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La Comédie anglaise après Shakespeare

Une esthétique de la théâtralité (1660-1710)

 

Florence March

 

Collection Mondes Anglophones

Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 2010

Broché. 253 p. ISBN 978-2-85399-764-5. 24 €

 

Recension de Denis Lagae-Devoldère

Université Paris-Sorbonne (Paris IV)

 

Il faut savoir un gré infini à Florence March de s’intéresser à la Restauration, et en particulier à son théâtre comique: depuis les départs en retraite successifs de Nadia Rigaud, de Marie-Claire Rouyer et de Bernard Dhuicq, le champ d’étude semble hélas assez délaissé par les anglicistes français. Jean Viviès, dans sa préface, évoque l’influence de cette comédie lorsqu’il s’interroge sur la place d’un théâtre qui se situe chronologiquement après Shakespeare et son écrasante ombre portée, et peu avant l’essor du genre romanesque et la faveur considérable qu’il connaîtra bientôt. L’ouvrage est une version remaniée de la thèse de doctorat de Florence March, soutenue en 2000 devant l’Université de Provence, et la « thèse de la thèse » pourrait se résumer comme suit : la comédie de la Restauration, dont l’auteur délimite le champ chronologique entre 1660 et 1710, révèlerait une « esthétique de la théâtralité ».

Pour démontrer la pertinence de cette notion « un peu fuyante », pour reprendre l’expression de Jean Viviès [6], l’analyse s’articule en trois grandes parties qui suivent une introduction destinée à cerner la notion effectivement élusive : le premier, intitulé « une dramaturgie du narcissisme », part de l’idée que la comédie du temps est essentiellement stéréotypée, et qu’elle représente des personnages issus de la Town (traduite ici par la Ville) dans une opposition implicite ou explicite aux membres de la City, sans oublier les relations de province. De cette dialectique où ce qui sert d’étai peut devenir repoussoir, l’auteur déduit une relation qu’elle appelle spéculaire, dont on peine parfois à percevoir les contours conceptuels et les nuances. Ainsi, si le chapitre sur les maîtres et les serviteurs (ces derniers imitant les premiers), peut se comprendre dans une relation d’imitation—mais imitation est-il synonyme de spécularité ?—la lecture du chapitre intitulé « Entre mariage et évolution : le mariage dans la comédie », sujet déjà très étudié, laisse dubitatif : s’il révèle, certes, « une évolution de l’univers dramatique », il n’apparaît pas clairement en quoi les arguments développés constituent une étape de la démonstration de la partie concernant la dramaturgie du narcissisme.

La deuxième section, qui a pour titre « le texte en scène », permet à l’auteur de donner toute sa mesure puisqu’elle repose sur une analyse très serrée des innovations scénographiques et architecturales qui marquèrent la période. Le théâtre de la Restauration se situe bien, comme l’écrit Florence March, angliciste doublée d’une spécialiste des arts du spectacle, « à mi-chemin entre la scénographie résolument non illusionniste de la Renaissance et la dramaturgie du quatrième mur qui se développera au XVIIIe siècle » [129]. D’où un espace scénique redéfini et mouvant, une aire de jeu agrandie et la naissance de nombreuses « scènes à faire » qui utilisent portes, panneaux coulissants pour présenter des « scènes de découverte » qui tendent à abolir la notion même de seuil.

Le dernier chapitre, « Du reflet à la perspective », s’intéresse de près à la langue de ce théâtre si spécifique. Il est dommage à cet égard que les travaux de Jean Dulck, en particulier sa thèse sur le théâtre de Sheridan, ne soient pas utilisés ni mentionnés. D’autres analyses plus récentes ont également beaucoup insisté sur la dimension éminemment langagière, voire stylistique, de ce théâtre qui se regarde—ce dont Florence March rend compte très efficacement—mais aussi s’écoute et s’écoute parler : la foison d’hypallages, de polyptotes, de zeugmes et de métaphores qu’on y entend fait une rude concurrence aux seuls effets visuels, et il ne semble pas excessif de penser que la langue devient elle aussi un lieu de théâtralité. On aurait pu souhaiter que cette histrionisation de la langue, au cœur de la théâtralité, soit étudiée de façon plus approfondie et plus systématique. L’analyse s’achève sur un panorama très brillant des effets spéculaires qui caractérisent la comédie du temps, qui vont de l’intertextualité à la mise en abyme en passant par le dédoublement structurel.

Cet ouvrage présente donc une très utile synthèse où la connaissance intime des textes dramatiques du temps le dispute à de très solides assises théoriques qui permettent l’émergence de notions vigoureuses et opératoires : Florence March accomplit ici une belle trouée dans la fameuse « épaisseur de signes » qui, selon Roland Barthes, caractérise la théâtralité. On pourra néanmoins regretter que les presses de l’Université de Provence, à rebours des presses d’érudition parisiennes et anglo-saxonnes, semblent avoir une politique éditoriale hostile aux notes, qu'elles soient infrapaginales ou finales—un comble quand on fait profession de publier des ouvrages d’érudition. On sent parfois une absence de liens chronologiques et conceptuels—qui auraient permis, notamment, de mieux cerner la Restauration comme possible épigone de la Renaissance—à quoi s’ajoutent de nombreux éléments de syncrétisme, qui confèrent aux analyses menées par Florence March un caractère abrupt et assertif qui n’est pas d’elle et qui ne sert pas toujours la complexité des enjeux sociaux, politiques et esthétiques soulevés, ni l’érudition de l’auteur.

 

 

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