Paris : Ophrys, Cahiers de recherche, 2006.
Recensé par I. Gaudy-Campbell
Version remaniée d'une thèse effectuée sous la direction de J.C. Souesme et soutenue en 2003 à l'université de Nice-Sophia Antipolis, cet ouvrage compte 234 pages, est doté d'un index des termes et références bibliographiques, ainsi que d'une bibliographie. Il est illustré d'analyses intonatives et de données statistiques présentées sous forme de diagrammes. En introduction, l'auteur propose une mise au point terminologique sur le terme question tag et opte pour les termes suivants : « énoncés avec question Tag (QTag) » désignant l'ensemble de l'énoncé, « question tag » la partie interrogative de l'énoncé elle même précédée de la « base ». Outre les configurations les plus courantes (énoncés avec QTag et changement de polarité), l'étude traite des cas suivants: QTags faisant suite à une base au mode exclamatif (« How quickly it all went, didn't it ? »), impératif (« Stop it, will you ? »), interrogatif (« Are you going now are you? »), ou non fini (« You a masochist are you? ») ainsi que les QTags ne comportant pas de changement de polarité par rapport à la base (« You fancy her, do you? ») . En revanche, tags invariants (Right? Okay?) ou tags séparés d'une pause importante ou de or (autrement appelés afterthoughts) ne seront pas abordés. Pour rendre compte à la fois de la forme syntaxique des énoncés avec QTags, de leurs effets de sens en contexte et de leur réalisation intonative, le cadre de la Théorie des Opérations Enonciatives est convoqué. Dans le premier chapitre, quelques concepts plus particulièrement pertinents pour l'étude et la schématisation des QTags sont détaillés : domaine notionnel, construction de l'altérité, opération de repérage. Pour traiter de la relation entre les co-énonciateurs, marquée par des choix mélodiques, le système d'interprétation des contours proposé par Nicaise et Gray (1998) est repris. Le principe d'un repérage de l'énoncé en fonction du co-énonciateur est posé comme constituant la valeur fondamentale de tout QTag. L'étude des corpus écrits et oraux à l'aulne des outils théoriques a débouché sur une typologie des énoncés qui est alors présentée. Quatre catégories sont dressées. La première regroupe les énoncés avec QTag exprimant une « nécessité faible » (ou blocage), l'énonciateur présentant le contenu de la base comme étant la seule possibilité et ralliant de façon nécessaire et non-problématique le co-énonciateur à sa propre opinion. Dans « It's like a John Grisham novel, isn't it? », la base présente une assertion (So se situe en I) suivie d'un changement de polarité (So positionnant le point de départ de S'o en E). Il y a la prise en compte d'un seul chemin (« sans plus ») en ce qui concerne la représentation de l'altérité. Un énoncé [-/+] aurait un fonctionnement identique. De tels QTags, loin de déstabiliser l'assertion de la base, viennent la renforcer. Au niveau de la prosodie, les mélodies descendantes sont privilégiées en ce qui concerne la base alors que le QTag peut être montant ou descendant. La seconde catégorie présente des QTags exprimant une « nécessité forte » (ou verrouillage). À nouveau, la base peut être une assertion positive ou négative et le Qtag comporte un changement de polarité. À nouveau, il y a prise en compte d'un seul chemin en ce qui concerne la représentation de l'altérité, mais il s'agit cette fois d' « un chemin et un seul ». Avec « We wouldn't want my son to come into the world without his father's name now, would we? », il existe dans le contexte un préconstruit adverse à l'opinion exprimée par l'énonciateur dans la base. Le chemin vers l'extérieur a été barré et il existe une volonté de manipuler le co-énonciateur et de « forcer un consensus ». Cette deuxième catégorie est compatible avec l'emploi d'une mélodie descendante aussi bien au niveau de la base que du QTag. Une intonation montante au niveau du QTag n'est pas à exclure pour autant. Dans une troisième catégorie, base assertive puis réintroduction du complémentaire dans le QTag, plusieurs types sont distingués. Dans « You're a musician, aren't you? », la base présente une nécessité faible et sélectionne l'intérieur du domaine, et le QTag met en cause cette assertion. Cette mise en cause se double d'une mise en question et le QTag revient à la déstabilisation de l'assertion de la base. Le chemin vers E n'est pas exclu (« un chemin entre autres »). Il s'agit alors d'une véritable demande de confirmation. De tels énoncés ne présagent pas du positionnement du co-énonciateur. Sur le plan intonatif, on trouvera une mélodie descendante sur la base et montante sur le QTag, ce qui souligne la prise en compte du co-énonciateur. Un second type présente une nécessité forte dans la base. Dans « You do love children, don't you? », la base correspond à un jugement problématique. Les deux chemins apparaissent mais le chemin vers l'extérieur du domaine notionnel est verrouillé à cause d'un préconstruit adverse. La fonction du Qtag est de lever le barrage du préconstruit. Une quatrième catégorie présente des énoncés dont la base n'est pas assertée, suivie de la valeur « entre autres » dans le QTag. Cette absence d'assertion de la base conditionne deux types d'énoncés. Le premier correspond à la valeur « en tout cas » dans la base. Dans « You fancy her then, do you », une valeur est sélectionnée plutôt que l'autre mais l'énonciateur ne s'en porte pas garant, ce qui correspond à la valeur « en tout cas » pour la bifurcation au niveau de la base. Le QTag construit par la suite les deux valeurs comme possibles. Le choix d'un préconstruit dans la base est relié à un préconstruit non adverse, ce qui ne donne lieu à aucun verrouillage. Trois possibilités de polarité constante existent. Dans certains cas d'ellipses dans la base comme « A table for two, is it? », l'énonciateur se trouve dans une position neutre, la valeur sélectionnée dans la base étant prépondérante et la responsabilité de la prise en charge devant émaner du co-énonciateur. Dans les configurations [+/+] et [-/-], l'énonciateur peut se trouver dans une position différente de ou équivalente à celle qu'il attribue au co-énonciateur. Ainsi, dans la configuration [+ / +], l’énonciateur se trouve dans une position identifiable par rapport à celle qu’il attribue au co-énonciateur, tandis qu’avec [- / -] ces deux positions sont différenciées, voire contradictoires. Le deuxième type d'énoncé correspond à l'absence de choix dans la base comme dans le QTag. Les deux branches de la bifurcation sont accessibles dans la base comme dans le QTag pour lequel nous avons la valeur « entre autres ». Dans « Are you going now are you? », la base est interrogative. On pourrait également avoir affaire dans cette sous-catégorie à des bases présentant une forme non-finie, comme dans « Something go down the wrong way, did it? » Les chapitres suivants permettent de confronter les postulats théoriques et la typologie proposée à la diversité des occurrences du corpus. Aussi bien les formes écrites que les formes sonores des énoncés sont observées. Relativement aux différents types de jugements (apodictique, assertorique ou problématique) (Souesme 1986) pouvant être exprimés au niveau de la base, des indices permettent de déterminer la catégorie à laquelle ils appartiennent. De la nécessité faible relève l'absence d'auxiliaires dans la base au présent simple ou encore l'utilisation de formes réduites. Les formes pleines ont plutôt tendance à être compatibles avec la réintroduction du complémentaire quand elles expriment un jugement problématique. De la nécessité forte relèvent les proéminences intonatives sur un auxiliaire marquant un jugement assertorique. La négation, de par son rôle majeur dans les énoncés présentant un changement de polarité, ainsi que par l'alternance des formes réduites et pleines, n'est pas sans incidence. La forme réduite, marque de jugement apodictique, est la plus fréquente. Elle permet de montrer que la valeur proposée par l'énonciateur dans la base est celle qu'il souhaite voir validée et les occurrences se distribuent dans la première mais aussi la troisième catégorie. Quant à la forme pleine, elle marque un verrouillage de parcours, signalant que l'énonciateur n'admet pas la contradiction, et ancre l'énoncé dans la nécessité forte. Le chapitre 3 traite des modaux dans les énoncés comportant un changement de polarité. Les différentes catégories présentées dans le premier chapitre sont compatibles avec les modaux, à condition de tenir compte de la spécificité des ces derniers. Reprenant la forme schématique donnée par A. Deschamp (2001) pour chacun des cinq modaux fondamentaux, reconsidérant le terme d' « assertion » au regard des modaux, l'auteur passe en revue les différents cas de figure. Ainsi, il est conclu que moins un modal est compatible avec l'assertion, c'est à dire avec le choix d'une valeur et d'une seule, moins il a de chances d'apparaître dans un énoncé avec QTag. Ainsi, will, can et leur forme prétérit, qui présentent l'une des deux valeurs comme prépondérante, sont les modaux employés le plus fréquemment dans des énoncés avec QTag, les autres étant plus marginaux. Également, lorsqu'un modal formule un ordre ou une interdiction, il n'apparaît pas à la deuxième personne au sein du corpus puisqu'il n'est pas compatible avec le double repérage mis en place par l'emploi d'un QTag. La présence de modaux épistémiques pose problème. Néanmoins, must épistémique, qui est congruent avec l'expression de la nécessité, est possible avec l'emploi d'un QTag de deuxième catégorie, c'est à dire effectuant un verrouillage de parcours. Les occurrences trouvées restent tout de même rares, du fait de leur faible acceptabilité avec les tournures interrogative et négative. L’emploi de may epistémique dans un énoncé avec QTag est exceptionnel. Quant à might épistémique, il est à rattacher au premier type de la quatrième catégorie. Certaines configuration sont également traitées : utilisation d'un modal dans la base donnant lieu à l'utilisation d'un autre modal dans le QTag, changement de polarité entre la base et le QTag ayant une interprétation différente de celle des cas de modalité de rang un. Le chapitre 4 traite des autres types d'énoncés présents dans le corpus, bien que moins répandus : énoncés à polarité constante, QTag faisant suite à des interrogatives ou des propositions elliptiques ou encore des impératifs. Pour comprendre les mécanismes inhérents à chaque type d'énoncé, il faut prendre en compte la forme schématique que l'on peut leur attribuer et la manière dont l'énonciateur envisage le positionnement du co-énonciateur par rapport au contenu de la base ainsi que par rapport à sa propre position. Lorsque la base est assertée et prise en charge par l'énonciateur, il construit la position du co-énonciateur comme identifiable à la sienne, l'identification étant nécessaire (première et seconde catégorie) ou laissée à l'appréciation du co-énonciateur (troisième catégorie). Dans le cas d'une base exclamative, l'énonciateur a recours au haut degré et ne peut que se porter garant de la validité de la relation prédicative présente dans la base. Le changement de polarité est systématique. Dans les cas qui présentent l'impératif, des modaux spécifiques dans le QTag (ordre, requête, suggestion, prière) sont employés. Une relation intersubjective est particulièrement nécessaire dans le contexte, la base dépendant du co-énonciateur pour sa réalisation. Parmi les cas de non assertivité de la base, de base interrogative ou de base à mode non fini, les énoncés à polarité constante sont retenus. Les plus courants sont les énoncés à polarité constante positive, porteurs de nombreuses nuances : réticence, rejet, ironie mais aussi parfois neutralité et bienveillance envers le préconstruit attribué au co-énonciateur. Les cas moins fréquents de la quatrième catégorie sont des énoncés de polarité négative constante exprimant la réprobation de l'énonciateur vis à vis du préconstruit attribué au co-énonciateur. Les énoncés dans lesquels la base est à un mode non fini, est interrogative ou ne comporte pas d'opérateur, marquent la neutralité de l'énonciateur par rapport au préconstruit attribué au co-énonciateur en fonction d'indices présents dans le contexte. Une telle neutralité est un moyen pour exprimer une indifférence relative, mais aussi de la surprise voire, dans certains cas, du ressentiment face au préconstruit en question. Le chapitre 5 se consacre plus particulièrement aux données du corpus oral qu'il prend comme point de départ pour intégrer certaines observations. Les regroupements sont alors effectués selon les mouvements mélodiques des énoncés et des données statistiques conséquentes sont présentées. Le but est de voir si les réalisations intonatives se distribuent dans les catégories établies et de mettre un terme à la dichotomie entre un QTag montant, sensé être proche d'une vraie question, et un QTag descendant, plutôt considéré comme un commentaire. L'association d'une mélodie sur la base et d'une sur le QTag donne un foisonnement de possibilités. Toutefois, certaines combinaisons n'apparaissent pas quand d'autres reviennent systématiquement en co-occurrence avec de mêmes formes syntaxiques et les mêmes effets de sens. Chute sur la base comme sur le QTag (un tiers des énoncés) accompagnent des énoncés présentant une base déclarative suivie d'un changement de polarité. Ceci pourrait être compatible avec les trois premières catégories. Mais seules les deux premières sont employées, les mélodies descendantes signalant un centrage ou égocentrage sur l'énonciateur qui prend en charge son énoncé. Dans les cas où la base présente une mélodie descendante et le QTag une mélodie montante, soit plus du tiers des enregistrements examinés, la montée sur le QTag s'interprète comme une prise en compte du co-énonciateur. Traditionnellement on apparente cette montée à une demande de confirmation. Or cette configuration intonative est en réalité compatible avec les quatre catégories. Lorsque la base n'est pas assertive (polarité constante, bases interrogatives ou à un mode non fini), la chute dans la base met en avant une valeur qui n'est pas prise en charge par l'énonciateur et l'intonation montante du QTag est compatible avec une demande de confirmation. L'énonciateur n'assertant pas la base, il s'adresse au co-énonciateur pour rompre le parcours. Dans le cas d'une base impérative, la réalisation de l'action est visée par l'énonciateur (chute de la base) mais dépend du co-énonciateur (montée du QTag). Lorsque la base est assertive, on retrouve des exemples de première, seconde ou troisième catégorie. Rappelons néanmoins que seule la troisième catégorie correspond à une demande de confirmation. D'autres configurations moins répandues sont alors traitées. Une base montante suivie d'un QTag descendant, correspond à des énoncés de première ou seconde catégorie, avec des bases déclaratives suivies d'un changement de polarité. L'intonation de la base est alors un moyen d'attirer l'attention du co-énonciateur. Toutefois, certains énoncés ainsi modulés ne présentent pas d'assertion au niveau de la base et appartiennent de ce fait à la quatrième catégorie. Dans les énoncés à polarité négative constante, la montée sur la base correspond à une absence de prise en charge de son contenu par l'énonciateur et la chute sur le QTag signale le désaccord par rapport au préconstruit attribué à l'énonciateur. Pour conclure, nous soulignerons que ce travail est fortement ancré dans la TOE. Les rappels terminologiques proposés en amorce permettent de bien fixer le cadre d’étude, rendent le contenu accessible et guident la compréhension du raisonnement. Également, cet ouvrage a le souci de présenter une réflexion construite sur des énoncés authentiques et des sources variées. Une typologie est proposée, une valeur invariante établie, et le propos est progressivement affiné. Des analyses prosodiques sont constitutives de la démonstration et l'oral est intégré dans la description des énoncés avec QTags, sans pour autant être premier. Dans le dernier chapitre, l'auteur propose finalement de partir de la forme orale pour aboutir à une interprétation. Le propos est alors de valider les catégorisations obtenues au regard des réalisations intonatives d'énoncés avec QTags.
Cercles©2007
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