Cultures de la confession. Formes de l’aveu dans le monde anglophone Aix : Publications de l’Université de Provence (PUP), 2006
Recensé par Françoise Dupeyron-Lafay (Université Paris 12)
Ce recueil bilingue de vingt-cinq essais de longueur très variable (dont seize en anglais et neuf en français, outre l’avant-propos de Gilles Teulié, lui-même en français, comme la table des matières) couvre des aires géographiques et culturelles aussi diverses que la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Canada, les Caraïbes, l’Irlande et l’Afrique du sud, comme l’annonce son titre qui évoque « le monde anglophone ». Le volume propose une sélection d’analyses littéraires et de travaux de civilisation, relevant de l’histoire des idées ou des études culturelles, et se situe pour l’essentiel (sauf au début de sa première partie) dans la période contemporaine (domaines postmoderne et postcolonial en littérature par exemple). Il s’articule selon trois grandes parties de type thématique, toutes subdivisées en deux sections. Pour des raisons de commodité, étant donné le nombre très élevé d’articles et l’impossibilité de tous les commenter en détail, la table des matières est consultable à la fin de cette recension. Les deux premiers articles de « Confessions et représentations » (P. Sahel et P. Kottman) sont consacrés aux (impossibles) confessions dans Hamlet (celles de Claudius et de Hamlet), et le troisième (J. L. Claret) à la question de l’aveu et de la rédemption dans quatre autres pièces de Shakespeare (Richard III, Henry IV, Othello, King Lear). Ce premier volet « renaissant » se clôt avec l’étude de P. Drouet sur les « confessions obliques » dans The Duchess of Malfi de Webster. Plusieurs problématiques essentielles pour étudier la confession assurent la cohérence de cette première section : le rôle central et la fonction des monologues (Sahel, Claret), les aveux et les confessions inconscients et involontaires, verbaux et corporels (Kottman, Claret, Drouet), la différence entre confidence (païenne) et confession (religieuse) (Drouet), et, d’une manière générale, le substrat religieux qui sous-tend la pratique de la confession, et les stratégies de subversion et de contournement mises en œuvre dans ces pièces. Sahel considère que le monologue n’est qu’une « possible confession théâtrale », la « véritable confession » ayant des « racines religieuses » [16]. Kottman avance pour sa part que le corps de celui qui se confesse signifie apparemment d’une façon involontaire et inconsciente : « ces confessions corporelles relèvent de ce que l’on pourrait appeler un mode théâtral d’exposition du moi, dans lequel ce qui est en jeu est avant tout l’auto-révélation de celui qui est en scène » [25]. J. L. Claret, qui souligne les similitudes entre le théâtre de Shakespeare et le confessionnal de l’église catholique, s’interroge lui aussi sur la fonction véritable et paradoxale du monologue, « ce lieu privilégié d’une introspection ouverte où le personnage se dit, se révèle, pour mieux se cacher peut-être » [27]. De fait, le secret, rendu « public », « ostentatoire », visible, et mis en scène n’a rien à voir avec la relation personnelle et intime qui unit le moi et Dieu dans le protestantisme. P. Drouet met en lumière l’influence calviniste s’exerçant sur Webster en expliquant que la confession, considérée comme une pratique papiste corrompue, « soit mise à mal » [39] dans une pièce qui se joue pour « un auditoire […] de confession majoritairement anglicane » [40]. Là encore, « Si le crime se confie ou se confesse […] c’est toujours en l’absence de prêtre, sur un mode oblique. L’aveu est rarement le fait d’un acte de volonté (…) il échappe à tout contrôle et se dit à l’insu du langage » [40], et les confessions se voient entravées par l’athéisme, voire la folie. Ces quatre premiers articles posent des problématiques essentielles que l’on perd parfois de vue dans la suite de l’ouvrage. Sans aucune transition logique (hormis le lien trop ténu et assez flou de la « représentation »), le recueil passe aux modalités contemporaines de la mise en spectacle de la confession : les media. Mais quel rapport direct entre la performance artist britannique Bobby Baker, Perry Mason ou Joe Millionaire et les représentations littéraires renaissantes ? Les enjeux ne sont plus du tout les mêmes (on s’inscrit désormais dans des perspectives sociologiques et féministes) et les aires géographiques ont elles-mêmes changé et se sont élargies : Angleterre et monde anglophone. La dimension religieuse, pourtant essentielle et fondatrice, se voit éclipsée par la problématique des gender studies (D. E. Heddon) : la confession devient un « espace féminisé » [55], donc dévalorisé, nouant des relations ambiguës avec le moi et sa « vérité » ; Baker remet en question l’idée que la confession révèle ce « moi vrai » en se construisant des personae qui prouvent que l’identité féminine est fluctuante et en profondeur inconnaissable. étonnamment, il s’agit, dans la sphère littéraire postmoderne (au II, 1) du propos de M. G. Economou sur les romans d’Atwood qui explorent la dynamique, non de la vérité, mais du récit de la « vérité » [145], qui représentent des actes de « ventriloquie » confessionnelle, qui gomment la frontière entre histoire et fiction, et dont le discours repose sur les conjectures et les omissions, des problèmes au cœur du genre biographique lui-même, tout cela débouchant sur l’idée d’une vérité (du moi) illusoire et fluctuante. De même, au II, 1, Isolde Mueller souligne à propos de In The Red Kitchen et de Fair Exchange que le discours de la confession, en raison de sa structure binaire, est devenu pour des auteurs féministes comme Michèle Roberts un outil productif permettant de défier la dynamique sexuelle (et religieuse) manichéenne du « ou bien ou bien », et de relier par un « et » ce qui est jugé incompatible [159], la stratégie narrative multipliant les possibilités et les identités d’un même personnage féminin [164]. En bref, peut-on traiter sur le même plan fiction et « média » modernes, et passer sans aucune transition de la Renaissance à la fin du XXe siècle (l’un des prolongements attendus aurait évidemment été la littérature gothique !), sans accomplir un grand écart des plus périlleux ? Le fossé temporel, et surtout idéologique, qui sépare ces deux périodes est trop grand pour que leur regroupement apparaisse cohérent et convaincant. Il aurait pu l’être sans ces raccourcis, en incluant des étapes intermédiaires permettant de dégager une perspective diachronique essentielle. Le passage de la Grande-Bretagne catholique à une culture réformée protestante et ses incidences sur la nature et sur la pratique (littéraire ou non) de la confession sont occultés. G. Teulié montre pourtant dans son article sur l’Afrique du sud (III, 1) que les Protestants apprécient les Confessions de Saint Augustin précisément parce qu’il s’y confie directement à Dieu [214] S’est-on demandé si les Confessions de Rousseau (citées à juste titre dans l’avant-propos pour leur rôle fondateur dans le domaine autobiographique) auraient vu le jour si celui-ci, justement, n’avait pas été protestant ? Reste d’ailleurs à savoir si, malgré la présence d’Eve Kosofsky Sedgwick (américaine) Rousseau et Sacher-Masoch ont leur place dans un volume consacré au monde anglophone (Lohmüller) ? Les modalités romanesques de la confession (placées en majorité au II) concernent toutes la période contemporaine, à l’exception des analyses de Robinson Crusoe et de Great Expectations, qui ne se situent pas, d’ailleurs, dans « Confession et voix coupables », là où on les aurait attendues. On peut donc regretter la présence de ces angles morts dans le domaine chronologique (XVIIe, XVIIIe, et XIXe siècles absents ou sous-représentés). Le volume pouvait-il faire l’économie de ces deux grands textes anglophones de la confession que sont les Confessions of an English Opium-Eater (1821) de Thomas De Quincey, et The Private Memoirs and Confessions of a Justified Sinner (1824), de l’Écossais James Hogg ? On peut sincèrement regretter qu’il ne comporte aucune étude approfondie de l’influence déterminante jouée par les journaux intimes des protestants du XVIIe siècle sur la naissance de la confession littéraire, hormis dans l’article de F. Conrod, au III, 2 [264 sq.]. Cette pratique « diariste » née du rejet de la médiation humaine dans la relation entre le sujet et Dieu, et du désir d’autocritique et d’introspection, est sans doute un facteur essentiel et une influence encore diffuse mais tenace dans le monde anglophone (réformé) contemporain. La deuxième partie, autour de l’altérité, propose une série d’analyses littéraires dont le fil conducteur (section 1, « voix minoritaires ») est l’identité raciale ou féminine, dans un contexte postcolonial et postmoderne. Certaines de ces « voix minoritaires » sont d’ailleurs des « voix coupables » qui rendent la subdivision du II un peu artificielle. Collingwood-Whittick se penche sur l’exercice de ventriloquie effectué par Styron qui vole la voix de « l’autre » (l’esclave noir Nat Turner) dans son roman de 1967 écrit en forme d’autobiographie, mais ne parvient pas à se débarrasser de ses intonations de blanc et de ses présupposés raciaux inconscients. Aux yeux de la communauté noire, ces Confessions étaient un détournement (hijacking) scandaleux de la tradition littéraire des récits autobiographiques ou confessionnels dans lesquels les esclaves racontaient leurs souffrances [106]. Styron, malgré ses protestations humanistes, aurait donc écrit une « parabole » rassurant les blancs, à une époque où l’activisme noir commençait à être perçu comme une menace [112], en gommant les souffrances et les revendications de Turner, et en faisant de lui un tueur psychopathe et un obsédé sexuel. M. Diamond rappelle le rôle central de la honte dans les autobiographies (post)coloniales ; Naipaul, héritier de cette « culture de la honte », souffre d’une double aliénation, en tant qu’Indien et Trinidadien, mais son déracinement ne trouve aucun remède puisque The Enigma « déconstruit les modèles factices [la Grande-Bretagne] qui avaient formé sa personnalité » [123]. Cette « confession postcoloniale », fondée sur l’exil, et la mélancolie, née du « vide postcolonial » [124] débouche donc sur le néant et sur la mort. J. Misrahi-Barak met en lumière un aspect essentiel de la « confession » dans The Polished Hoe d’Austin Clarke : la dimension dialogique du texte, le rôle indispensable du destinataire (Percy) de la confession (de Mary-Mathilda), sans lequel rien ne pourrait être révélé ou aboutir, et le moi réel ne pourrait se constituer via la confession [137; 139], une étonnante interaction qui fait que le « confesseur » se confesse à son tour dans ce neo-slave novel. Plutôt que des « voix coupables » (titre du II, 2), le lecteur a plutôt l’impression d’entendre des voix désespérées ou impuissantes. Les dérobades, les confessions tronquées, différées, impossibles, les résistances volontaires et surtout inconscientes, les secrets et les silences qui font de ces textes des voyages pleins de méandres et de détours, la réticence liée aux traumatismes, véritables points névralgiques et espaces de focalisation, apparaissent comme des fils conducteurs reliant, par-delà les classements explicites du recueil (« Représentations » au I ou « Altérités » au II), les travaux sur la Renaissance (I, 1), sur The Polished Hoe (II, 1) et sur l’autobiographie de Chester Himes (S. Vallas) dans laquelle la confession attendue n’a pas lieu sur le sujet attendu : « Il y a bien quelque chose à expier, mais ce n’est certainement pas ce crime médiocre pour lequel il est condamné » [175], Le pénitencier devient donc « lieu d’expiation », « matrice propice à la re-création » permettant l’écriture d’un « roman familial », « pour finalement construire un personnage nouveau » [177]. Il en va de même pour Going Down de David Markson (F. Palleau-Papin) où « la confession elliptique du personnage [Steve] » devient pour les autres « un écho de leur propre confession et une exploration du ‘cœur de ténèbres’ qui les habite » [187]. Mais nulle visée pénitentielle ou expiatoire dans ces confessions qui ne sont rien d’autre qu’une affirmation de culpabilité [183], débouchant sur une aporie et sur la mort. Autre aporie que celle présente dans Travesty de John Hawkes, pseudo confession et autobiographie parodique sous l’égide de Michel Leiris (L’âge d’homme) et de La Chute de Camus, qui propose le suicide collectif et le silence comme dernier recours [209] alors que « l’enjeu ultime de tout aveu n’est-il pas précisément de parvenir à saisir l’insaisissable vérité par l’examen de soi, à savoir l’essence même d’un sujet ? » [203] On remarque d’ailleurs qu’entre confessions romanesques et confessions censément non fictionnelles, la ligne de démarcation n’est pas toujours bien nette ; l’érosion des frontières entre fiction « pure » et autobiographie « réelle », et leur interpénétration pouvait sans doute constituer un autre axe porteur transversal qu’explore Jo Gill à propos de la poésie confessionnelle de Lowell (The Dolphin) et de Hughes (The Birthday Letters), autour de la figure de leur épouse absente ou morte, soulignant que ce qui importe est moins « l’authenticité apparente et la référentialité de la confession » que « son inventivité et sa théâtralité », moins sa « véracité » que « ses stratégies de déformation, d’occlusion et de déni » [192]. Ainsi, la confession « construit, plutôt qu’elle ne reflète, la subjectivité et la vérité » [192] et elle repose sur une logique de triangulation incluant « le texte, le pénitent et le confesseur » [192]. Là encore, pour Lowell ou pour Hughes, la confession est une impossibilité et un échec, paradoxe car la lettre est théoriquement le trope de l’intimité et, en théorie, un moyen d’accès privilégié à la confession. La deuxième section du III est de nature plus hybride puisqu’il y est d’abord question de Robinson Crusoe (F. Conrod), puis d’échanges dits épistolaires (Mikko Keskinen) dont il s’agit de mesurer les degrés de symétrie et de réciprocité, qu’il s’agisse de fiction (The Metaphysical Touch (1998), de Sylvia Brownrigg, roman constitué pour 20% de courriels, High Fidelity (1995) de Nick Hornby, et Vox (1992) de Nicholson Baker qui n’est pas « épistolaire » mais restitue un monologue téléphonique), ou des sites internet comme Group Hug. Un aspect important est évoqué : celui de la vérité psychologique de la confession, jugée plus importante que sa vérité factuelle [273]. Pour autant, on aurait pu s’attendre à trouver Keskinen au I, 2. Lohmüller, comme nous l’avons vu, propose un corpus pour le moins surprenant (Rousseau, Sacher-Masoch, Kosofsky), et en fait une triple étude de cas (psychanalytique) : la question est de savoir quelle forme peut prendre la confession, qualifiée de « force disciplinaire dans la production de la subjectivité » [282], si le sujet prétend éprouver un plaisir (masochiste) dans cet acte disciplinaire ? C’est Peter Brooks qui a le mot de la fin dans la « Conclusion » où il s’interroge sur « l’avenir de la confession » en se penchant sur les problèmes éthiques et juridiques que posent les interrogatoires de suspects aux États-Unis et les « confessions » extorquées sous la contrainte, peu fiables et d’une véracité sujette à caution. Il est donc question de la décision Miranda prise par la Cour Suprême en 1966, donnant droit au silence en l’absence d’un avocat (tout aveu, pour être acceptable, devant être volontaire), et de toutes les controverses et les résistances que cela continue à susciter, notamment au sein de la droite. Le « paradigme confessionnel » dont les sociétés contemporaines sont devenues dépendantes [311] complique le problème, puisque la « confession » est devenue omniprésente, s’est vue banalisée, et que la justice dit ne pouvoir s’en passer. Aurions-nous fait de la confession quelque chose de trop facile et de trop difficile à la fois [315] en oubliant que sa vérité réside sans doute ailleurs que dans son message explicite, ou manifeste ? Le titre de l’ouvrage pose un problème terminologique et conceptuel et « Formes de l’aveu et de la confession dans le monde anglophone » aurait été, en fin de compte, plus exact et satisfaisant intellectuellement que « Cultures de la Confession » qui conserve un certain flou. L’absence de distinction stricte entre les deux termes « aveu » et confession », que les auteurs semblent utiliser d’une façon indifférenciée, tend à brouiller un peu la problématique. Il est vrai que des glissements constants ont lieu en anglais dans la mesure où aveu se traduit par le plus souvent par « confession » : faire l'aveu d'un crime (to confess to a crime), faire des aveux complets (to make a full confession), passer aux aveux (to make a confession), revenir sur ses aveux (to retract one's confession), ou dans l’expression « Je dois vous faire un aveu, je n’aime pas … » (I have a confession to make, I don’t like...), etc. Les exemples cités s’inscrivent tous dans un contexte juridique, pénal, voire quotidien, très éloigné de la signification religieuse et existentielle de la confession. Peut-on réellement et décemment qualifier un policier chargé d’interroger un suspect de « confesseur » ? Le bilinguisme de l’ouvrage tend à accroître le flottement lexical et c’est la raison pour laquelle ce compte rendu a finalement été rédigé en français. Peter Brooks (dont le Troubling Confessions: Speaking Guilt in Law and Literature (2000) est abondamment cité dans le volume) définit les formes paradigmatiques de la « confession » dans les cultures occidentales : « Catholicism, Romantic autobiography, psychoanalysis and the legal and penal systems » [115], mais le français n’inclurait pas le domaine légal et pénal et emploierait plutôt « aveu » dans ce contexte. Les définitions françaises, celle du Robert par exemple, délimitent le champ d’action de l’aveu : elles évoquent l’aveu d’un secret, d’une faute, d’un crime (localisant clairement l’objet de cet aveu), le fait d'admettre sa culpabilité. L’aveu est une déclaration verbale ou écrite par laquelle on reconnaît avoir fait ou dit quelque chose. Au pluriel, « aveux » appartient clairement à un contexte légal et juridique, comme « to confess » ou « confession » dans les exemples anglais cités plus haut. L’objet de la confession semble plus diffus ; les exemples fournis par les dictionnaires sont « sa foi », « ses défauts », « ses torts », « quelque chose dont on a honte ». Dans cette optique, l’aveu semble donc être une manifestation plus réduite, plus ponctuelle et plus directe, de la confession. Les Confessions de Rousseau comportent, par exemple, plusieurs aveux bien connus des lecteurs. Toutes proportions gardées, l’aveu, et surtout les aveux, ne semblent pas mettre autant en jeu l’intériorité ou l’intimité du sujet. On a tendance à perdre de vue le sens du préfixe de « confession », qui suggère une communion, un échange, une interaction dynamique ; du lat. confessus, participe passé de confiteri « avouer, confesser », formé de cum, et de fateri « avouer », lui-même issu de fari « parler » ; ainsi, dans la confession, on avoue à quelqu’un, mais surtout on parle avec quelqu’un ; il y a relation d’intimité entre le « confesseur » et le « confessé ». Ces dimensions peuvent être absentes du mot « aveu » qui signifie seulement que l’on admet, que l’on reconnaît, que l’on déclare quelque chose. Avouer peut être un verbe transitif et intransitif ; « confesser » n’est jamais intransitif : on se confesse ou on confesse quelque chose. L’aveu vise sans doute plus à (ré)inscrire l’individu dans sa dimension sociale que la confession, de nature plus religieuse, plus existentielle, plus tournée vers le moi intime et essentiel. Gilles Teulié écrit dans son avant-propos que « les psychanalystes différencient l’aveu de la confession », citant Marcel Rufo : « L’aveu est la partie la plus rationnelle de la confession. La confession, elle, a des méandres. On se confesse quand on est fragile, on avoue quand il faut changer de vie […] » [8]. Cette distinction transcende le domaine psychanalytique et aurait dû être mieux prise en compte dans ce volume, ce qui aurait évité de placer sur le même plan les « confessions » de Joe Millionaire et celles de Chester Himes par exemple. Sommes-nous bien dans le même registre, et tout à fait dans la même logique ? En fait, certaines des œuvres évoquées, ou certains des faits de société traités par les co-auteurs, ne sont pas au sens strict de réelles « confessions ». L’avant-propos aurait gagné à opérer une solide mise en perspective diachronique, mais aussi une mise en place conceptuelle plus approfondie des deux notions qui ne ressortissent pas exactement à la même logique (malgré les glissements et les permutations que l’usage courant leur fait subir), en évoquant aussi certains de leurs prolongements comme le journal intime (lieu de l’introspection), l’autobiographie… etc. Une bibliographie générale aurait également aidé le lecteur désireux d’effectuer des recherches et de poursuivre ses lectures dans ce domaine. La nature un peu trop « œcuménique » de ce volume ne permet pas bien au néophyte de se forger une idée précise de la nature exacte de la confession et de l’évolution historique du concept. N’aurait-il pas été judicieux de réduire le champ au seul XXe siècle et de faire figurer ce choix dans le titre lui-même ? La contrepartie était bien sûr de renoncer à des travaux de qualité sur des périodes antérieures, mais cela assurait en revanche une cohérence accrue. Le trop grand émiettement de perspectives, de spécialités, d’aires géographiques, d’époques et de supports fait que les regroupements thématiques semblent, à l’occasion, arbitraires ou un peu fourre-tout. C’est sans doute l’écueil que rencontre tout ouvrage collectif interdisciplinaire ; c’est sans doute, avouons-le, une sorte de « loi du genre » propre à ce type de publication (surtout si elle fait suite à un colloque). Mais sans doute peut-on aussi s’en inquiéter : ce type de cohabitation (souvent un peu forcée), est de plus en plus lié de nos jours aux pressions subies par les équipes de recherche. Si les cloisonnements étroits ne sont pas nécessairement souhaitables, une trop grande ouverture ne l’est certainement pas non plus car elle entraîne un risque de dispersion et une dilution du propos d’ensemble. Mais chaque lecteur trouvera son « bonheur », en quantités variables, surtout les littéraires et les civilisationnistes spécialistes de la période contemporaine. Les articles de ce recueil sont le plus souvent riches et éclairants, et certains sont même excellents. D’autres, en revanche, s’intéressent à des textes que « l’on peut considérer comme des confessions » mais qui n’en sont pas réellement, pas au sens strict. Leur intérêt par rapport à la problématique centrale est donc très variable et inégal. Ce volume aborde un très beau et très riche sujet, mais ne tient pas toutes ses promesses puisqu’il n’apporte pas de réponse concluante à la question que pose implicitement son titre : quelles sont in fine les caractéristiques de ces « cultures », comment se définissent-elles et se positionnent-elles par rapport à d’autres, notamment celle de la confession en France ou dans le monde francophone, ou dans le monde hispanique et hispanophone ? On voit par exemple De Quincey se démarquer des confessions continentales en revendiquant en préambule la nature anglaise de ses propres Confessions. On aurait souhaité que ce volume fasse de même et montre clairement quelle était la spécificité de « ces cultures de la confession » du monde anglophone. Mais il faut souligner pour conclure que cet ouvrage, fort bien présenté, est aussi fort agréable à lire, souvent aussi très instructif, et stimulant intellectuellement. Le lecteur, auquel il donnera probablement envie de poursuivre la recherche dans ce domaine, y trouvera toujours, quels que soient ses centres d’intérêt et ses spécialités, matière à réflexion. Confessions et représentations Confession, théâtre et Renaissance anglaise Confession et media modernes Confession et altérité Confession et voix minoritaires Confession et pouvoir Confession et autorité Confession et société Conclusion
Cercles©2007
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