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Victorian Hybridities

Cultural Anxiety and Formal Innovation

 

U.C. Knoepflmacher & Logan D. Browning

 

Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2010

Paperback. viii + 205 pp. ISBN 978-0801897863. $35.00

 

Recension de Yann Tholoniat

Université de Lorraine

 

 

Cet ouvrage est une ré-édition d’une collection d’articles originellement publiés dans Studies in English Literature (S.E.L. 1500-1900, volume 48.4, automne 2008), et comme le remarque Logan Browning, éditeur des S.E.L. dans une courte préface, il n’y a rien de changé si ce n’est l’ajout par U.C. Knoepflmacher d’une bibliographie en fin de volume. Une partie du sous-titre (« cultural anxiety »…) est repris dans le titre de l’introduction, tandis que l’autre partie (… « and formal innovation ») ne fera pas l’objet d’un développement explicite : la « forme » est cependant le point commun des articles qui constituent la première des trois parties de l’ouvrage. L’introduction, par U.C. Knoepflmacher, cherche à justifier l’unité du volume, qui n’est pas évidente puisqu’une grande variété de sujets y est traitée. En effet, il y a une mise en abyme : ce volume sur l’hybridité est lui-même hybride, nous aurons l’occasion d’y revenir. Après avoir évoqué l’étymologie du mot « hybride », Knoepflmacher présente les quinze articles regroupés équitablement en trois parties : « Formal Hybrids », « Discursive Hybrids », et « Cultural Hybrids ». Le terme d’« hybridité » est pris dans diverses acceptions (le sujet même d’une œuvre, ou bien comme une caractéristique de sa forme), à propos de textes qui associent des contraires [3]. Certains raccourcis sont surprenants : « If Arnold begot T.S. Eliot, Dickens gave birth to Sergeï Eisenstein » [5], et sont destinés à surprendre, dans la mesure où leur pertinence n’est pas flagrante.

Le premier article intitulé « Arnold’s Arrhythmia », par C.D. Blanton, s’intéresse à la préface publiée en 1853 par Matthew Arnold pour expliquer la suppression du poème « Empedocles on Etna » de la collection dans laquelle il avait paru l’année précédente. Blandon étudie les qualités littéraires de la préface qui, tout en critiquant la poésie, ne peut s’empêcher d’en faire. Arnold écrit, selon Blandon, dans une « prose blanche » (« blank prose », comme on dit « blank verse ») caractérisée par une arythmie propre à une modernité qu’Arnold refuse. Linda M. Shires, dans « Browning’s Grafts », s’intéresse à la mise en scène de Robert Browning par lui-même dans quelques-unes des lettres écrites à Fanny Haworth entre 1837 et 1841. C’est l’occasion d’y voir de premières ébauches de ce qui sera appelé le monologue dramatique, dans la mesure où Browning, tout en s’adressant à Fanny, change constamment de ton et de style, passant allègrement de l’évocation d’une scène de la vie courante à une allusion littéraire. Amy Billone (« Elizabeth Barrett’s and Alfred Tennyson’s Authorial and Formal Links ») établit de nombreux parallèles entre les vies et les influences littéraires d’Elizabeth Barrett Browning et d’Alfred Tennyson, avant de discerner quelques-uns de leurs emprunts réciproques, emprunts que, l’un comme l’autre, ils refuseront de reconnaître. Christine Chaney, dans « The ‘Prophet-Poet’s’ Book », se consacre aussi à l’étude d’une œuvre d’Elizabeth Barrett : Aurora Leigh, œuvre dans laquelle elle discerne : « [a] hybrid use of the verse-novel form » [47]. Christine Chaney explique aimablement que cette hybridité n’est pas un défaut, avant d’étudier les techniques de fragmentation et d’interruption, pour conclure que le cadre du poème permet de contenir des forces opposées de façon créative. Parvenu à ce point, le lecteur a déjà rencontré de nombreuses utilisations du mot « hybride », qui est pris comme un point de départ commode plutôt que comme quelque chose à problématiser. Quand tout est hybride, comment se distinguer ? Comment mettre en avant son auteur, son thème ? Danielle Coriale trouve une solution simple mais qui se veut efficace. Elle commence le chapitre « Sketches by Boz, ‘So Frail a Machine’ » en décrétant que la première œuvre de Dickens est plus hybride que les autres, « radically hybrid » [56, 58]. Elle passe ensuite en revue les différents éléments du livre en s’interrogeant notamment sur la place du théâtre dans l’intrigue.

La deuxième partie (« Discursive Hybrids ») s’ouvre par une autre étude sur Dickens : “Grafting A Christmas Carol”. Michael Hancher s’intéresse à une édition pirate du conte dans un numéro du Parley’s Illuminated Library du 6 janvier 1844, dont l’original est désormais perdu. L’auteur du plagiat est Henry Hewitt, qui plaida en faveur d’une « re-origination » du conte. Hancher étudie les paratextes placés par Hewitt (aphorismes, épigraphes, poèmes), pour conclure que le nouveau texte, de par sa nature rhizomatique [80], est digne d’intérêt aujourd’hui. Alan Fischler, dans « Dialectics of Social Class in the Gilbert and Sullivan Collaboration », commence par souligner que l’opéra comique est un genre hybride [86], mais pas plus que les autres contributeurs, il n’en explore à fond les modalités. Après avoir retracé les vies de William S. Gilbert et Arthur Sullivan, il indique les différences d’origine sociale entre les deux artistes. Il résume ensuite plusieurs œuvres écrites en collaboration et étudie leur réception. Il souligne enfin la difficile relation entre le compositeur et le librettiste : « if we meet, it must be as master and master – not as master and servant », déclare notamment Gilbert [93]. Rachel Sagner Buurma, dans « Anonyma’s Authors », réfléchit à la notion d’attribution auctoriale à propos de cette œuvre anonyme, publiée en 1863, et dont on ne connaît toujours pas, aujourd’hui, l’auteur. Selon l’auteure de cet article, l’écrivain inconnu s’inscrit dans l’engouement du lectorat victorien pour les romans dont l’identité de l’auteur demeure mystérieuse. Après le roman anonyme, le canular : dans « The ‘Spasmodic’ Hoaxes of W.E. Aytoun and A.C. Swinburne », Heather Morton, en soulignant sans développer le caractère hybride des articles paraissant dans les revues à publication régulière, rappelle l’évolution de la poésie spasmodique des années 1830 aux années 1860. Le compte-rendu par Aytoun d’un poème spasmodique (Firmilian) fut imité en 1858 par un canular similaire composé par le jeune Swinburne. Morton étudie chacun des textes en soulignant leurs différences de ton et de perspectives. À partir d’une série d’essais publiés en 1880-1881 par John Ruskin, Jonathan Smith (« Domestic Hybrids : Ruskin, Victorian Fiction, and Darwin’s Botany ») met en lumière le dégoût de Ruskin pour ce qui était selon lui un travers de l’époque : l’amour et le sexe. C’est pourquoi, lorsque Darwin fit paraître des livres de botanique dans lesquels il évoquait la sexualité des plantes, Ruskin fut choqué. Il rejettait aussi les romans populaires, dont il déplorait le goût pour le sensationnel.

La troisième partie, intitulée « Cultural Hybrids », s’ouvre sur un article d’Ann Colley consacré à la manière dont Stevenson fut réceptif aux hybridations culturelles entre les Occidentaux et les habitants des îles du Pacifique (« Robert Louis Stevenson’s South Seas Crossings »). Elle étudie la dynamique interculturelle à partir d’exemples tirés des domaines des jeux, des vêtements, d’expressions linguistiques, avant d’en montrer les traces dans des nouvelles de Stevenson, notamment The Beach of Falesá et The Ebb-Tide. Brenda Mann Hammack (« Florence Marryat’s Female Vampire and the Scientizing of Hybridity ») étudie le vampire comme personnage hybride, à la fois humain et animal, réel et surnaturel, dans The Blood of the Vampire de Florence Marryat, publié en 1897, la même année que Dracula de Bram Stoker. Les deux articles suivants, « Assyrian Monsters and Domestic Chimeras » par Deborah Thomas et « A South Kensington Gateway from Gwalior » par Jeffrey Spear, s’intéressent aux enjeux suscités par des expositions. Le premier article montre les réactions ambivalentes, faites de fascination et de peur, de certains Victoriens, envers les sculptures assyriennes rapportées par Austen Henry Layard et exposées en 1854 – réactions ambiguës que l’on retrouve dans un épisode d’Alice’s Adventures in Wonderland ainsi que dans The Story of the Amulet d’Edith Nesbit. L’article de Jeffrey Spear montre dans quelle mesure l’Exposition Indienne et Coloniale de 1886 à South Kensington a été conçue à partir de réflexions souvent contradictoires sur la façon d’éduquer une élite indienne hybride : « an ahistorical ‘traditionalization’ of India […] served to naturalize British rule » [168]. L’article final est écrit par l’éditeur de l’ouvrage, U.C. Knoepflmacher (“Kipling’s ‘Mixy’ Creatures”). Knoepflmacher met en valeur dans l’œuvre de Kipling sa prédilection pour des personnages hybrides, polyglottes, à l’identité nationale indécise, ou encore mi-enfant, mi-homme. Paradoxalement, cette prédilection va de pair avec une défense par Kipling de la pureté raciale et de l’anglicité.

Complété par une bibliographie intitulée « recommended reading », une liste des contributeurs et un index, l’ouvrage se présente – est-il besoin d’insister ? – comme un ouvrage composite. Les articles en effet sont d’un intérêt inégal, au sein d’un recueil dont la variété thématique est grande et dont l’unité conceptuelle est artificielle. La seule unité serait la période victorienne. Le terme d’hybridité n’est jamais défini par les auteurs (sauf si l’on considère que l’étymologie et un historique rapide – deux paragraphes dans l’introduction – suffisent à un cadre définitoire), et pratiquement jamais problématisé. Pire, il est très souvent pris comme une évidence, et est appliqué sans distinction à tous les genres littéraires, à la sculpture, ou à un événement historique. Une allusion littéraire, deux éléments différents mis en comparaison suffisent à le faire surgir comme par magie. L’intérêt de l’ouvrage est plutôt parcellaire, une fois son hybridité générique et générale laissée de côté, et réside dans tel ou tel article spécifiquement lié au domaine de recherche du lecteur, plutôt que dans un projet heuristique consistant à tenter de faire émerger une nouvelle conception de l’époque victorienne.

 

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