Grammaire des prépositionsTome 1
Jean-Jacques Franckel & Denis Paillard
Collection L'homme dans la langue. Paris, Ophrys, 2007220 pp. 23€. ISBN 13: 978-2-7080-1132-8
Recension de Graham Ranger Université d'Avignon
La Grammaire des prépositions, de Jean-Jacques Franckel et Denis Paillard, fait partie de la prestigieuse collection L'homme dans la Langue (Ophrys), consacrée à des questions de linguistique générale, étudiées depuis une perspective clairement énonciative. L'ouvrage de Franckel et Paillard se présente comme un premier tome, se donnant pour but la description énonciative de six prépositions du français, entre, sur, sous, dans, avant et après. Le livre est composé d'une brève introduction, d'une présentation du cadre théorique, puis de cinq chapitres, consacrés aux différentes prépositions retenues pour l'étude. Le déroulement de chacun des chapitres 2-6 obéit, peu ou prou, au même protocole de démonstration. L'ouvrage se termine par une très brève conclusion, et une courte bibliographie. On regrette l'absence d'index, ainsi que celle d'une table des matières détaillée, omissions d'autant plus gênantes que chaque chapitre suit une logique implacable de division et subdivision qu'un sommaire détaillé aurait permis de visualiser de façon avantageuse. Ces deux absences rendent malaisées la navigation à l'intérieur des chapitres et la localisation de références (1). Nous procéderons d'abord à un compte-rendu linéaire de l'ouvrage, suivi de notre évaluation critique. Dans leur introduction les auteurs commencent par préciser qu'il s'agit du premier tome d'un ouvrage plus important. Ils établissent une première distinction entre deux classes de prépositions : aux prépositions de zonage ou de division, s'opposent les prépositions de discernement. Les prépositions étudiées en tome 1 (entre, sur, sous, dans, avant et après) relèvent de la première catégorie, ayant toutes intuitivement trait à l'espace [8]. Les prépositions dites de discernement (par, pour, en, avec, contre), relevant d'un mode d'appréhension du terme repéré, seront étudiées dans un deuxième tome. L'approche des auteurs s'oppose explicitement aux approches « instrumentales » [9] où « les langues sont censées fournir des 'outils' pour décrire des configurations spatiales » [9], et où les emplois non spatiaux ou fonctionnels des prépositions sont vus comme autant de dérivés métaphoriques d'un emploi spatial premier. Plus généralement, « le sens est […] appréhendé en tant que construit et déterminé par le matériau verbal qui lui donne corps » [9]. Les auteurs considèrent que chaque préposition possède une « identité », mais que celle-ci n'est réductible à aucun de ses emplois spécifiques. Il s'agit plutôt d'un dispositif, décrit en termes de forme schématique et qui, par une interaction complexe avec le co-texte, va générer les valeurs spécifiques reconnues. Encore faut-il « dégager la part respective d'une unité et de son co-texte dans la valeur obtenue » [12]. La préposition est décrite comme un relateur, entre un repère Y et un terme repéré X, ainsi X prép Y (2). L'identification du repère Y est en principe simple, mais l'identification de X peut se révéler délicate lorsqu'on compare, par exemple, les emplois de SUR et DANS dans la mouche sur le plafond et tirer sur les rideaux ou le livre dans le tiroir et cette pièce donne dans le couloir. Conformément à ce constat, l'ouvrage attachera une importance particulière à l'étude des constructions V + Complément prépositionnel, où l'identification de X pose problème. Il distinguera différents degrés d'intrication entre le verbe et le complément prépositionnel, dépassant ainsi l'opposition classique entre compléments et circonstants. L'introduction se termine par une présentation des hypothèses de base et une annonce de plan qui précise quels sont, parmi les six chapitres, le fruit d'une rédaction commune et lesquels ont été rédigés plutôt par l'un des deux auteurs. Le premier chapitre, Cadre théorique et format de description, commence par un rappel des hypothèses présentées dans l'introduction et, en particulier, du concept de forme schématique, qui constitue le principe permettant de gérer à la fois l'identité d'une préposition à travers tous ses emplois et la variation dont témoignent les valeurs en contexte. Chaque chapitre sera organisé de la même façon, avec, en premier lieu, une hypothèse de forme schématique (FS), puis un travail exhaustif de « déploiement de la variation fondée sur l'organisation de l'interaction entre la préposition et X-Y» [22]. Les auteurs distinguent la variation interne à la sémantique de la préposition et la variation externe liée, d'une part, aux propriétés de X et de Y, et, d'autre part, aux rapports entre X, Y et la forme schématique mise en œuvre par le verbe auquel la préposition est associée. La variation interne joue sur les possibilités d'altérité entre les zones du domaine associé à Y, et sur les modes de détermination de X par Y, respectivement Qnt, Qlt et Qnt/Qlt. La variation externe joue sur la valeur lexicale de X et Y (un devoir sur Freud / sur la table), ainsi que sur « les […] modes […] d'intrication entre le verbe et le syntagme prépositionnel » [23]. Il s'agit ainsi des combinatoires possibles entre la FS du verbe et celle de la préposition, combinatoires qui dépendent de façon cruciale de l'identification du terme X (cf. les deux lectures possibles de les pêcheurs ont tiré la barque sur la plage, où sur la plage peut localiser la barque dans un schéma de coprédication, ou encore tirer la barque dans un schéma circonstanciel). Les auteurs proposent une FS pour les verbes tirer et passer, puis étudient les possibilités combinatoires qui opposent, par exemple, Jean a tiré un lapin à Jean a tiré sur un lapin. La construction prépositionnelle tirer sur ouvre un paradigme lexical bien plus important (cf. tirer * la foule / sur la foule etc.) et ne préjuge en rien du résultat du tir (contrairement à tirer un lapin, tirer sur un lapin n'implique pas qu'on ait atteint la cible). Cette discussion permet aux auteurs de systématiser les rapports possibles entre les FS du verbe et de la préposition en trois configurations. D'après la configuration A, la préposition est autonome par rapport au verbe, et fait partie d'un complément circonstanciel. D'après la configuration B, X et Y correspondent tous deux à des éléments de la FS du verbe, par exemple ce rouge (X) tire sur le violet (Y). D'après la configuration C, un des éléments de la FS du verbe correspond à X qui se trouve ainsi pris dans deux relations dans une coprédication. Enfin, au niveau de la relation entre X et Y, les auteurs distinguent encore trois cas possibles. D'abord, X et Y peuvent entretenir une relation autonome, susceptible de s'actualiser par d'autres prépositions concurrentes (les reflets dans / sur l'eau). Ensuite, X et Y peuvent se trouver dans une relation qui ne peut s'exprimer qu'à travers l'entremise d'une seule préposition (il est mort dans / * en / * par un accident de voiture). Enfin, il peut n'y avoir aucune relation a priori entre X et Y, celle-ci étant construite uniquement par la préposition (l'un après / sur / avant l'autre). Ce sont ces paramètres de variation ou de déformabilité qui vont dicter, à divers degrés, le déroulement de chacun des chapitres suivants. En effet, les paramètres de variation élucidés dans le premier chapitre permettent l'élaboration d'une grille herméneutique qui va imposer un protocole aux chapitres suivants via l'exploration systématique des variations théoriquement possibles. Le chapitre 2, consacré à ENTRE, commence par l'inventaire des valeurs attribuées à ce marqueur par Le petit Robert, valeurs qui se partagent entre la séparation spatiale (l'herbe pousse entre les pierres), l'entre-deux (hésiter entre deux valeurs) et la réciprocité ou la comparaison (les loups se dévorent entre eux, opposition entre deux choses). Les auteurs attirent notre attention sur la diversité des réalisations de Y dans le schéma X ENTRE Y avant de proposer la forme schématique suivante : - X est repéré par Y ; - Sur le domaine associé à Y, la zone I-E est construite à partir de l'altérité des zones I et E sur le domaine (notée I | E) ; - La zone I-E se définit comme une zone de neutralisation de l'altérité I | E ; elle est en deçà / au-delà de l'altérité I | E ; - X est mis en relation avec la zone I-E ; - En fonction du mode de construction de la zone I-E, X, tout en relevant de I-E, peut s'interpréter comme ayant une visibilité dans le cadre de la polarité I | E. [40]. Nous ne sommes pas certain de comprendre le sens que Franckel et Paillard attribuent ici à I-E, qui semble osciller au cours de l'ouvrage entre plusieurs rôles (la position décrochée, habituellement notée « IE », et la Frontière, principalement). Par ailleurs, le terme de visibilité n'est pas défini et ne possède pas de définition indépendante univoque, à ma connaissance. Les auteurs indiquent trois rapports possibles entre la position I-E et le domaine I | E : l'en-deçà, où I-E s'interprète comme « I | En attente de I ou de E », l'« indifférenciation positive » [41] où I-E désigne ce qui est commun à I et à E, et, enfin une position décrite comme « ni I, ni E ». Ces trois variations sur les rapports I-E I | E sont ensuite présentées en fonction du type de détermination opérée sur X : Qnt, Qlt ou Qnt-Qlt (noté Qnt/Qlt auparavant). Ceci fournit au total neuf possibilités qui sont illustrées de nombreux exemples, dont nous reprenons quelques-uns ci-après, de façon synthétique : I-E « En attente de I ou de E » Détermination Qnt : hésiter entre plusieurs partis ; choisir entre plusieurs solutions Détermination Qlt : hésiter entre aller au cinéma et regarder la télévision ; choisir entre Paul Pardine et Jacques Radou Détermination Qnt-Qlt : choisir entre deux maux le moindre I-E comme espace partagé Détermination Qnt : beaucoup d'entre nous ont refusé de répondre au questionnaire Détermination Qlt : Qui a rempli le questionnaire ? - Paul, entre autres Détermination Qnt-Qlt : Ils se battent entre eux ; Elle compare les photos entre elles [Emploi discursif de entre nous : Entre nous soit dit, tu n'as plus beaucoup de conversation.] I-E comme espace intermédiaire Détermination Qnt : Marie est assise entre Paul et Jacques ; Paul reçoit ses étudiants entre ses cours Détermination Qlt : Ce livre vaut entre dix et vingt euros Détermination Qnt-Qlt : La distance entre les deux points ; Le conflit entre la France et l'Angleterre On voit ainsi se dessiner trois grands cas de figure, chacun susceptible d'opérer l'un des trois types de détermination. Il s'agit là de variations internes à la FS de ENTRE. Les auteurs passent ensuite à la variation externe avec, d'une part, les configurations vis-à-vis de la FS du verbe et, d'autre part, les propriétés des noms instanciant X et Y dans X ENTRE Y. Dans la première configuration, nommée A, la sémantique de la proposition n'interagit pas avec celle du verbe. Les auteurs distinguent deux types : dans le premier le GPrép correspond à un circonstant du verbe (Je l'ai vu hier soir entre 20h et 20h30), dans le deuxième le GPrép forme avec le GN qui le précède un GN complexe (La navette entre les terminaux). La liste d'exemples est longue. Leur hétérogénéité s'explique, selon les auteurs, par les relations possibles entre X et Y qui peuvent, selon les variations déjà indiquées, soit se trouver dans une relation primitive dont ENTRE fournit une instanciation parmi d'autres ; soit être dans une relation primitive nécessairement instanciée par ENTRE (une personne entre deux âges) ; soit ne pas entrer dans une relation primitive : la mise en relation de X et Y dépend alors entièrement de ENTRE (seul entre tous). Les mêmes trois possibilités de variation sont ensuite données pour les configurations B (X et Y font partie de la FS du verbe) et C (X seul fait partie de la FS du verbe). Nous avons fourni ce résumé assez détaillé du chapitre 2, Entre, afin d'illustrer, pour le lecteur, la démarche des auteurs, qui épuisent ainsi les possibilités d'exploitation d'une grille herméneutique construite par avance. Nous passerons de façon moins détaillée sur les chapitres restants. Le chapitre 3 commence en rappelant les trois groupes d'emplois traditionnellement retenus pour SUR : valeurs spatiales, temporelles et fonctionnelles (rection verbale). Les auteurs s'opposent aux conclusions d'Anscombre (1993) qui tire les valeurs temporelles de SUR à partir des propriétés proposées pour ces mêmes valeurs par Vandeloise (1986) [71], à savoir, la verticalité, le contact, la pesanteur et la taille, le terme repéré étant généralement plus petit relativement au repère. Aux yeux des auteurs, la thèse d'Anscombre ne permet pas de rendre compte des emplois dits fonctionnels de SUR [prendre sur soi, retenir sur salaire, influer sur le cours des choses]. Ils proposent, comme pour ENTRE, une forme schématique de SUR qui prétend représenter à la fois l'identité du marqueur et ses latitudes de variation et que nous reproduisons ici : - X terme repéré, a pour repère Y ; - Dans le domaine associé à Y, sur distingue la zone I-E ; - X est mis en relation avec la zone I-E ; - La zone I-E est considérée comme un espace « mixte » ; définie sur le domaine associé à Y, elle est une zone où Y interagit, selon des modalités variables, avec X représentant E dans la notation I-E ; - Tout en étant mis en relation avec I-E, X garde une « visibilité » propre, que marque son interprétation comme E dans la notation I-E. - I-E est interprété comme un espace de coexistence des termes correspondant à X et à Y, cet espace étant construit à partir de Y. [80] À nouveau, une telle caractérisation soulève plusieurs interrogations. Quel statut donner, dans une forme schématique dont on souhaiterait qu'elle soit exprimée de façon univoque, aux guillemets qui entourent les termes de « mixte » ou de « visibilité » dans le texte ? Que signifie la mise en relation de X avec la zone I-E et comment cette mise en relation se différencie-t-elle de son « interprétation comme E » ? Que signifient par ailleurs les termes « d'interprétation » ou « interprété comme » dans la forme schématique et qui est l'interprète ? Nous y reviendrons. Les auteurs distinguent, à nouveau, trois statuts possibles pour I-E, qui sont, à nouveau, susceptibles de s'associer aux trois modes de détermination, Qnt, Qlt et Qnt-Qlt, et des séries d'exemples sont ensuite commentées, en illustration des neuf possibilités de variation interne. Celles-ci sont enfin mises en relation avec les différentes configurations A, B et C, soumises elles-mêmes aux variations induites par les propriétés lexicales respectives de X et Y. Le chapitre 4, Sous, procède selon la même grille heuristique, sur laquelle nous ne reviendrons pas en détail. Les auteurs s'opposent à nouveau aux perspectives cognitivistes de Vandeloise (1986) ou Borillo (1998) et à la primauté accordée par ceux-ci aux valeurs spatiales dont seraient dérivées d'autres valeurs plus abstraites, désémantisées. L'analyse proposée pour SOUS présente l'intérêt à nos yeux de faire intervenir un terme X', autre que X, souvent implicite, qui contribue au repérage de X relativement à E sur un domaine Y. Ainsi dans des exemples tels que ils dorment sous la tente, qui illustrent la valeur de protection, X (ils) est « dans un double rapport : avec E (espace de protection) (tente) et avec X' (la menace) (pluie, vent…) » [123]. Les auteurs montrent de façon convaincante comment ce troisième terme X' contribue à construire les différentes valeurs de protection, classement (sous la rubrique…), dissimulation (passer sous silence) ou subordination (sous l'autorité de…). Le chapitre 5, Dans, relève, comme les précédents, les insuffisances de la démarche qui privilégie les emplois spatiaux au détriment d'autres, notamment fonctionnels. C'est le premier chapitre rédigé majoritairement sous la responsabilité de Jean-Jacques Franckel et on remarque un changement dans le style, jusque dans la présentation de la forme schématique même : Dans marque que le repérage de X par Y correspond au rattachement de X à Y de telle sorte que la zone de rattachement de X à Y est indifférenciée. Le domaine associé à Y est indifférencié pour ce qui est de la zone où X s'y rattache. [151] Cette expression concise est cependant complétée par de très nombreuses reformulations paradoxales autour de cette FS : L'homogénéisation de Y correspond à un espace qui s'enveloppe sur lui-même, à un intérieur constitutif d'un extérieur qu'il résorbe ; un espace qui est à lui même la résorption de son extérieur, une zone qui a son dehors dedans, qui se définit comme un autour sans bornes, Y a les propriétés d'une structure isolée, d'un univers. [152, italiques dans le texte] Si nous avons l'intuition que ce concept d'un espace indifférencié peut en effet s'avérer utile dans la caractérisation des emplois de DANS, nous ne sommes pas du tout sûr qu'il faille le formuler en ces termes-là. La force d'une forme schématique est, nous semble-t-il, qu'elle s'exprime au moyen d'un jeu limité de termes dont les définitions sont axiomatiques. Le chapitre suit, sous une forme accélérée, et de façon moins méthodique peut-être, la même grille d'analyse que les précédents, en passant d'abord par les variations internes, puis externes. A la différence des autres, cependant, il se termine par deux études de cas tout à fait bienvenues. La première porte sur donner dans, dans des exemples comme Cette pièce donne dans le jardin opposé à Cette pièce donne sur le jardin. Ceci implique un travail intéressant sur l'articulation entre les FS du verbe donner et DANS. La deuxième étude de cas considère les constructions réfléchies du type se complaire dans la culpabilité / se prendre les pieds dans le tapis. Le sixième et ultime chapitre a pour objet les deux prépositions AVANT et APRÈS dont l'apparente symétrie se révèle illusoire, comme le démontrent les auteurs par une série d'oppositions critiques : avant / * après de partir, ? avant / après la borne, arrête-toi… La forme schématique proposée pour AVANT associe le terme repéré X à une zone de bifurcation I-E sur le domaine associé au repère Y. La variation propre à AVANT est apparemment beaucoup moins large que pour les prépositions précédentes et dépend essentiellement de la zone I d'actualisation de Y, « qui peut correspondre à une actualisation effective, soit à une zone d'actualisation pointée [envisagée, visée, virtuelle] » [186]. Ces deux possibilités permettent d'opposer un pas encore rétrospectif à un prospectif [186-187]. C'est là la différence avec APRÈS qui renvoie toujours à « une zone d'actualisation effective » [187]. Les auteurs procèdent ensuite à une brève exploration des formes schématiques de l'imparfait, du passé composé et du plus-que-parfait, afin de montrer comment celles-ci, en combinaison avec AVANT, induisent une série de variations. La question des configurations entre les FS de la préposition et du verbe ne se pose pas pour AVANT, puisque ce marqueur ne présente pas de cas de rection verbale. Le chapitre se termine par une brève étude d'APRÈS qui commence par une étude des cas de rection verbale (crier / courir / attendre après…) avant de présenter une FS pour APRÈS qui associe le terme repéré X à E sur un domaine dont l'actualisation de Y correspond à I. Les diverses configurations sont ensuite présentées de façon très brève, sur les trois dernières pages du chapitre. Enfin, deux pages intitulées En guise de conclusion esquissent un rapide bilan de l'ouvrage, regroupant les six prépositions étudiées selon qu'elles repèrent X par rapport à la zone I-E d'un domaine donné (AVANT, ENTRE, SUR) ou par rapport à la zone E (SOUS, APRÈS), DANS ne renvoyant, selon les auteurs, à aucune altérité sur le domaine, position qu'ils notent IE. L'ouvrage de Franckel et Paillard représente un travail très ambitieux. Il est abondamment illustré d'exemples authentiques tirés en grande partie de la base de données FRANTEXT. Il comporte des micro-analyses aussi nombreuses que fines, nourries de manipulations révélatrices. Mentionnons, à titre d'exemple, les descriptions de passer ou tirer, associés à diverses prépositions, les oppositions minimales remarquables entre la majorité des députés / d'entre eux / * d'eux ou il sera livré sous deux semaines comparé à * il a été livré sous deux semaines. Il s'agit aussi d'un travail nécessaire à certains égards. Nous considérons que les marqueurs linguistiques mobilisent des formes schématiques constitutivement sous-déterminées, dont les valeurs spécifiques ne se précisent qu'au terme d'une interaction complexe avec leur contexte d'apparition. Dans cette perspective, un travail de cette envergure, qui se propose d'analyser la langue comme un système complexe et dynamique, qui s'attache à la désintrication des interactions complexes entre formes schématiques, est tout à fait salutaire. Nous avons cependant fait état, au cours des paragraphes précédents, d'un certain nombre de réserves, et le temps est venu de formuler celles-ci de façon plus précise. D'abord, cet ouvrage destiné, certes, au chercheur aguerri, éventuellement au doctorant, reste malgré tout d'une lecture très ardue. Ceci est dû, nous semble-t-il, d'une part, au sujet d'étude, bien entendu, mais, d'autre part, au choix méthodologique des auteurs dans l'organisation de la structure interne des chapitres en fonction d'une grille herméneutique élaborée au préalable. Cette décision rend inévitable un certain effet de répétition, puisque des exemples déjà vus dans les variations internes réapparaissent au moment des configurations et des variations externes. Même si nous pouvons en apprécier la cohérence théorique, nous aurions souhaité que l'ouvrage consacre un peu moins d'importance à l'épuisement d'une grille d'analyse, en privilégiant des analyses en profondeur sur un nombre plus restreint d'exemples illustratifs. En ce qui concerne les formes schématiques proposées et la terminologie employée, nous avons eu l'occasion de formuler, à plusieurs reprises, des critiques portant sur la prolifération parfois excessive de termes qui n'ont pas été définis ou qui sont employés d'une façon que nous trouvons équivoque. Il nous semble que la forme schématique, pour être opératoire, doit être formulée au moyen d'un nombre limité d'opérations et d'opérandes axiomatiquement définies, ce qui n'est pas, nous semble-t-il, le cas par exemple pour la « visibilité », le « voisinage centrifuge », ou encore les emplois faits du verbe « distinguer » ou des adjectifs « mixte » ou « pointé ». Nous n'avons pas réussi à adhérer à l'utilisation faite de la notation I-E, qui semble correspondre dans l'ouvrage tantôt à la position décrochée (notée IE chez Culioli [1990 :122]), tantôt à la Frontière (le « mixte », peut-être), tantôt à autre chose encore [l'espace intermédiaire dans l'étude de ENTRE]. Il paraît d'ailleurs surprenant de constater que les auteurs n'ont pas fait usage du concept de Frontière dans les formalisations proposées alors que celui-ci semble tout indiqué pour rendre compte de certains emplois de ENTRE ou de SUR, par exemple. En revanche, nous ne voyons pas pourquoi il est fait appel à la position décrochée dans l'étude de APRÈS puisque justement, s'agissant de ce marqueur, l'accès à E se fait par I, en suivant la figure de la came décrite par Culioli IE → I → E puis retour éventuel en IE (Culioli 1999 : 27). Franckel et Paillard, au cours des chapitres, formulent, à plusieurs reprises, des critiques à l'égard des analyses prototypiques, en montrant comment celles-ci font la part belle aux valeurs spatiales des prépositions dont seraient dérivées d'autres valeurs plus abstraites, plutôt fonctionnelles. Les auteurs déplorent le fait que de tels modèles mènent à marginaliser de très nombreux emplois devenus gênants pour l'analyse, tout en ne fournissant aucun véritable mécanisme régulier qui nous ferait passer du prototype spatial à autre chose. Nous sommes globalement d'accord avec cette prise de position ainsi qu'avec le principe qu'ils retiennent de la forme schématique comme dispositif générateur de variations. Ce refus de considérer comme fondateur l'emploi spatial soulève cependant toute une série d'interrogations :
Ces interrogations mises à part, nous saluons l'ambition des auteurs, notamment dans leur tentative de désintriquer l'interaction de facteurs hétérogènes et dans leur volonté affichée de ne négliger aucun exemple – si problématique soit-il – dans leur analyse. Nous lirons avec intérêt la poursuite de ce travail riche et stimulant dans le deuxième tome de la Grammaire des prépositions.
Bibliographie :ANSCOMBRE, Jean-Claude, 1992. « Sur / sous : de la localisation spatiale à la localisation temporelle ». Lexique 11. Presses universitaires de Lille : 111-145. BORILLO, Andrée, 1998. L'espace et son expression en français. Paris : Ophrys. CULIOLI, Antoine, 1990. Pour une linguistique de l’énonciation tome 1, Gap : Ophrys. CULIOLI, Antoine, 1999. Pour une linguistique de l’énonciation tome 2, Paris : Ophrys. DUFAYE, Lionel, 2008. Théorie des opérations énonciatives et modélisation. Paris : Ophrys. __________________________________ (1) Les coquilles et incohérences de présentation sont trop peu nombreuses pour que nous en fassions état. Nous tenons une liste disponible à l'intention des auteurs, le cas échéant. (2) Les caractères gras respectent la convention adoptée par les auteurs.
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