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Construire l’énoncé en anglais

Voix, négation, exclamation, interrogation

 

Jean Albrespit

 

Toulouse : Presses universitaires du Mirail, 2011

Broché. 186 pages. ISBN 978-2-8107-0136-0. 16 €

 

Recension de Laure Gardelle

École Normale Supérieure de Lyon

 

 

 

Cet ouvrage s’intéresse à la construction de l’énoncé en anglais, autour de quatre types d’énoncés qui ont pour point commun une modification d’une phrase « canonique » de type SVO : énoncés passifs (que l’auteur considère comme des cas de réagencement), négatifs, exclamatifs et interrogatifs. Les modifications se manifestent de manières diverses – modification du contour intonatif, apparition d’éléments, permutations, ... –, mais dans tous les cas, bien que la construction présente des contraintes grammaticales, elle est également le fruit de choix énonciatifs en discours. Le but de l’auteur est précisément de rendre compte de l’organisation de l’énoncé et des raisons et procédés qui expliquent ces transformations de la phrase simple. Pour ce faire, il s’attache à l’anglais contemporain, mais aussi aux origines des phénomènes étudiés en diachronie.

L’ouvrage est destiné principalement aux étudiants d’anglais, et propose un nombre important d’exercices, à effectuer en autonomie ou dans le cadre d’un enseignement. Les exercices d’étape permettent d’amorcer la réflexion ; ils se trouvent en amont des explications grammaticales. Il s’agit surtout de tâches de repérage et de traduction. Certains portent sur le vieil-anglais, mais ne nécessitent généralement pas de connaissances spécifiques pour être abordés. En fin de section ou de chapitre se trouvent des exercices bilan, le plus souvent corrigés. Ils sont complétés en fin d’ouvrage par des exercices dits de synthèse, non corrigés pour la plupart, qui regroupent dans une même section des activités sur les différents phénomènes traités.

L’ouvrage se divise en cinq parties. Après une introduction, dans laquelle l’auteur rappelle qu’il s’inscrit dans le cadre de la théorie de l’énonciation et pose les principaux concepts et enjeux de la perspective adoptée, sont abordés les énoncés passifs (chapitre 1), négatifs (chapitre 2), exclamatifs (chapitre 3) et enfin interrogatifs (chapitre 4). Chacun de ces quatre chapitres principaux suit le même plan : une première section, intitulée « Étapes historiques », est consacrée à des remarques diachroniques, puis une seconde propose des remarques relatives à l’ « anglais contemporain » (terme choisi dans un souci de simplification, et qui désigne plus précisément l’anglais postérieur à 1800).

Le chapitre 5, intitulé « Exercices portant sur tout l’ouvrage », est consacré aux exercices dits de synthèse. Suivent les corrigés des exercices, puis un glossaire, tout à fait utile, qui propose des définitions concises de termes tels que centre organisateur, énonciateur, flexion ou visée. Il comporte également une brève présentation des œuvres médiévales citées dans le corps de l’ouvrage. La bibliographie, quant à elle, propose des travaux sur l’anglais contemporain comme sur l’histoire de la langue, ainsi que des dictionnaires de référence et quelques corpus électroniques – les analyses s’appuyant, comme le souligne l’auteur, sur des énoncés authentiques.

L’intérêt de l’ouvrage est double. D’une part, les remarques diachroniques permettent une mise en perspective des usages contemporains, ce que proposent rarement les travaux qui traitent de ces phénomènes. Par ailleurs, l’originalité de l’auteur réside dans le foisonnement de remarques sur les différents phénomènes observés. Bien que celles-ci soient parfois assez atomisées, et bien que l’auteur opère une sélection au sein des éléments théoriques fondamentaux (par exemple, dans le chapitre consacré aux énoncés interrogatifs, la distinction entre interrogation et question n’est pas abordée), la contrepartie positive est la présence de remarques que l’on ne trouve pas nécessairement dans des ouvrages destinés aux étudiants, ou du moins non destinés aux chercheurs. Le parcours proposé à présent recense certains des éléments qui retiennent particulièrement l’attention.

Concernant les énoncés passifs, l’auteur rappelle que le passif dit périphrastique (be + -EN) existait déjà en vieil-anglais, mais qu’il était d’un usage restreint jusqu’aux XIIe-XIIIe siècles, où il s’est développé, probablement sous l’influence de la perte des déclinaisons. La forme bēon (ancêtre de be) était en outre en concurrence partielle avec weorϸan (get, become), la distinction entre passif d’état et passif d’action n’étant pas si clairement établie qu’aujourd’hui. L’auteur note également que bēon + -EN n’était pas réservé au passif, si bien que la forme aujourd’hui archaïque is come, ou encore is gone, ne doivent pas être pensés comme d’anciens passifs. A côté des passifs périphrastiques, le vieil-anglais disposait de passifs impersonnels, parmi lesquels methinks a survécu jusqu’au début du XIXe siècle. Ils se caractérisent par l’absence de sujet, un verbe à la troisième personne du singulier et un complément au génitif ou au datif.

Au moyen-anglais, la distinction entre ben et weorϸe s’estompe, et weorϸe tombe en désuétude à partir du XIVe siècle, pour disparaître au XVIe. Parallèlement, le passif personnel (c’est-à-dire avec un sujet référentiel) se développe à partir du XIIIe siècle, mais ne se généralise qu’à partir du XVIe siècle, et ne correspond aux usages actuels qu’à partir du XVIIIe. C’est ainsi seulement à partir de cette période que le complément d’objet indirect peut constituer le sujet de la structure passive (auparavant, il fallait utiliser, par exemple, It was told me... ou There was given me...). Enfin, -ING est utilisé comme forme passive en moyen-anglais, en association avec ben. On trouve par exemple l’équivalent de The house is building, forme contractée de a-building, et qui implique un procès en cours. Quant au complément d’agent, be (ancêtre de by) est peu fréquent avant le XIe siècle ; le fait qu’il éclipse ensuite d’autres prépositions pour devenir l’outil prédominant n’est pas exliqué à l’heure actuelle.

Se tournant vers l’anglais contemporain, l’auteur aborde un certain nombre de points clefs, dont la notion de thématisation du patient, l’orientation de l’énoncé, la morphologie, GET + -EN, ... Il recense le passif jusque dans le lexique, plus précisément dans les suffixes -able (ex. doable) et -ee (ex. abductee). Pour le premier, un complément d’agent peut même être utilisé (ex. triable by jury).

À propos des énoncés négatifs, l’auteur rappelle qu’en vieil-anglais déjà existent deux formes : ne, utilisé en position pré-verbale, et (composé de l’élément négativant n- et de ā, qui signifie « toujours »), dont la variante finit par s’imposer. C’est la première forme, ne, qui se combine à d’autres pour former les ancêtres de none (ne +ān) et autres composés négatifs – procédé qui concernait également les auxiliaires, créant par exemple la paire habban / nabban pour have / have not. C’est également ne qui subit une grande évolution au cours du moyen-anglais : employé d’abord en association avec noght (forme post-verbale ancêtre de not) lorsque l’énonciateur souhaite renforcer la négation, il disparaît peu à peu au profit de noght/not. L’autre grande mutation est l’apparition de DO auxiliaire au moyen-anglais, qui émerge à partir de la fin du XIVe siècle – la raison d’être de son essor fait encore débat à l’heure actuelle. Les emplois ne sont systématiques qu’à partir du XVIIIe siècle, avec quelques exceptions telles que I know not (pour des verbes très fréquents et monosyllabiques), qui perdurent jusqu’au XIXe siècle.

Pour l’anglais contemporain, l’auteur souligne l’existence de trois types de négation : non-linguistique (ex. si un terme est barré), linguistique (il rappelle à cette occasion que l’enfant emploie d’abord no + verbe, ex. you no do that, avant not), et implicite (ex. this has yet to be published, qui implique que l’événement n’a pas eu lieu, ou encore actes de language indirects, ainsi Will you come and talk to me ? – I’ve just run a bath.) Il met également en avant une asymétrie fondamentale entre énoncés positifs et négatifs : nier ne consiste pas seulement à dire le contraire, il s’agit plutôt pour l’énonciateur d’adopter une position vis-à-vis d’un contenu propositionnel. Il peut donc y avoir rejet d’une valeur, réfutation, ...  Parmi les très nombreux points abordés, on notera également des remarques sur les registres de langue et les formes dialectales, ou encore sur les fréquences d’usage des formes contractées des ensembles modaux (et périphrases modales) + négation.

Dans le chapitre consacré aux exclamatifs, l’auteur souligne que ce type d’énoncé est difficile à identifier dans les documents en vieil-anglais, en raison d’une utilisation différente de la ponctuation. Il montre cependant que les exclamatives en how, par exemple, étaient déjà fréquentes, contrairement à celles en what, dont la fréquence augmente surtout à partir du XIVe siècle. L’auteur aborde ensuite un certain nombre de points relatifs à l’anglais contemporain. Outre, notamment, le fonctionnement de how et what (seuls mots en WH- pouvant être utilisés de manière non autonome en contexte exclamatif), des injonctions, ..., il rappelle que le point d’exclamation n’est pas toujours nécessaire pour signaler une exclamative. A propos des énoncés averbaux tels que You creature !, il signale qu’une variante plus « construite » n’est pas toujours possible ( ??You are a creature) ; quant aux énoncés averbaux en the + nom (ex. The old fools !), ils ont toujours un effet de sens péjoratif. Le chapitre compte également un panorama intéressant des interjections, parfois onomatopéiques (Wow !) et parfois datées (By Jove !). Sont également traités les cas d’exclamatives en to + base verbale (ex. To see him come into the room !), l’une des formes qui indiquent pour l’auteur une attraction vers le haut degré de la notion. A propos de such, on notera ce rappel : such de reprise (ex. Such a demand sounds reasonable) n’est pas exclamatif, à la différence du such intensifieur (ex. Such a stupid accident.). L’auteur aborde également l’intonation des exclamatives, et montre qu’elle est en lien avec le positionnement de l’énonciateur vis-à-vis de son énoncé. La colère ou la surprise se traduit par exemple par une intonation descendante, tandis qu’une intonation montante-descendante marque une forte implication.

Enfin, les énoncés interrogatifs ont connu une grande mutation, avec, comme pour les énoncés négatifs, l’introduction de DO auxiliaire au cours du moyen-anglais, et son utilisation systématique d’ici à  la fin du XVIIIe siècle. L’auteur examine ensuite les usages actuels, et détaille notamment les types de questions (dont les tags, les questions indirectes, les propositions en Shall we... ?, ...) On apprend également que l’enfant acquiert les interrogatives en trois étapes : après avoir marqué la question seulement par l’intonation, il commence à se servir de mots interrogatifs, vers deux ou trois ans (d’abord what et where, puis how et who) ; la maîtrise des auxiliaires ne vient qu’ensuite. Les question tags sont acquis plus tard encore, avec une étape intermédiaire au cours de laquelle des bruits stéréotypés font office de tags (ex. You like it, huh ?) À propos de l’intonation, l’auteur montre que le contraste entre schéma mélodique descendant pour les questions en WH- et montant pour les yes/no questions n’est qu’une opposition prototypique. Ainsi, une question fermée (yes/no question) posée sur un ton menaçant, ou au cours d’un jeu de devinettes, peut présenter une intonation descendante ; et inversement, une question en WH- peut avoir une intonation montante, ou descendante-montante, pour marquer une forte affectivité (ce que J.C. Wells nomme encouraging rise).

Comme le montre ce panorama, cet ouvrage sera utile à tous ceux qui ont déjà des connaissances de la grammaire des phénomènes étudiés, mais qui souhaitent y trouver certains rappels, et surtout les revoir sous un angle original et aller plus loin dans leur prise de conscience des phénomènes linguistiques de l’anglais.

 

 

 

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