Traduction et médias audiovisuels
Sous la direction de Adriana Serban & Jean-Marc Lavaur
Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2011 Broché. 269 pages. ISBN 978-2-7574-0341-9. 25 €
Recension de Fabrice Antoine Université Charles-de-Gaulle Lille 3
On retiendra quatre textes de ce volume qui en réunit quinze et qui est un ouvrage fort irritant, voire exaspérant, non pas tant dans le fond, même si la roue semble quelquefois s’y réinventer, que dans sa forme, j’y reviendrai en détail plus bas. Quatre textes donc, que le présent lecteur a lus avec plaisir et intérêt ; celui de Tatiana El-Khoury, « Le sous-titrage dans le monde arabe : contraintes et créativité » [79-91], article bien structuré, qui présente une typologie rigoureuse (ce que n’est pas tout à fait la terminologie) des contraintes qui pèsent sur le sous-titrage dans le monde arabe. Même si la conclusion est attendue (le niveau d’altérations des dialogues de film dues au sous-titrage est très élevé, pour diverses raisons [91]), le panorama présenté ici est intéressant. L’article de Christian Viviani, « La voix étrangère : le doublage dans l’élaboration de la créature cinématographique » [69-78], est intrigant et fait voir le néo-réalisme italien d’un œil nouveau, puisqu’il y est très bien montré une tradition cinématographique propre à l’Italie, qui aboutit, à force de doublage, de post-synchronisation, d’utilisation d’acteurs étrangers et italiens, professionnels et non professionnels, à une « véritable manipulation » d’une sorte de créature purement cinématographique et donc à une utilisation du doublage comme un outil dramatique à part entière—c’est certainement là un cas unique, qui a une lointaine similitude avec le doublage des passages chantés dans le cinéma indien [72]. Le texte d’Eugénie Zvonkine, « ‘Langues relais’ et ‘langues interfaces’ : la traduction de films présentés en festivals » [37-49], aborde un aspect de la traduction cinématographique que l’on soupçonne peu de l’extérieur, celui des traductions, dans le cadre de festivals, exécutées dans des délais très courts à partir d’une langue autre que celle du film original, à partir d’une langue-relais ou d’une langue-interface, donc, selon son degré de proximité avec la langue du film à présenter (qui, évidemment, est une langue à faible diffusion). On imagine sans peine le nivellement linguistique, l’aplatissement stylistique, les pertes de sens ou les contresens que cela génère et que l’auteur déplore justement, comme l’un des aspects regrettables, voire scandaleux, de la traduction cinématographique. Enfin, à propos de scandales, dans l’article qui ouvre le volume, Jean-François Cornu, en fin et désabusé observateur et historien du monde du cinéma et de la traduction pour le cinéma, dresse un panorama de l’évolution du métier de sous-titreur sur les vingt dernières années et de la fortune du sous-titrage ou du doublage à mesure des évolutions technologiques récentes. Son constat est accablant et attristé : c’est un milieu où la rentabilité financière est le critère dominant, dit-il, et où « les progrès techniques ne sont désormais plus mis systématiquement au service de la qualité du sous-titrage » [23]. Il dénonce le sous-titrage spécifique aux DVD (multilingues, oui, mais avec quelle qualité ?), l’aberration du redoublage d’œuvres anciennes, souvent artificiel et anachronique, qui ne respecte ni l’œuvre, ni le spectateur et il appelle de ses vœux une remise au goût du jour de la critique de doublage ou de sous-titrage, qui, peut-être, favoriserait une amélioration de la qualité—et permettrait, incidemment, ajouterais-je, que les sous-titreurs et doubleurs issus de formation de qualité soient employés et rémunérés à la hauteur de leurs compétences. On observera seulement qu’une critique de la traduction d’un film, pour avoir quelque légitimité, supposerait que son auteur ait une compétence avérée dans la langue originale du film—il suffit de penser aux observations sur la langue qui émaillent tant de critiques littéraires de romans traduits pour préférer être très circonspect ! Les quinze articles sont répartis en cinq parties intitulées « Traduction, adaptation et réception » (3 textes), « Aspects culturels du sous-titrage et doublage » (4), « Traduire les émotions » (2), « Enjeux et défis du surtitrage » (3) et « Traduction audiovisuelle et accessibilité aux médias » (3). Commençant ma lecture, à mon habitude, par la fin, je consulte ce qui est intitulé ici « Références » [243-256, suivies des biographies des contributeurs à la page 257 et non 259 comme indiqué dans la table des matières…] : il s’agit de quatre rubriques désignées des vocables « bibliographie », « nétographie », « filmographie » et « théâtrographie », qui regroupent en une liste commune toutes les références des différents articles—on s’interroge sur l’utilité de cette liste, totalement coupée des textes que les références sont censées éclairer et compléter. Il eût été plus cohérent, clair et utile pour le lecteur de laisser à chaque auteur sa liste de références aisément consultable en fin d’article, ou de chapitre, comme certains l’appellent. Ce qui précède attire l’attention sur le statut peu clair de ce volume : tout porte à croire, à la lecture de la quatrième de couverture et de la page de titre, qu’il s’agit d’une série de contributions autour du thème annoncé ; or, l’introduction indique que sont repris ici « en grande partie des travaux du colloque « La traduction audiovisuelle : approches pluridisciplinaires » tenu à Montpellier 3 en juin 2008 » [12] et que ce volume fait suite à un autre sur le sous-titrage paru en 2008, dont la référence n’est pas donnée. Il s’agit de La traduction audiovisuelle—Approche interdisciplinaire du sous-titrage, des mêmes éditeurs scientifiques (Bruxelles, De Boeck, 2008), qui, lui, reprend « l’essentiel des travaux présentés lors d’une journée d’études internationale sur le sous-titrage qui a eu lieu à l’Université Montpellier 3, France, en 2006 » [7]. Pourquoi donc ne pas simplement dire qu’il s’agit d’un recueil d’actes de colloque, remaniés pour publication comme il est d’usage ? Faut-il voir là l’espèce de phobie étrange de nombre d’éditeurs pour les actes de colloque, qui oblige à dépenser de l’énergie pour donner l’apparence d’un livre à des actes, énergie qui serait mieux utilisée dans le remaniement, le recadrage, voire l’approfondissement des textes ainsi que dans la fabrication soigneuse de l’appareil de notes et de références, avec le seul lecteur en tête. Ce qui frappe dans la plupart des textes, c’est qu’il s’agit dans de nombreux cas du compte rendu d’expériences particulières, dont la transposition à un niveau plus général, pratique ou théorique, reste à démontrer et/ou à faire. Ainsi, le texte de Teresa Tomaszkiewicz, « Les limites ou manque de limites de l’adaptation des dialogues filmiques » [51-65], aborde le cas très particulier de la traduction de dialogues de film vers le polonais par un dialoguiste très connu en Pologne, qui prend le parti d’une franche polonisation (qui n’est pas sans incidence d’ailleurs sur le succès et donc la rentabilité de l’exploitation des films étrangers ainsi traduits). Avant de fournir toute une série d’exemples, et de s’interroger sur le caractère éphémère de ce type de domestication, l’auteur argumente sur la différence entre traduction universitaire et doublage, ce qui semble aller de soi pour tout auteur de doublage bien formé et ayant un tant soit peu réfléchi à sa pratique [55]. Le texte de Cristina Valentini, « La traduction des référence culturelles dans le doublage pour le cinéma et la télévision : résultats d’une analyse empirique » [93-109], analyse, lui, un corpus de films et d’émissions de télévision (une dizaine de films et 6h20 d’émissions de télévision ? le volume du corpus est exprimé en minutes…) : l’objectif est de « repérer des approches traductologiques ciblées sur la base de la réitération systématique de certains aspects étiquetés à l’aide de catégories de nature linguistique, pragmatique, culturelle et sémiotique » [94] en ce qui concerne la traduction des références culturelles. Le résultat de l’analyse est que ce que l’auteur appelle la préservation de l’étiquette [99] par emprunt (53%) ou équivalence acceptée (20%) décrit le plus fréquemment ce que fait le traducteur ; l’auteur analyse ensuite les cas d’effacement, et confirme ce que l’intuition aurait suggéré, à savoir que le traducteur procède à un effacement de références culturelles pour privilégier un autre élément de ce qu’il a à traduire (jeux de mots, calembours, etc.). Mais l’étude affinée, relativement limitée, apporte peu d’éléments significatifs, d’autant que les exemples donnés sont souvent des traductions bizarres, qui obéissent à des contraintes non analysées ou témoignent même de l’incompréhension de l’original de la part du traducteur—un exemple tiré de L’auberge espagnole [103], d’une référence géographique effacée, me semble être un contresens de traduction : le traducteur trahit l’original et frise l’aberration, et l’auteur ne fait aucun commentaire… L’article de Manar Rouchdy Anwar, « Traduire l’implicite culturel dans le film égyptien L’immeuble yacoubian (sic) » [111-120], traite du sous-titrage en français du film du réalisateur égyptien Marwan Hamed, L’immeuble Yacoubian (voir aussi plus bas) ; les exemples donnés montrent que des omissions de traduction font que l’implicite (inconscient) n’est pas traité—mais peut-être cela est-il parce que le sous-titrage implique une sélection, une compression, et a déjà fort à faire avec l’explicite ? L’auteur ne semble pas prendre ces contraintes en compte et conclut qu’ « une bonne traduction comble, en diminuant l’implicite culturel, l’écart entre les cultures » [120] et que le traducteur sous-titreur serait un « second metteur en scène des films », en décryptant l’implicite « afin de partager avec le spectateur étranger la compétence encyclopédique de l’équipe qui a réalisé le film » [119] ; l’auteur ne nous explique pas comment cela est possible, à part peut-être dans quelques cas très particuliers, dans l’espace réduit des sous-titres. Valeria Franzelli, « Fortes émotions : décrire et sous-titrer des séquences de colère, unités de sens filmique » [123-137], se donne pour objet la séquence de colère, dont elle a rassemblé 73 exemples extraits d’un corpus de 12 films ; elle décrit minutieusement toutes les caractéristiques, verbales, sonores, visuelles, filmiques, de ce qu’elle nomme cette « unité de sens filmique » et en analyse la traduction, pour conclure à une absence de régularité dans les tactiques de traduction… J’avoue ne pas très bien comprendre ce qui a été démontré et ne pas saisir parfaitement la portée de la conclusion, dont voici le dernier paragraphe : « Nous pouvons donc affirmer que l’unité de sens en sous-titrage doit impérativement être multisémiotique. Il reste à comprendre s’il peut y avoir des régularités dans les tactiques de traduction face à des combinatoires spécifiques de signes filmiques et dialogiques » [137]. Cristina Varga, « Traduire pour rire, Arthur et les chevaliers de la télé » [135-153], pose que la traduction audiovisuelle souffre de déficiences méthodologiques [140] et, se penchant sur la traduction de la série française Kaamelott en roumain, explique qu’ « il existe des situations où la nature du transfert exige de façon évidente l’emploi de principes et de stratégies bien définies, et la traduction de l’humour en est une. » [143]. Après un exposé théorique sur la perspective fonctionnelle, l’auteur analyse les différentes incompatibilités ou « discrepances » qui compliquent la traduction de Kaamelott (je raisonnerais ici plutôt en termes de décalage et de jeu, au sens propre comme au sens figuré). Le lien concret entre l’exposé théorique et l’analyse des traductions et des choix du traducteur n’est pas clair ; en quoi, en réalité, s’agit-il ici d’autre chose que de la traduction de l’humour, de ses ressorts, certes ici parodiques, des décalages que le roumain cherche à transposer, avec les adaptations, compensations, etc. de rigueur. Nous sommes sur un terrain largement balisé et connu pour un certain nombre de couples de langues et l’on peut par ailleurs se demander quel genre de traduction se passe de « principes et de stratégies bien définies »… Les textes sur le surtitrage, « pratique au croisement entre traduction, technique et création théâtrale », nous dit Bruno Péran [168], passent en revue les différentes catégories de transferts linguistiques sur scène (texte d’Yvonne Griesel [171-182]), les contraintes qui pèsent sur le surtitrage (Péran [157-169]) ou le défi particulier du surtitrage de Don Quichotte en version hip-hop (Agnès Surbezy [183-196]. Ces textes posent nombre de questions et montrent comment le surtitreur n’est pas que traducteur—mais semblent ignorer, ou oublier, que le sous-titreur ou l’auteur de doublage, qui travaille certes sur du matériau figé, et même le traducteur littéraire ou technique, n’a pas, ne peut pas avoir, que des compétences en traduction… La dernière partie comprend le compte rendu d’une étude sur « La compréhension de films sous-titrés chez les personnes sourdes et malentendantes » [199-212], l’état des lieux de la traduction en langue des signes en France [215-228] et le compte rendu d’une intéressante expérience de film de cinéma qui s’adresse à la fois aux entendants, aux malentendants et aux non-voyants [229-241] ; les contraintes et enjeux ici sont autres et complexes par rapport au sous-titrage ou doublage « ordinaire » ; ces articles sont informatifs et décrivent bien les besoins qui restent à satisfaire. On aimerait conseiller la lecture de quelques-uns de ces textes à nos étudiants de Master (de Traduction et adaptation cinématographiques), mais il faudrait pour cela que la forme en soit aussi irréprochable que celle que l’on attend de leurs travaux, qu’exige la profession d’auteur de doublage, d’auteur de sous-titres ou de surtitres ou de traducteur, les métiers dont justement cet ouvrage traite, et qui va de soi aussi dans les travaux universitaires, publiés de surcroît par des Presses universitaires, après l’expertise éditoriale d’un comité de lecture [4], qui n’a pas dû manquer d’émettre des recommandations aux éditeurs scientifiques du volume. Ce n’est pas le cas, et l’on en est surpris, puis irrité au fur et à mesure de la lecture. Celle-ci commence, comme dit plus haut, par les « références ». Les fiches bibliographiques ne semblent répondre à aucune norme usuelle : la ponctuation en est étrange, et l’utilisation des majuscules dans les titres d’ouvrages de langue anglaise est totalement anarchique, au mépris des usages élémentaires ; on y utilise « Dans » au lieu du « in » d’usage sans raison apparente. Les titres de films dans la filmographie (mais aussi en de nombreux endroits dans les articles !) subissent le même traitement—même des noms propres en français se voient déposséder de leur majuscule initiale ! Dans l’article qui porte sur le film L’immeuble Yacoubian, du titre à la fin de l’article [111-120], le nom propre Yacoubian (celui du millionnaire à l’origine de la construction de l’immeuble) est écrit sans majuscule (voir le site des éditions Actes Sud, qui publient le roman dont est tiré le film)… On me dira que je « pinaille » et m’attache au détail : il n’en est rien, et la rigueur du volume, tout particulièrement lorsque l’on parle de traduction, se reflète dans ses à-côtés. D’ailleurs, l’ensemble du volume lui-même aurait mérité une relecture attentive des éditeurs scientifiques ou de l’éditeur afin de le purger de nombreuses fautes d’orthographe, d’accentuations anarchiques, de l’accord répété d’adjectifs se référant au nous de modestie au pluriel au lieu du singulier, et afin aussi de modifier, corriger, alléger des passages peu clairs, pour ne pas dire indigestes, en maints endroits. Bref, on l’aura compris, le lecteur est indisposé par bien des scories qu’il eût été facile—et plus qu’utile—d’éliminer de son chemin. On perçoit par ailleurs un certain flou dans la terminologie employée dans les différents articles ou chapitres ; l’adjectif « filmique » est employé dans des collocations peu idiomatiques ; les adjectifs « traductologique » et « traductionnel » paraissent souvent n’avoir d’autre sens que « de (la) traduction » et donc être employés abusivement—certes, le volume ne s’inscrit pas dans une collection de traductologie (mais dans la collection « Arts du Spectacle—Images et sons »), cela n’empêche : tous les articles parlent de traduction, sous une forme ou sous une autre et l’on s’attendrait à ce que la terminologie et les fondements théoriques soient parfaitement établis… En résumé, on lira avec intérêt les quatre textes mentionnés au début de ce compte rendu ; on regrettera que les conclusions des autres textes ne soient pas claires ou pas fortes selon les cas ou que ces textes se bornent à être descriptifs d’expériences ponctuelles dont il conviendrait de tirer des enseignements, et l’on déplorera surtout le manque de rigueur de l’ouvrage dans sa forme, et de certains textes dans leur terminologie ou leurs bases théoriques—ce qui nuit aussi grandement à la perception que le lecteur peut en avoir… et ce lecteur, parmi tous ceux que cite très généreusement l’introduction [12] sera éventuellement l’étudiant, non pas le spécialiste en traduction, pour l’audiovisuel ou non, en traductologie ou en médias.
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