Hollywood à la conquête du monde Marchés, stratégies, influences
Nolwenn Mingant
Paris : CNRS Éditions, 2010. 316 p., ISBN 978-2-271-06958-0, 25€
Recension d’Anne Crémieux Université Paris Ouest – Nanterre – La Défense
Cette étude de la politique d’exportation mondiale des grands studios hollywoodiens s’efforce de clarifier la stratégie économique américaine dans le domaine cinématographique, en la replaçant dans le contexte plus général de la mondialisation. Celle-ci se traduit par une concentration accrue et une implantation la plus vaste possible, mais aussi par des influences économiques et culturelles multilatérales. L’aspect diplomatique est au cœur de l’analyse, avec pour personnage principal Jack Valenti, président de la MPAA (Motion Picture Association of America) et MPEA (Motion Picture Export Association of America) de 1966 à 2004 (biographie en annexe [296-7]). Le corpus de films est constitué de la production des grands studios exportée à l’étranger, soit la partie la plus visible du cinéma américain, ainsi que des productions étrangères financées par les studios, qui constituent sa partie la moins visible, le rattachement aux États-Unis étant le plus souvent ignoré du grand public.
Adoptant un point de vue pragmatique de logique de marché, Nolwenn Mingant ne condamne jamais l’impérialisme culturel américain tel qu’il peut être perçu à travers le monde, tout en admettant qu’il s’agit bien d’une des extensions du dynamisme économique caractéristique de toute la nation, soutenue par le gouvernement quand le contexte s’y prête. En conséquence, d’après l’auteure, le cinéma américain fait preuve d’une diversité culturelle grandissante tout en proposant sa culture, néanmoins américaine, au reste du monde. L’esprit critique pourra y trouver matière à protéger les cinématographies nationales pour des raisons idéologiques, tout en reconnaissant que les motivations des studios sont avant tout économiques.
Après avoir défini les marchés sur lesquels les majors sont présentes, et leurs différents degrés d’ouverture à travers l’histoire (prologue), la première partie est consacrée aux stratégies d’exportation. On comprend mieux les enjeux de campagnes publicitaires mondiales, qui tout en étudiant les marchés locaux, deviennent plus homogènes par souci d’économies d’échelle mais aussi en réponse à la moindre nécessité d’adapter les produits à des publics mieux informés. Les alliances avec les entreprises locales sont complexes et diversifiées selon les pays, expliquant les divergences d’un pays et d’une région à l’autre. Enfin, les stratégies monopolistiques (alliances entre studios) et leur visibilité (sièges sociaux présents dans les capitales) sont proportionnelles à l’ouverture du marché. Plus un marché est fermé, plus les studios agissent de manière concertée, plus ils se font discrets aux yeux du grand public. Un marché entièrement ouvert sera davantage traité comme le marché domestique, faisant jouer la concurrence entre les studios américains.
Le deuxième chapitre de cette partie analyse les modulations culturelles à travers les stratégies marketing et les films eux-mêmes, lorsqu’une production est exploitée sur différents marchés, qu’il s’agit de connaître le mieux possible tout en exploitant les spécificités de chaque film : thèmes européens et acteurs étrangers seront perçus de manière différentes des deux côtés de l’Atlantique, aux exportateurs de savoir en jouer. Le doublage et/ou le sous-titrage font partie des étapes multiples de la « localisation » du film, avec de nombreux exemples à l’appui. L’auteure fait état des efforts consentis par les producteurs pour anticiper la réaction des publics internationaux les plus lucratifs, donnant encore de nombreux exemples détaillés de clins d’œil qui seront perçus différemment sur différents marchés.
Les chapitres trois et quatre décrivent les efforts diplomatiques, des plus doux aux plus musclés, déployés au cours des décennies pour pénétrer les marchés réticents. L’argument principal reste celui de la liberté que l’Amérique représente, liberté du marché, liberté du public et liberté d’expression, également revendiquée par le diplomate Jack Valenti quand il s’agit de négocier avec la censure américaine. Quelques études de négociations âpres et de manœuvres pour lutter contre le piratage susciteraient de longs débats que Nolwenn Mingant évoque, montrant par exemple que les majors ne luttent contre le piratage qu’une fois installées dans le pays, celui-ci aidant au préalable à faire ouvrir des marchés fermés, en créant un désir, et à les rentabiliser par la suite, en familiarisant le public avec les produits bientôt disponibles.
La deuxième partie s’intéresse plus particulièrement à l’évolution récente de la politique internationale des studios, cherchant à en déceler les tendances et les implications. Selon l’auteure, la période post-2000 est marquée par « le partenariat et la collaboration » [167], après quarante ans de confrontations diplomatiques marquées par la menace et le boycott. « Les majors laissent derrière elles l’époque de la colonisation conflictuelle » [187]. Cela se « traduit par une réelle prise en compte de la force économique des industries nationales, de leurs potentiels, mais également de leurs savoir-faire » [189]. Cette réflexion aboutit au concept de glocalisation, refusant le terme de Globalwood, qui insiste sur la mondialisation uniquement, pour lui préférer celui de Glocalwood, marqué par le partenariat et la collaboration à l’étranger [190].
Le deuxième chapitre de cette deuxième partie fait le point sur l’évolution de l’influence des étrangers à Hollywood. « Alors qu’avant, on pensait au marché extérieur après coup (afterthought), au début du XXIe siècle, Hollywood y pense « dès le départ » (forethought) » [193]. Après avoir relativisé l’importance de l’influence des investisseurs étrangers sur le contenu et la distribution des films, l’ouvrage évoque la bureaucratisation des instances décisionnelles (greenlight committees) et leurs critères commerciaux extérieurs aux films (produits dérivés, tournées potentielles des stars, etc.), tandis que l’ampleur du budget d’un film dépend étroitement de son potentiel international.
Le troisième chapitre établit une distinction forte entre l’ouverture aux étrangers des années 1960, motivée par un réel intérêt pour le cinéma européen notamment, et celle des années 1990, occasionnée par la conquête de nouveaux marchés, donnant « naissance à une nouvelle logique marketing, autour du rêve d’un monde uniforme » [225]. L’uniformité est recherchée non pour elle-même, mais pour les économies d’échelle qu’elle implique : moins de marketing différencié pour un public ciblé, non-traduction des titres et peut-être un jour, des dialogues.
Enfin, le dernier chapitre fait le bilan des conséquences parfois contradictoires, du point de vue de la diversité culturelle, qu’entraîne la recherche du profit. Les films pensés à l’international n’en sont pas pour autant dénués d’idéologie américaine, où l’étranger est souvent stéréotypé dans le rôle du méchant, tandis que les films à petits budgets, non exportés car trop spécifiquement américains, continuent de constituer une part importante de la production et de l’équilibre financier des majors. Le détail des films les plus rentables à l’étranger est d’ailleurs parfois déroutant, certains films dits « de niche » remportant de très bons résultats, tandis que des blockbusters trop ouvertement patriotiques seront boudés à l’étranger.
L’ouvrage se conclut sur le ton raisonnable qui le caractérise tout du long, expliquant que les « majors, en devenant globales, restent américaines », tout en s’orientant « plutôt vers la diversité culturelle » [271]. La « glocalisation » est présentée comme un phénomène positif, qui « pourrait alors donner naissance à des collaborations équilibrées » [273] tant que les majors y trouveront leur intérêt économique [274].
La bibliographie fournie et les annexes ancrent l’ouvrage dans une vision économique et statistique de la culture, toujours informée par les films eux-mêmes, et non uniquement par les notes de productions ou les rapports saisonniers des entreprises. Dans l’ensemble, les majors sont présentées comme dotées de qualités de négociation et de compréhension du marché à la source de leur réussite financière. Si l’on peut regretter que le marché africain ou les films latinos comptent si peu aux yeux des producteurs hollywoodiens, il semble néanmoins difficile de démontrer que les raisons sont autres qu’économiques. Les artistes comme le public se plaignent souvent de vision étriquée, trop purement financière, du cinéma des grands studios. Hollywood à la conquête du monde donne de nombreux éléments de réponse sur la logique, si ce n’est le bien-fondé, de cette politique moins unilatérale qu’il n’y paraît.
Cercles © 2010
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