Des genres aux textes Essais de sémantique interprétative en littérature de langue anglaise
Françoise Canon-Roger, Christine Chollier
Arras : Artois Presse Université, 2008. 361 p. ISBN 978-2-84832-073-1. ISSN 1269-9519
Recension de Jean-Jacques Lecercle Université Paris X - Nanterre
J’ai toujours pensé que l’explication de textes n’était pas seulement une spécificité de l’enseignement français, mais sa principale gloire. Mais cette pratique glorieuse a été rarement théorisée, et a été principalement transmise par imitation et imprégnation. L’ouvrage de Françoise Canon-Roger et Christine Chollier, qui se présente sous la forme de vingt explications de texte, vise à pallier ce manque de théorie. Il est inspiré par une théorie forte, la sémantique interprétative de François Rastier, dont il déploie et met au travail les concepts avec une grande habileté. Cela commence, bien sûr, par une théorie du passage, car ces textes ne sont jamais choisis au hasard, mais pour leur position stratégique dans l’œuvre dont ils sont extraits, et dont ils exemplifient, comme une porte d’entrée privilégiée, les traits génériques. Cette dialectique du local et du global, du passage et du genre, est ce qui fait l’intérêt de l’ouvrage, qui se caractérise par son ouverture, mais aussi par une forme de clôture. Ouverture, d’abord, puisque dix genres sont abordés (allégorie, épique, comique grotesque, conte folklorique, élégie, poème d’amour, gothique, roman policier, roman de la Big House, satire), couvrant la quasi-totalité du champ littéraire. Ouverture ensuite parce qu’à chaque genre sont consacrés deux essais, sur des textes appartenant l’un au domaine irlandais, l’autre au domaine américain. Ouverture enfin, parce que les textes choisis ne se contentent pas d’exemplifier et d’illustrer les contraintes génériques, mais jouent avec elles. Et pour chaque texte, les auteures conduisent leur interprétation avec autant de brio et de finesse que de systématicité. Mais aussi clôture. Françoise Canon-Roger et Christine Chollier pratiquent le Rastier, langue théorique rébarbative mais qui mérite l’effort d’apprentissage, avec une incomparable dextérité. Mais elles ne facilitent guère son apprentissage par le lecteur non averti (ou converti) : le texte est suivi d’un glossaire laconique, dont les définitions renvoient de l’une à l’autre, dans la régression infinie des dictionnaires ; il est précédé d’une introduction qui perd son temps à assassiner en quelques lignes toutes les autres théories critiques (c’est là la partie la plus faible de l’ouvrage) au lieu d’introduire aux concepts essentiels. Le travail du lecteur, pour s’approprier une pensée aussi complexe que systématique, n’est donc pas facilité : mais il se fait, petit à petit, au fur et à mesure de la lecture des essais, car les concepts y sont misau travail avec une cohérence et une clarté toutes pédagogiques. Au bout du compte, aucun lecteur ne regrettera l’effort fourni : l’investissement intellectuel requis est nettement supérieur à la moyenne, mais le retour sur cet investissement est important et garanti. Voilà un livre qu’il faut lire, et faire lire aux étudiants.
Cercles © 2010
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