives de 2010 : les jeunes. Elle dresse le portrait d’un David Cameron qui met en exergue son intérêt pour les thèmes modernes et qui a exploité son jeune âge [66], en mettant en avant son enthousiasme, son esprit d’innovation, et son intérêt pour les nouvelles technologies, entre autres. Elle remarque : « [i]l s’affiche comme un leader moderne au sens caricatural du terme » [67]. Elle se demande si l’âge du chef conservateur est réellement un gage de modernité politique, pour conclure sur les contradictions de Cameron : malgré l’image de jeunesse qu’il a voulu faire ressortir, ses valeurs et son style sont ceux d’un victorianisme triomphant, ce qui représente un retour en arrière. La deuxième partie du livre traite des politiques répressives au Royaume-Uni. En effet, la conduite violente ou délictueuse d’une partie de la jeunesse semble menacer la société, ses valeurs morales, et ses certitudes [80-81], ce dont les médias toujours prêts à diaboliser les enfants et les jeunes se font écho en déformant ou en exagérant les faits. Le chapitre d’Elizabeth Gibson-Morgan qui annonce une comparaison entre la France et l’Angleterre porte essentiellement sur la politique judiciaire anglaise. Nathan Hughes, Elizabeth Gibson-Morgan et Emma Bell soulignent la sévérité accrue de la justice pour les mineurs au Royaume-Uni depuis l’assassinat du petit James Bulger par deux enfants de dix ans en 1993. La justice britannique dispose d’un énorme arsenal de lois et de mesures répressives, si bien que le nombre de mineurs emprisonnés a considérablement augmenté, ainsi que celui de jeunes placés en centres éducatifs fermés. Elle a la possibilité de juger des enfants selon les modalités qui s’appliquent aux adultes, alors que le Royaume-Uni a signé la Convention internationale des droits de l’enfant qui stipule entre autres que les enfants ne peuvent pas être responsables pénalement de leurs actes au même titre que les adultes. La politique carcérale pour les jeunes soulève de nombreuses questions : outre son manque d’efficacité, elle est onéreuse, alors que le Royaume-Uni affronte une crise financière. De plus, en prison, les jeunes, qui doivent théoriquement être séparés des adultes, peuvent les rencontrer et subir des influences néfastes. Les trois auteurs notent que l’objectif des centres éducatifs fermés est mal défini : sont-ils des lieux d’enfermement pour les mineurs, ou des centres d’éducation qui conduiraient à une réhabilitation des jeunes délinquants ? Ils insistent sur le fait qu’un jeune délinquant est un enfant vulnérable, alors que le législateur le considère comme une menace dont il faut protéger la société [96]. Nathan Hughes note [79] un accroissement des symptômes de phobie des enfants et des jeunes dans la société britannique. Les ASBOs (Anti-Social Behaviour Orders) qui font partie du Crime and Disorder Act de 1998 en sont un signe révélateur : ils visent à protéger le public du comportement qu’il juge asocial d’un certain nombre de personnes, en particulier des jeunes et des enfants, plutôt qu’à punir les auteurs d’incivilités. Nathan Hughes, Elizabeth Gibson-Morgan et Emma Bell mettent tous les trois l’accent sur ces injonctions qui peuvent s’appliquer à tous les délinquants, y compris à des enfants de moins de dix ans, qui n’ont pas commis de délit et qui n’ont pas été jugés par un tribunal. Nathan Hughes [82-83] souligne qu’elles sont faciles à obtenir et qu’elles donnent le droit aux communautés respectueuses des lois de décider ce qui est tolérable ou non dans leur quartier. Les ASBOs, ainsi que le couvre-feu et les interdictions de se réunir, portent atteinte aux droits des enfants et des jeunes. Emma Bell étudie les six premiers mois du gouvernement Cameron, et indique que Theresa May, ministre de l’Intérieur, a critiqué les ASBOs [114], sans cependant exprimer l’intention de les supprimer. La moitié de l’article d’Emma Bell développe les projets du gouvernement de coalition élu en mai 2010 en s’appuyant sur les discours des conservateurs et des libéraux démocrates qui prônent plus de clémence [115], mais elle exprime des doutes quant à la mise en œuvre de ces déclarations. Les trois auteurs dénoncent la rigueur du traitement des jeunes délinquants, ce qui ne peut qu’accentuer leur marginalisation dans la société. La troisième partie de l’ouvrage consacrée à l’accompagnement à la citoyenneté s’appuie entièrement sur des études de cas, des enquêtes, et des études empiriques. Tous les auteurs s’accordent à dire qu’il existe une multiplicité d’expérimentations locales [notamment 131] destinées à diminuer la délinquance des jeunes, à les éduquer, à les responsabiliser, et à « développer la citoyenneté active » [149]. Tom Cockburn et Frances Cleaver, ainsi que Valérie Becquet remarquent que l’éducation civique telle qu’elle est conçue en Angleterre et en France rebute les jeunes, et ne les encourage pas à participer à la vie de la cité. Ils préfèrent s’investir dans le volontariat à l’extérieur de l’école, en particulier dans des associations. Tom Cockburn et Frances Cleaver, tout comme Linda Milbourne, citent entre autres les parlements des jeunes, les maires des jeunes, et la participation à des clubs de jeunes [189, 213]. Tous les auteurs notent les effets positifs et l’intérêt de ces expériences, puis ils en révèlent les nombreuses limites. Les adultes hésitent fréquemment à donner des responsabilités aux jeunes en évoquant leur manque de maturité, et préfèrent qu’ils se conforment aux modèles institutionnels traditionnels, alors que les expériences qui ont le mieux réussi sont celles où les jeunes ont joué un rôle actif [189]. Dans sa recherche sur la politique des « grands frères » à Saint-Denis, Pauline Beunardeau décrit la souplesse des projets d’animation dans certains quartiers difficiles dans les années 1980 [141]. Elle note un « tournant bureaucratique » dans les années 1990 qui a institutionnalisé et professionnalisé le groupe d’animateurs. Les nouvelles structures ont marginalisé les anciens animateurs militants qui avaient été recrutés plus pour leur charisme que pour leurs compétences [143]. Linda Milbourne observe que les institutions ne tiennent pas compte des idées des jeunes et des travailleurs sociaux, ce qui les déstabilise et les démotive [216]. Tom Cockburn et Frances Cleaver remarquent en conclusion de leur article que les expériences de démocratie les plus significatives avaient été conduites dans des contextes où les jeunes pouvaient s’exprimer et où ils étaient écoutés [188, 198-199]. Pourtant les auteurs notent tous le fossé qui s’est creusé entre les adultes et les jeunes. En conclusion de son article, Linda Milbourne écrit que les adultes ressentent les méthodes des jeunes pour atteindre leurs buts comme une menace aux institutions qu’ils dirigent [217]. Les adultes ne sont pas prêts à prendre des risques, alors que les jeunes ont besoin d’espaces qui leur offrent de la souplesse, de la liberté, et la possibilité de prendre des initiatives. Dans les centres accueillant les jeunes, les travailleurs sociaux sont soumis à la culture de la performance, particulièrement dans le domaine du développement de compétences qui faciliteront l’accès à l’emploi [214]. Ils ont besoin de résultats, donc ils ont tendance à se concentrer sur les jeunes les moins difficiles pour atteindre les objectifs qui leur ont été fixés, ce qui est préjudiciable à un public de jeunes marginalisés ou peu enclin à s’engager. Les logiques managériales et les réductions des financements publics nuisent aux missions et sont en contradiction avec les demandes des jeunes. Les études sur les activités menées par les jeunes eux-mêmes montrent qu’elles permettent à un certain nombre de leurs congénères de divers horizons d’acquérir des compétences. Cependant, ce sont les jeunes les plus débrouillards et les plus aptes à se faire entendre qui profitent le plus de leurs engagements ; en s’investissant généreusement, ces jeunes pensent également à leurs curriculum vitae et à leurs futures carrières [215]. Tom Cockburn et Frances Cleaver, ainsi que Linda Milbourne notent la corrélation entre le niveau d’études et la participation des jeunes à des actions bénévoles. L’étude de Bernard Roudet révèle un lien entre l’élévation du niveau d’études et l’accroissement des valeurs universalistes et humanistes de tolérance et d’ouverture au monde [41]. Ces auteurs voient une polarisation entre la jeunesse diplômée et celle possédant un faible bagage scolaire. Pour y remédier, en France comme en Angleterre, certains établissements d’enseignement supérieur ont mené des expériences d’intégration de jeunes méritants provenant de quartiers difficiles, ce dont Annabelle Allouch rend compte. Son étude fondée sur de nombreux entretiens semi directifs effectués en France et en Angleterre analyse les politiques d’ouverture sociale des universités et grandes écoles des deux pays, ainsi que leurs résultats paradoxaux. Il est regrettable que le style d’Annabelle Allouch nuise à la bonne compréhension d’une recherche intéressante. Valérie Becquet dresse un bilan contrasté du volontariat dans le cadre du service civil volontaire en France. Dans son article, elle s’appuie sur l’expérience des jeunes issus de différents milieux sociaux qui ont effectué ce service au sein de l’association Unis-Cité en 2008-2009. Afin de mesurer les effets de leur engagement et de leur formation aux valeurs civiques, elle a mené auprès d’eux une enquête par questionnaires. À la fin de leur service, les jeunes ont une meilleure connaissance de la vie associative, et leur perception des associations s’est améliorée ; une plus grande proportion d’entre eux est prête à s’investir dans une association à l’avenir. En créant le service civil volontaire en 2006, le législateur souhaitait accroître l’intégration politique des jeunes, mais elle conclut que cet objectif n’est que très partiellement atteint [163]. Le service civil volontaire a donc des effets positifs, même si ce ne sont pas ceux imaginés lors de sa création. Les auteurs présentent ici des expériences parcellaires qui ont de nombreux aspects positifs. Cependant, ils dénoncent tous le faible accroissement de la sensibilisation politique des jeunes qui ont participé à ces expériences, ce qui prouve que la bonne volonté ne tient pas lieu de politique cohérente et imaginative. L’ouvrage, qui comporte un petit index, un glossaire des sigles et abréviations, et une imposante bibliographie, est riche et fouillé. La plupart des articles sont d’excellente tenue et de lecture agréable. Partant du constat que peu de jeunes participent aux scrutins nationaux, les auteurs tentent de vérifier si les politiques publiques vis-à-vis de la jeunesse sont susceptibles de remédier à cette désaffection [18]. Ils sont critiques des politiques mises en œuvre, et dépeignent essentiellement une société intolérante vis-à-vis d’une jeunesse exaspérée et frustrée par la montée du chômage et les difficultés à trouver un premier emploi.
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