Écriture :
mémoires dun métier.
Stephen King
Traduit de laméricain par William Olivier Desmond
Paris : Albin Michel, 2001
19, 82 euros, 378 pages, ISBN 2-226-12670-8.
Philippe
Romanski
Université de Rouen
« Ça parle boutique ; ça parle langage. »
Ainsi lessai est-il présenté dans lun des
trois avant-propos, trinité-prolégomènes dune
confession somme toute assez ordinaire. Ainsi Stephen King désire-t-il
a priori répondre à une question quon ne lui
pose jamais. « Jamais personne ne nous interroge sur le
langage. Ce sont des questions quon pose aux DeLillo, aux Updike,
aux Styron, pas aux romanciers populaires ». Le postulat
de ce livre est donc, pour King, de donner enfin, malgré
tout, et avec toute lemphase qui simpose, un avis,
un point de vue, sinon dautorité, tout au moins dauteur.
Et ce, affirme-t-il demblée en évitant les « conneries »
habituelles du genre. Ces précautions scripturaires se doublent
dun autre avertissement. Cest de son cas quil
sagit. Et de lui uniquement. Il ny aura donc pas
de recette, de méthode. « Voici donc comment les
choses se sont passées pour moi ». Il y va dune
anamnèse. Dun état des lieux personnel.
Lon notera toutefois un certain flou, un flottement. Tout dabord,
en ce qui concerne les parties de louvrage. Trois
le démiurge est décidément à
luvre sections se suivent (« CV »,
« Écriture », « De la vie :
un post-scriptum »), sans pour autant constituer un tout.
Lunité napparaît pas au premier coup dil ;
elle napparaît pas non plus par la suite. Les répétions
de certaines anecdotes ou propos trahissent dailleurs une linéarité
douteuse. Le texte se plie, ici et là, se contorsionne. Et
puis il y a la confession elle-même. King, on le sait, na
jamais été très avare sur le plan des confidences.
Et les critiques ont noté, au gré de ses « aveux »
(dans les journaux ou dans des ouvrages comme Danse macabre de
1981) des incohérences et des contradictions. Cest le
cas ici, une fois plus. Mais faut-il sen étonner ?
Ne sagit-il pas là dun parti pris plus ou moins
esthétique, ainsi que lindiquent les deux épigraphes
qui inaugurent louvrage : la première est une citation
de Cervantès : « Lhonnêteté
est la meilleure stratégie ». La seconde un fragment
anonyme (ou qui cherche à lêtre) : « Les
menteurs prospèrent. » Entre les deux se déploie
le dispositif de King. Celui dune incertitude. Ou peut-être
est-ce uniquement un jeu à nos dépens. Aussi,
même si certains passages ont des accents de vérité
(la punition du placard, ses débuts difficiles en tant quauteur,
son alcoolisme, etc
), sils sont réussis,
en termes de réalisme, et sils font naître chez
le lecteur, il faut bien lavouer, une réelle émotion
ici et là, ils nen restent pas moins sujet à caution.
La méfiance est de rigueur. Ces confessions sont celles dun
écrivain, et donc écrites. Et vraisemblablement
sans cesse réécrites. Si louvrage de King
dit quelque chose, de manière oblique, sur lécriture,
cest bien ça : comment du réel (ce que lon
en sait, ce que lon sait) peut naître la fiction. Comment
dun détail invisible pour celui qui ne regarde
pas peut séchafauder une intrigue. Cest
dailleurs cet aspect que King développe, cette fois de
façon très explicite, quand il aborde la genèse
de Carrie ou The Shining. Et entre le point de départ
et larrivée, il y a tout un monde. Celui, précisément,
de King, où tout peut arriver, y compris, si ce nest
surtout, limpossible. Ou, en dautres termes, la possibilité
de limpossibilité.
King nest jamais donc aussi à laise et convaincant
que lorsquil parle de son cas et de ses uvres.
Les choses deviennent bien plus contestables lorsque, élargissant
son propos dans la deuxième partie de louvrage, il entreprend
dédifier tout écrivain novice désireux
de se faire un nom dans le métier. King ouvre alors ce quil
appelle la « boîte à outils » de
lécrivain et se propose dexpliquer comment ça
marche. Quand King endosse à la fois les vêtements
du bricoleur et de lévangéliste, de celui qui
pratique et qui, en même temps, professe, le discours devient
une insupportable catéchèse truffée de poncifs
et de conseils aussi dogmatiques que mécaniques. Éviter
les mots trop compliqués, ne pas recourir à la voix
passive, renoncer aux adverbes, ne pas craindre lutilisation
du verbe « dire » dans les dialogues, supprimer
un quart des mots à la deuxième mouture, faire relire
par un proche, écouter ses conseils, etc, etc
À
la fin, lon souhaite que cette boîte à outils se
referme très vite. Et quelle reste fermée à
limage des deux vantaux qui ornent le bas de la couverture (américaine
et française) de louvrage et qui, de toute évidence,
indiquent une voie daccès au cellier dune grande
maison jaune. Au dessus, un peu à gauche, lon voit une
fenêtre et, à lintérieur, une lumière
dune blancheur singulière. Cette couverture, en quelque
sorte, fait une promesse que louverture du livre ne peut tenir.
Lire Écriture, cest en effet descendre
à la cave (pour aller y chercher une boîte à outils
bien illusoire) et refuser cette lumière laiteuse, aveuglante
(et donc inapprochable) qui irradie lintérieur de la
maison du poète. Cest ignorer la langue au profit dun
propos sur la langue. Cest ne pas comprendre pour reprendre
Heidegger, que die Sprache spricht et que parler sur
la parole comme prétend le faire Stephen King, cest peut-être
la meilleure façon de sy prendre pour ne plus lécouter
parler, pour elle-même, en elle-même.
Il ne faudra donc pas chercher lArs poetica de King dans
cet ouvrage. Lon y trouvera tout au plus quelques clins dil
pour les fans. Le récit de laccident (dans la troisième
et dernière partie) ravira, sans aucun doute, ceux qui veulent
en savoir plus, non pas sur lécriture, mais sur celui
qui écrit. Lon y verra aussi et ainsi la confirmation
que King est avant tout un écrivain. Et pas un théoricien
de lécriture. Rares sont ceux qui excellent dans les
deux domaines.
« Ça parle boutique ; ça parle langage. »
Pour le langage le méta
le lecteur sera bien avisé de ne pas nourrir trop despoirs
en ce sens, sous peine de déception. Pour ce qui est, en revanche,
de la boutique, ici nest pas pire quailleurs. Entendons :
cest un lieu. Parfois commun, certes. Parfois de plaisir
aussi. Ça, King sait faire.
Cercles©2002