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Benjamin Franklin & Thomas Jefferson : Aux Sources de l’amitié franco-américaine, 1776-1808
Nicole Fouché
Paris : Michel Houdiard, 2000.
12,04 euros, 102 pages, ISBN 2-912673-00-3.

Meriwether Lewis & William Clark : La Traversée d’un continent, 1803-1806
Annick Foucrier
Paris : Michel Houdiard, 2000.
12,04 euros, 102 pages, ISBN 2-912673-09-7.

Anne Wicke
Université de Rouen



L’éditeur Michel Houdiard, dont nous connaissons déjà la collection « Littérature américaine », qui offre des traductions de grands textes fondateurs américains (Fuller, James, Crane ou Emerson, pour n’en citer que quelques uns), nous propose ici une seconde collection, « Biographies américaines », visant à présenter de grandes étapes de l’histoire américaine à travers les vies de deux personnages emblématiques des périodes en question. Les portraits de ces deux personnages sont, chaque fois, campés en miroir, comme le précise la quatrième de couverture, « dans la comparaison, la coopération ou l’affrontement ».

Nous devons le premier de ces deux petits volumes à Nicole Fouché, historienne, spécialiste des relations franco-américaines, chercheur au CNRS et détachée au Centre de recherches historiques de l’EHESS. Si les deux personnalités choisies, Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, ont avant tout en commun le fait d’avoir joué un rôle essentiel dans la fondation de la nation américaine, ils partagent également une francophilie certaine. Ils ont été les deux premiers « ministres plénipotentiaires » des Etats-Unis en France, Franklin de 1776 à 1785 et Jefferson de 1784 à 1789. Ils ont pu, à ce titre, poser les bases des relations franco-américaines, sachant tous deux tirer parti d’une situation politique internationale troublée et faire jouer à la France, à un moment où cela était crucial, un rôle de contrepoids face à l’Angleterre. Nicole Fouché met tout d’abord en place le cadre historique (1776-1789), à travers ce qu’elle appelle « un jeu à trois pays » : à l’issue de la guerre de Sept Ans (1756-1763), avec le traité de Paris de 1763, la France, vaincue, a perdu son empire colonial d’Inde et d’Amérique du Nord et la souveraineté anglaise s’étend dorénavant du Saint-Laurent à la Floride. Lorsque, dans le sillage de la Déclaration d’indépendance de 1776, les colons américains insurgés entrent en guerre avec l’Angleterre, une alliance extérieure leur apparaît vite comme indispensable et la France, qui a un contentieux à régler avec les Anglais, sera l’interlocuteur privilégié, malgré son régime absolutiste, catholique et fondé sur les privilèges et l’absence de liberté, que réprouvent les patriotes américains. C’est ainsi que la guerre d’Indépendance va devenir un conflit international, et c’est dans ce cadre tendu que vont intervenir Franklin, puis Jefferson.

Nicole Fouché présente ensuite ces deux héros de l’histoire américaine, soulignant les points communs (héritage des Lumières, goût pour les sciences et la politique, patriotisme…), comme les différences (anglophilie décroissante et accent mis sur la diplomatie pour Franklin, francophilie grandissante et « lobbying » plus commercial pour Jefferson, par exemple) ; elle montre, avec une grande clarté et une concision qui n’empêche pas la précision du détail, le travail accompli par Franklin grâce à son charisme, son sens de la diplomatie et ses nombreux réseaux, un travail qui le rend tout à fait incontestable sur la scène politique et diplomatique française. De même suivons-nous pas à pas Jefferson à partir de son arrivée à Paris en 1784. Ce dernier participe alors aux mêmes cercles, aux mêmes réseaux que Franklin et les deux hommes sauront ainsi établir une remarquable continuité dans les relations franco-américaines. Il reste cependant une expérience que Franklin ne put faire, celle de la Révolution française. Jefferson, en effet, prend ses fonctions au moment où se déclenche la Révolution, et il assiste, quasiment en direct, à l’implosion de la monarchie française, aux journées de juillet, à la prise de la Bastille et à la nuit du 4 août 1789. N’ayant (pas davantage que Franklin ou que les aristocrates libéraux français) pas vraiment pris la mesure de la misère et de l’épuisement du peuple de France, Jefferson sera tout d’abord fort choqué pas la violence révolutionnaire de 1789. Pour les partisans des idées nouvelles, en France, les événements récents survenus en Amérique sont un exemple à suivre (définition de droits, élections de conventions, de représentants, rédaction d’une Constitution…). La Fayette demandera donc à son ami Jefferson — co-auteur de la déclaration d’indépendance américaine — sa collaboration, en particulier pour la rédaction de certaines déclarations, comme la Déclaration européenne des droits de l’homme, ne tenant ainsi pas compte de la position paradoxale de Jefferson, à la fois homme de liberté et propriétaire d’esclaves. Nous quitterons Jefferson au moment où il regagne son pays pour devenir, en 1800, président des Etats-Unis. Le travail de Nicole Fouché a le grand mérite de présenter, de manière vivante, ces deux personnages hors du commun, qui ont su, tout en œuvrant inlassablement en faveur de leur jeune nation, construire et préserver des liens durables, quoique parfois houleux, entre la France et les Etats-Unis d’Amérique.

Nous retrouvons d’ailleurs Jefferson dans le second volume de la collection, que nous devons à Annick Foucrier, historienne, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’université de Paris XIII, également spécialiste des Etats-Unis. Dans une langue alerte, Annick Foucrier nous raconte cette grande aventure, sans pour autant négliger le contexte ou l’analyse des implications historiques ou politiques. C’est donc Jefferson qui, devenu président, poursuivant son rêve que dans les territoires de l’Ouest du continent se trouve un passage par les voies d’eau qui permettrait de traverser les montagnes jusqu’au Pacifique, va demander à Meriwether Lewis et à William Clark de prendre le commandement d’une mission d’exploration de ce territoire encore mal connu et proprement immense depuis l’acquisition de la Louisiane en 1803. Il ne s’agira pas seulement de rendre compte des conditions naturelles, d’effectuer un relevé de la faune, de la flore ou des données climatiques, mais aussi de nouer des contacts officiels avec les populations amérindiennes (dans le but explicite de les pousser à reconnaître la souveraineté des Etats-Unis) et de repérer des zones propices à l’implantation pionnière et à la construction de forts ou d’avant-postes. Enfin, et c’est là l’une des particularités de la mission confiée par Jefferson, Lewis et Clark devront tenir un journal de leur expédition.

Meriwether Lewis, né en 1774, est jeune officier lorsque Jefferson lui propose de devenir son secrétaire particulier, avant de lui confier cette expédition. Les préparatifs seront assez longs et parfois complexes, dans la mesure où il faudra traverser des territoires étrangers : en dépit des promesses de Jefferson et de son assurance que le voyage est avant tout scientifique et humaniste, l’ambassadeur espagnol sait bien que les visées sont en fait essentiellement commerciales (tenter, entre autres, de faire passer le commerce des fourrures par St. Louis et les Etats-Unis plutôt que par le Cap Horn) et expansionnistes. Lewis rassemble ses hommes et propose à William Clark, fils d’une famille de planteurs virginiens amis de Jefferson, de partager le commandement avec lui. La hiérarchie militaire refusera ce commandement bicéphale et Clark ne sera officiellement que lieutenant de Lewis, ce qui n’empêchera pas les deux hommes, une fois partis, de fonctionner à égalité d’autorité. Le groupe quitte Louisville, Kentucky, le 26 octobre 1803 et arrive à St. Louis le 8 décembre, où l’expédition passe l’hiver, la saison étant trop avancée pour remonter le Missouri. Cette remontée ne débutera qu’en mai 1804 : une progression lente, difficile, car le fleuve est puissant, parfois dangereux, et les méandres doublent la distance à parcourir. Mais les territoires traversés sont magnifiques, fertiles, peuplés d’animaux souvent inconnus, comme les élans, les bisons ou les chiens de prairie ; Lewis s’émerveille, collecte des spécimens de la flore et de la faune et prend note des villages indiens ou des forts français abandonnés qu’ils rencontrent. Le groupe connaît ses premiers contacts avec des Indiens Otos et Missouris en août, avant de pénétrer, à la fin de ce même mois, en territoire sioux. La première rencontre avec les Sioux est en fait un échec : certes, les Indiens ne se montrèrent pas réellement hostiles, mais ils répondirent par le mépris aux propositions de Lewis qui entendait se les rallier. L’expédition passe l’hiver suivant auprès des Indiens Mandans, pour repartir en avril 1805, vers les Rocheuses. Cette partie de l’expédition sera sans aucun doute la plus dure, mais également la plus riche, et celle qui vaudra les plus belles pages du journal tenu par les deux hommes (descriptions tout à fait « romantiques » des paysages grandioses et chaotiques, des chutes d’eau, des cols ; récit de la rencontre avec les Indiens Shoshones). Fin août, il franchissent la ligne de partage des eaux, sortant ainsi du territoire de Louisiane, et se retrouvent, début septembre devant les redoutables montagnes Bitterroot. Il seront alors les premiers Blancs à entrer en contact avec les Indiens Nez Percés, qui, selon les Shoshones, savent traverser les montagnes pour gagner une rivière coulant vers l’ouest « jusqu’à un grand lac dont les eaux ont mauvais goût ». En octobre, la descente des rivières (la Clearwater, puis la Snake, puis la Columbia) peut commencer, l’expédition se lance vers le Pacifique. Le 7 novembre, l’océan est en vue, le défi britannique (représenté par la traversée du Canada par Mackensie) est relevé. Le voyage de retour est également long et difficile, l’expédition n’atteindra St. Louis que fin septembre 1806. Les hommes se séparent, c’est la fin d’une grande aventure, et Lewis et Clark se dirigent vers Washington. En 1807, Lewis est nommé gouverneur du territoire de Louisiane, tandis que Clark devient surintendant des Affaires indiennes de ce territoire. Lewis commence à travailler à la publication des journaux, mais, déprimé, il se suicide en septembre 1809. Clark reprend le flambeau, une tâche qui sera terminée en 1814. Clark meurt en 1838. Le texte des journaux est publié pour la première fois en 1904-1905. La mission a non seulement été accomplie, elle a aussi posé les bases de l’expansion territoriale à l’ouest du Mississippi : en apportant de nouvelles connaissances, Lewis et Clark ont encouragé leurs compatriotes à penser leur pays en termes de continent, ouvrant ainsi la voie à la « Destinée Manifeste » des Etats-Unis. Ils laissent aussi un texte fort, émouvant, riche de données de tous ordres, dont on ne saurait nier la dimension poétique qui en fait un « classique » de la littérature de voyage et d’exploration.

Ces deux petits ouvrages présentent tous deux les mêmes qualités : la précision et la pertinence du travail de l’historien, une attention constante portée au contexte, et une écriture agréable et vivante. Ces qualités en font des ouvrages qui sont aussi utiles à l’étudiant ou au lecteur s’intéressant aux grandes pages de l’histoire américaine que plaisants à lire.


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