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Palimpsestes 20 : De la traduction comme commentaire

au commentaire de traduction

 

Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, septembre 2007, 249 pages

 

Recension de Camille Fort

Université de Picardie Jules Verne (Amiens)

 

Dans un avant-propos de neuf pages, Maryvonne Boisseau, qui coordonne ce numéro de la revue Palimpsestes (dédié à la mémoire de Didier Coupaye), revient sur les deux notions annoncées, traduction et commentaire, dont le titre souligne l’interdépendance. Les resituant dans l’histoire de la traduction, elle rappelle que l’interprétation textuelle est à la fois postulat et effet de la traduction. Celle-ci aboutit à une démarche herméneutique en ce que la traduction pense le texte qu’elle restitue, et à l’inverse, parce qu’elle garde dans ses énoncés les traces des « circonstances particulières de son énonciation » [12], se donne elle-même à penser.

Cet avant-propos permet de dépasser ce que l’amphibologie du titre pourrait suggérer de trop schématique en soulignant à bon escient que l’histoire de la traduction ne se dissocie pas d’une histoire de la lecture et de l’exégèse, toutes œuvrant à la survie des textes dans la mémoire collective. Suit une présentation rapide des contributions qui souligneront tour à tour les modalités autorisant ce processus d’interprétation redoublé, mais aussi les tensions et les résistances auxquelles il lui faut se confronter.

Les histoires de la traduction publiées en Occident attribuent un rôle pionnier aux traducteurs de la Bible et les deux premiers articles reviennent sur la façon dont ces traducteurs ne peuvent faire l’économie d’une exégèse du langage et de la pensée bibliques. Cette exégèse a nourri et consolidé la formation de la doctrine religieuse, en sacrifiant ou simplifiant parfois le fourmillement de sens porté par la lettre du texte, ce que Marc de Launay appelle son « pansémantisme initial » ou son « caractère immaîtrisable » [23]. Il revient ensuite sur les deux grands courants de l’interprétation biblique, littéralisme et allégorie, renvoyant tous deux à l’autorité du lecteur, incité à découvrir le sens du message divin dans la dynamique du texte, dans l’alliance étroite entre signifiants et signifiés : Marc de Launay donne pour exemple les prénoms Adam (trop vite restitué dans les traduction comme un nom propre) et Hevah dans l’incipit de la Genèse.

Lynne Long revient elle aussi sur cette complicité nécessaire entre traduction et commentaire biblique, depuis l’alliance entre Jérôme (auteur de la Vulgate) et Augustin (sémioticien et exégète du texte sacré) et ce qu’elle peut révéler d’insidieux. Après avoir posé les principaux jalons dans l’histoire des traductions bibliques, elle s’appuie sur la comparaison de traductions pour faire apparaître les interprétations cachées, et les a priori idéologiques qui fondent celles-ci, des traducteurs. L’exemple le plus intéressant porte sur la glose énergétique d’une phrase araméenne du Christ par l’évangéliste Marc et son élision dans les retraductions contemporaines : censurer le commentaire du traducteur revient-il à « purifier » le texte d’une intervention devenue pourtant canonique ou à superposer une nouvelle posture idéologique sur une autre plus ancienne ?

Si les deux études de cas qui suivent, l’une de Ben Jonson traducteur d’Horace, l’autre de l’adaptation d’une pièce anglaise au (bon) goût français ne sacrifient guère à l’originalité, l’analyse que fait Siobhan Brownlie de l’emploi récurent du mot « cause » par le premier traducteur de Zola frappe par sa portée démonstrative : l’auteur indique de manière très convaincante comment mettre à profit un outil linguistique encore peu usité, la prosodie sémantique (l’analyse de la valeur sémantique au regard du cotexte) pour émettre des hypothèses plausibles touchant l’engagement du traducteur avec son objet — ici son désir de rendre justice au naturalisme cher à Zola... au détriment des nuances plus impressionnistes du texte.

Les trois chapitres qui suivent s’intéressent au paratexte comme espace certes limité et liminal, mais espace d’une liberté énonciative pour le traducteur qui peut y rendre compte de son rapport au texte sur un mode exemplaire.

Pascal Sardin revient ainsi sur une pratique ayant fait couler beaucoup d’encre, la très controversée note de bas de page. Sans trancher la controverse, elle démontre que la note est davantage qu’un aveu de faiblesse ou un « dangereux supplément » (Derrida) : elle participe de la traduction comme parcours herméneutique en ce qu’elle déplie la polysémie du texte et éveille la curiosité du lecteur.

Ce versant positif de la méditation est ensuite remis en cause par Hilla Karas qui, en s’appuyant sur une lecture comparée des éditions critiques d’Aucassin et Nicolette, suggère que le commentaire paratextuel oriente explicitement le lecteur dans sa manière de s’approprier le texte et tire celui-ci vers un objet « monolithique, stable et cohérent » au détriment de ses ambiguïtés et obscurités. Le paratexte met à l’épreuve la posture éthique du traducteur, comme le suggère également Maïca Sanconie en revenant notamment sur la préface de Nabokov à son auto-traduction de Despair, où l’auteur n’hésite pas à « trafiquer » les faits pour imposer son protocole de lecture.

Marie-Laure Rigeade mène à terme le parcours dialectique annoncé en envisageant le commentaire dans une approche temporalisée « dont le régime est l’anachronisme et la figure, le spectre » [178]. Empruntant ses exemples à Joyce et à Nabokov, prompt à glisser des auto-traductions commentées dans ses récits, elle étudie leur « co-présence » [179] au sein du texte et de ses traductions, influencées par tout un palimpseste d’influences et de versions antérieures : sa lecture des traductions de Lolita est très juste à cet égard. C’est dans cette tension entre discontinuité et résurgence que se joue la pratique traductive, comme ce qui ne cesse de nourrir la mémoire littéraire.

On reste un peu pensif devant le dernier texte, un entretien d’Anne Mounic avec Claude Vigée et son traducteur britannique, le poète Antony Rudolf qui édita sur le tard la traduction par Vigée des Quatre Quatuors de T.S. Eliot, refusée par le Seuil qui avait l’exclusivité des droits de traduction. Claude Vigée est incontestablement poète et son auto-commentaire comporte mainte remarque intéressante (sur la distinction entre temps et durée, l’intertextualité biblique...), mais ses propos lapidaires à l’endroit de Pierre Leyris, le traducteur choisi par le Seuil avant que Vigée ne propose sa version, et d’Eliot lui-même, inculpé de sécheresse atrabilaire contraire à la morale évangélique, ne feront pas nécessairement l’unanimité chez les lecteurs.

Cela n’empêche pas que l’ensemble du numéro constitue un jalon précieux pour approfondir une question qui persiste au cœur de la pratique et de la théorie traductives.

 

 

 

 

 

 

 

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