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micromacro

 

Rob Walker

 

West Lakes (Australia): Seaview Press, 2006. ISBN 9781740084154

 

phobiaphobia

 

Rob Walker

 

 Warners Bay (Australia): Picaro Press, 2007. ISBN 9781920957353

 

Tales from the Labyrinth / The Stone Ladder

 

Peter Lloyd

 

Adelaide (Australia): Wakefield Press, 2008. ISBN 9781862547957

 

Mapping the World

 

David Adès

 

Adelaide (Australia): Wakefield Press, 2008. ISBN 9781862547865

 

 

Reviewed by Joanny Moulin

Université de Provence, Aix-Marseille I

 

 

 

Trois exemples australiens de poésie « Nouvelle Phrase »

Il se trouve dans l’Esthétique de Hegel l’idée à tout le moins implicite de la fin de l’art, qui laisse augurer de ce que pourrait bien encore être la poésie lorsque, passée la période historique du romantisme, à plus forte raison celle du modernisme, elle aurait vu se briser son vase discursif. T.E. Hulme définissait le romantisme comme spilt religion : de manière comparable, les poèmes de Rob Walker sont un exemple de cette poésie culbutée, largement répandue en ces lendemains de la fête postmoderne. Le poème « a beginner’s guide to postmodernism » (sans majuscules) en fait un état des lieux : « in the end nothing matters anyway / everyone’s opinion is as good / as anyone else’s / the external world does not exist. / ignore it ». En l’occurrence, le discours poétique se veut ironiquement critique, mais tombe sous le coup de sa propre satire. Aphasique chant posthume de l’auteur, la voix poétique de ce nouveau Maurice Blanchot des antipodes est envahie par la ciguë du silence. Walker est un poète sans discours, un poète sans récit, ou plus exactement un poète de microdiscours, de microrécits… Il ne lui est pas même donné de pouvoir accéder à la beautiful failure des romantiques. Non plus que le monde, cet art d’aujourd’hui n’est pas beau, pas laid non plus : il n’est tout simplement pas.

Reste une production minimaliste témoignant de ce défaut d’être, cette panne d’essence : ni désespérée, ni drôle, ni spirituelle, cette poésie se réduit à la trace éphémère de l’être-pour-la-mort. Fasciné à ses heures par les araignées—voir par exemple « Redback Spider (Male) Latrodectus hasseltii » : « You’re just a package of sperm to her she doesn’t respect your / mind face it you’re a / sex object / your balls are on the end of your antennae and it’s the contents she’s after (…) »—Walker se débat dans la toile du langage, tant et si bien qu’il la déchire. Ce qui ressemble d’abord à des calligrammes est en réalité une explosion, une implosion, du texte : doubles ou triples colonnes, lettres promeneuses, coupures intempestives, fragments minimalistes—« maternity and traction go h                     and-in-hand » (sic, in « Breaking mother’s back »)—, sorte d’équivalent textuel du tableau monochromatique :

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(« Poem for a verbophobic v.9.3 »)

À plus d’un titre, l’écriture de Rob Walker s’apparente à la « New Sentence » telle que l’a définie Ron Silliman(1)—exacerbation de la logique du polyptyque : son esthétique est dominée par la parataxe :

Pataxis is the dominant mode of postindustrial experience. (…) As objects of the media, we are inundated by intense, continual bursts of narrative—(…)—but these are tightly managed miniatures set paratactically against the conglomerate background that produces them. Some language writers have attempted to use parataxis oppositionally in the form of "the new sentence"; (…) Parataxis is crucial: the internal, autonomous meaning of a new sentence is heightened, questioned, and changed by the degree of separation or connection that the reader perceives with regard to the surrounding sentences.(2) 

La poésie « Nouvelle Phrase » de Walker—où se perd comme en un labyrinthe la notion de discours de l’auteur—livre, par intermittence, des bribes de discours, le plus souvent d’un politiquement correct basique jusqu’à la caricature. Dans « how do i shop at ikea ? » (sic) il se moque comme il faut de l’univers machinique et déshumanisé des grands magasins ; dans « A Villanelle on Certain Provisions in Relation to a Bill concerning Anti-terrorism by the Hon. Philip Ruddock » il vilipende telles mesures politiques visant à réguler l’immigration des demandeurs d’asile ; dans « Good morning, America », l’implication des États-Unis dans la guerre d’Irak est dénoncée comme une croisade : « Making war under the Cross (…) as iraqis hide from war planes / come out ! here’s democracy now ! » etc.

Mais ces fragments de discours jetés font davantage l’effet d’un zapping audiovisuel, produisant un bruit bien symptomatique de l’époque contemporaine—« silence is to be avoided / a walkman is good / tv much better » (« metrophobia 3 »). Dès lors, les élans de sympathie pour quelques semblables souffrants peuvent apparaître rétrospectivement comme une indifférence masquée par pudeur, un reste d’humanité auquel Walker s’accroche avec un effarement devant la barbarie soft du monde moderne, qu’exprime bien la tête de Nabuchodonosor par William Blake sur la couverture de phobiaphobia.

Comme Rob Walker, Peter Lloyd aime les mots rares—« eclampsiac », « blastocyst », « spirogyra », et cætera—, mais avec en supplément un penchant distinctif pour l’obscénité—« Their wasted sprays of cunt-juice, huge clitorises / in steatopygia of the stone-age: paleolithic throwbacks » ; « People fuck sheep / and eat spider ». Il barbouille des tableaux grossiers, mais tendres, des pauvres (le job de Lloyd est la construction de logements pour les défavorisés), dans un monde où une nature mécanique (« ice-machines of the wind », etc.) est ravagée par une exploitation matérialiste habillée de christianisme : « In the Church at the Crossroads of the Suburbs, / we baptise all who leave / this cosmic dump—their tongues torn out—/ done with suffering, bulldozers, broken glass, screaming anal worms ». Même bruit signifiant d’une poésie pour masses gavées de culture médiatique jusqu’à l’obésité cérébrale : « Tomorrow’s headlines, TV news / like poetry—like / the soft piping seductions of a distant god / caught in the forcefield / of exploding superhighways / and the purple death-flowers of trees… »

Lloyd fait des excursions, de plus en plus fréquentes, hors du monde consternant de son quotidien, pour évoquer des expériences culturelles qui pourraient émaner grosso modo soit de l’église ou de l’école, soit de la télévision ou du web—« The Kreutzer Sonata », une messe de Palestrina dans « The Mass », un poète chinois dans « Li Shizeng Moves House », une allusion au roman de George Orwell The Road to Wigan Pier qu’il faut expliciter par une note : « Anything for a book! » Comme Walker, Lloyd donne constamment l’impression d’être atteint d’une logorrhée graphomane, secrété comme une prophylaxie de l’angoisse au contact d’une vie à la Samuel Beckett, déprimante de non-sens. Reste qu’il y a tout de même quelque chose de terriblement philistin dans cette compulsion à produire de l’inculture, sorte de junk lit’ à l’instar de la junk food. Offre promotionnelle : le lecteur achète deux recueils pour le prix d’un—chaque première de couverture est la quatrième de l’autre, si bien que le livre peut s’entamer indifféremment par Tales from the Labyrinth ou The Stone Ladder : il suffit de le retourner au milieu… « In Times Trashed » est une démonstration explicite, parmi bien d’autres, que cette poésie brutaliste (comme l’architecture brutaliste, du français « brut de décoffrage ») est trashy parce qu’elle se veut à l’image de son époque :

And for Enviro crimes / fraud / and or / corruption, theft, racism,

 

name—Bayer, Boeing, Citigroup, Coca-Cola, Credit Suisse, Daiwa Bank, Hofman-Laroche, Royal Caribbean Cruises, TAP Pharmaceuticals, Wal-Mart, Enron (the smartest guys in the room) etc.

 

… Even in our Impuissant lives—where the government pursues

its ‘geo strategies’ by pissing on the heads of the unemployed.

 

[…]

 

as, in the same breath, I note a wall

by the Dead Animal Caff which, this morning, announced—

 

We aRE PeOPLe 2 !

 

has been slobberdammmed, sand-blastedblasted off, by the tin-heads

screaming—this is our city, our planet, our universe…

Plus traditionnels, les poèmes de David Adès apparaissent d’abord comme des notes dans un carnet de voyage, sensations fugitives capturées par un touriste en mal d’histoire—« History / hides its secrets from the eye / its witnesses / those numerous hosts / covering the earth / the bare earth itself / reticent / aloof ». Les titres rappellent les étapes d’un périple ailleurs qu’en Australie—« Leaving Piraeus », « Samos », « An Afternoon in Bombay », « Nightfall, Dalat, Vietnam », « Mojito », « By the Straits of Florida », « Haad Rin, Koh Pha Ngan, Thailand », etc. Archéologue des impressions, il collecte des fragments dans des poèmes souvent polyptyques dont les mots s’éparpillent sur la page, formant comme la recherche d’un sens perdu—« I thought to unlock mysteries : / words on a page archaeological tools / excavating, brushing, sifting. » Quelques poèmes animaliers—« Dove », « Egret »—le rattachent à un romantisme moderniste à la Saint-John Perse, pour qui les oiseaux étaient « la plus grande strophe qui soit au monde ».

La nature garde pour Adès une part de mystère et lui inspire encore un sentiment océanique de connexion environnementale—« Forecasts / are unclear : my voice swings fickle as a / weathercock beneath a wild, windswept sky. »—« My eyes are floodwaters, the banks of swollen rivers ». Le discours poétique, vestige d’une époque désormais surannée, a la patine conventionnelle des chromos—« The muse is a tease, a flirt, a flashing / skirt » ; poème sur l’aube intitulé « Daybreak », etc.—qui paraît d'autant plus incongrue qu'elle est juxtaposée à des poèmes comme « Betrayal Squared », formé de quatre colonnes de mots, invitant une lecture aléatoire. David Arès est sans nul doute plus provincial encore que Peter Lloyd et Rob Walker : voilà bien trois poètes dont les productions sont très typiquement datées de la fin du siècle dernier et peinent fort à lui survivre.

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(1)The New Sentence. New York: Roof, 1987.

(2) Bob Perelman, ‘Parataxis and Narrative: The New Sentence in Theory and Practice’. American Literature, 65-2 (June 1993) : 313-324.

 

 

 

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