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L’Identification
Cycnos, vol. 21, n°1, 2004
Actes du Colloque de Linguistique, Nice, 26-27 septembre 2003
Sous la direction de J.-C. Souesme
Revue publiée par le Centre de Recherche sur les Écritures de Langue Anglaise, Université de Nice—Sophia-Antipolis
16 euros, 291 pages + notes sur les auteurs + résumés en anglais, ISBN 2914561210.

Sylvie Hancil
Université de Rouen

Le numéro 1 du volume 21 de la revue Cycnos se compose de 17 articles traitant de la notion d’identification, pour la plupart dans la Théorie des Opérations Énonciatives :

- D. O’Kelly, Définition, description et identification
- P. Larreya, Identité et identification
- C. Charreyre, Anaphore et identification
- Z. Hadj Hamou, L’aspect récurrent de l’opération d’identification
- L. Dufaye, Comment identifier l’identification ?
- G. Mélis, Identité, identification et niveaux de qualification : objets et circonstances
- E. Gilbert, Ébauche d’une formalisation des prépositions in, on et at
- C. Moreau, Validation fictive et identification
- M. Lanc et J Albrespit, Lieux d’identification dans les relatives à enclave énonciative
- R. Flintham, Identification et altérité : quelques remarques sur do the V-ing
- L. Flucha, Le connecteur as et l’opération d’identification
- R. Mauroy, The way : un cas d’identification qualitative
- A. Celle, Constructions résultatives et identification du résultat
- D. Jamet, A rose is a rose (not) a rose : de l’identification métaphorique ?
- G. Girard, identification ,localisation, attribution d’une propriété : analyse des structures : there’s an oddness to the room, she had a timid side to her
- Isabelle Gaudy, Identification négative et non identification : ain’t et got
- J.-C. Khalifa, Identification : quelle pertinence pour l’énoncé complexe

L’introduction [pp. 1-4] permet à J.-C. Souesme, responsable du numéro, de présenter brièvement les articles.

D. O’Kelly [pp. 5-18] s’appuie sur la distinction aristotélicienne fondamentale entre genre, espèce et individu pour tenter de comprendre ce que recouvre la notion d’identification. Elle est amenée à expliquer comment peuvent être résolus les problèmes soulevés par les opérations présentes dans l’acte de nomination en utilisant des exemples en français, en anglais et en irlandais. Ces opérations renvoient à la distinction logique entre d’une part, la reconnaissance de l’appartenance d’une chose à une espèce et d’autre part, l’attribution à cette chose d’une existence individuelle par un processus de classification puis de définition. Dans l’actualisation du nom, ces différences sont rares en français, quasi inexistantes en anglais, mais elles sont tout à fait pertinentes en irlandais. L’opération marquée par l’article indéfini est de première identification, alors que celle indiquée par l’article défini relève d’une deuxième identification, donc d’un processus anaphorique. Les trois façons d’identifier sont associées à l’intension/extension du nom et l’extensité du nom, à la largeur du champ d’application de la notion nominale en discours.

Dans son analyse terminologique de l’identité et de l’identification, P. Larreya [pp. 9-30] adopte aussi une approche définitoire qui explicite ce que recouvrent ces notions et il la complète par une analyse grammaticale de quelques marqueurs anglais qui mettent en jeu ces concepts. L’identification est appréhendée stricto sensu de deux façons, en tant qu’identification portant sur un seul terme, et en tant qu’identification mettant en relation un terme avec un autre. Les concepts voisins que sont l’appartenance/inclusion, l’identité sémique et l’identité métalinguistique sont également décrits. Parmi les marqueurs examinés, l’auteur s’intéresse aux différentes valeurs de be, et en particulier aux emplois d’identité de be, au rapport qu’entretient cette copule avec have, aux cas où be + -ing exprime une identification au sens banal du terme, et enfin à la relation d’identité complexe dont as et so sont la trace.

C. Charreyre [pp. 31-43] considère le lien qui existe entre l’anaphore et l’identification dans le cadre de la TOE. Elle souligne à juste titre que la présence d’une forme d’identification plutôt qu’une autre est directement liée au statut énonciatif de l’objet repère. Soit ce dernier est représentatif de la propriété prédiquée ; en conséquence, l’objet repéré est qualitativement équivalent à l’objet repère et on ne tient pas compte de l’altérité existante. Soit on est en présence de deux occurrences d’objet quelconque qui ne sont mises en relation que par une propriété commune et de ce fait, l’altérité qualitative est perçue comme pertinente. Ces deux modes de représentation de l’identification en contexte anaphorique sont illustrés par l’utilisation de divers marqueurs grammaticaux : les comparatifs d’égalité NP + Adj + as + NP / NP + as + Adj + as + NP ; les formes aspectuelles ø / be + -ing ; et le déterminant another suivi d’une base verbale.

L’objectif de l’article de Z. Hadj Hamou [pp. 45-60] est de rendre compte dans la TOE du principe récurrent de l’opération d’identification dans l’emploi de la forme be + -ing. La première partie rappelle brièvement mais clairement que lorsque cette périphrase verbale a une valeur aspectuelle, l’identification est appliquée à trois niveaux : celui de la construction de la relation prédicative, celui de repérage situationnel, et celui du repérage énonciatif. L’auteur signale que la valeur principale est celle d’imperfectivité, définie comme le « déroulement vers un terme non-atteint pour le procès E2 au repère où il est rapporté ». Puis Z. Hadj Hamou poursuit son analyse en expliquant ce qu’il adviendrait de l’interprétation de l’énoncé si l’opération d’identification n’était pas répétée à un certain niveau de la dérivation. L’auteur observe également qu’il est possible de rendre compte de l’identification quand be + -ing n’est pas utilisé. La deuxième partie de l’article concerne le lien entre l’opération récurrente et la construction de la valeur modale de be + -ing. Cette opération est dans ce contexte appliquée à cinq niveaux différents et est directement liée à la façon dont l’énonciateur (re-) construit la réalité : l’emploi de be + -ing permet à l’énonciateur de (ré-) organiser la référence de l’énoncé à partir du contexte verbal ou situationnel et d’attribuer au sujet de l’énoncé une qualité temporaire.

Le point de départ de l’étude de L. Dufaye [pp. 61-76] est la constatation que le concept de l’identification dans la TOE est loin d’être homogène : l’identification est susceptible d’être définie stricto sensu ou partiellement ; l’opération peut être située à trois niveaux (linguistique, métalinguistique et méta-métalinguistique) ; et les contextes d’emploi peuvent être très hétérogènes. La description de la relation d’identité en philosophie permet de montrer des points communs avec la TOE puisqu’elle prend en compte un niveau à la fois qualitatif et quantitatif. La discussion des trois propriétés formelles de l’identité en mathématiques souligne des différences importantes mais aussi quelques similarités avec l’opération d’identification telle que la définit Culioli. Un énoncé linguistique est caractérisé par sa dissymétrie même dans le cas où une relation réflexive semble être instituée. La propriété de transitivité joue un rôle saillant quand on parle d’identification au niveau métalinguistique de la construction du domaine notionnel. Celle de symétrie est considérée comme le test clé dans les cas d’identification linguistique. Toutes ces observations conduisent l’auteur à proposer une représentation formelle de l’identification, qui est caractérisée comme le "mappage" d’une notion portant une détermination qualitative ou quantitative sur une autre notion.

L’article de G. Mélis [pp. 77-91] se situe également dans une perspective énonciativiste et se fonde sur une conception théorique de l’identification qui utilisent deux niveaux de qualification (un processus d’identification noté QLT1 et un travail de spécification noté QLT2) pour expliquer les problèmes sémantico-syntaxiques de certains marqueurs grammaticaux. Afin de mieux cerner les différences entre compléments d’objet et circonstanciels, l’auteur écarte les tests d’effacement et de déplacement au profit d’un argument bien plus convaincant : le degré de relâchement entre la principale et la subordonnée, qui dépend du paramètre de stabilité référentielle des états de fait décrits. Les éléments qui permettent d’identifier l’état de fait de la principale sont de l’ordre de QLT1, les autres éléments qui contribuent à spécifier davantage le contenu de cette proposition relèvent de QLT2. Les relations les plus serrées sont interprétées en termes de QLT1, et les relations les plus lâches concernent QLT2. L’auteur avance l’hypothèse d’une hiérarchisation de qualification : la stabilisation de l’identité de l’état de fait (QLT1) repose sur l’adjonction de QLT2, qui spécifie davantage le contenu sur lequel il porte. Cette assomption est testée avec succès lors de l’analyse des questions-échos, qui fait apparaître clairement un fonctionnement dissymétrique au sein des éléments d’une prédication, et au cours de l’étude de quelques cas d’ellipse, qui confirme que le fonctionnement de celle-ci repose sur des relations stabilisées.

E. Gilbert [pp. 93-111] soulève le problème des études traditionnelles sur les prépositions in, on et at, qui considèrent que les valeurs primaires de ces formes grammaticales relèvent uniquement d’un ancrage spatio-temporel et que les autres interprétations sémantiques dites secondaires sont susceptibles d’être re-constituées à partir d’un processus métaphorique. Ces modèles d’explication privilégient une valeur plutôt qu’une autre et reconstruisent les sens secondaires à partir d’un mécanisme qui n’a pas réellement de fondement théorique. Ce problème conduit l’auteur à proposer une solution fort élégante qui permet une analyse homogène des prépositions étudiées sans mettre en avant une valeur : il se fonde sur la TOE pour élaborer une forme schématique plus abstraite qui s’articule autour des déterminations qualitatives et quantitatives et prend en compte les trois opérations de repérage fondamentales. Les trois prépositions ont en commun d’avoir la même définition quantitative : l’occurrence repérée est identifiable à l’occurrence repère. C’est sur le plan qualitatif qu’elles diffèrent : in est la trace d’une opération d’identification ; on indique une opération de différenciation ; et at marque une rupture. E. Gilbert poursuit sa démonstration en l’agrémentant d’exemples issus de divers phénomènes linguistiques.

En étudiant ce que représente l’identification au sein de la construction d’une validation fictive dans la TOE, C. Moreau [pp. 113-132] est amenée à présenter une définition plus étendue de cette opération. Dans la construction d’une hypothèse, l’opération d’identification peut se superposer à celle de rupture et se manifeste de différentes façons : l’auteur les décrit en termes de projection, représentation-image, simulation, ajustement, et inclusion. De surcroît, l’opération d’identification est également susceptible de se rapporter à des entités altérées, se situant dans une relation de complémentarité. Les chemins qui mènent alors à l’identification relèvent de l’inclusion, de la congruence ou de la similitude.

M. Lanc et J. Albrespit [pp. 133-148] s’intéressent aux lieux d’identification dans les relatives à enclave énonciative. Ils examinent les formes du relatif, ainsi que leurs fonctions. Les analyses statistiques de leur corpus montrent que toutes les proformes du relatif en anglais, à l’exception de whose, sont représentées dans ces structures avec des fréquences d’emplois variables. Il est noté à juste titre que l’utilisation majoritaire de whom, en position sujet du prédicat de la relative, peut surprendre, du fait de la rareté des occurrences de ce relatif en anglais actuel. Le suremploi de la forme oblique s’explique non pas par des raisons stylistiques mais par un phénomène d’hypercorrection qui permet soit de réévaluer la fonction syntaxique du relatif soit de réinterpréter le rôle de la relative en tant qu’argument à l’intérieur de la structure enchâssante. Ces remarques conduisent les auteurs à se demander si ces structures peuvent être assimilées à des incises.

R. Flintham [pp. 149-166] attire notre attention sur les propriétés d’un prédicat complexe do the V-ing. Après avoir discuté le type de fléchage marqué par l’article défini, l’auteur examine la nature du verbe dont est issu le nom verbal. L’auteur fait également des remarques intéressantes sur les propriétés discursives de cette structure complexe. En effet, lorsque le fléchage est de nature contextuelle, le jeu sur le sujet de do est susceptible de créer un changement d’orientation de la diathèse ou un renversement notionnel de l’orientation de cette relation ; ce jeu contrastif peut s’accompagner d’un ajustement notionnel, faisant intervenir un jeu d’altérité sur le domaine notionnel, comme en témoignent certains exemples d’hyperonymie. L’étude se termine sur une brève comparaison entre la propriété relationnelle du nom verbal et celle du prédicat nominalisé.

L. Flucha [pp. 167-180] démontre qu’on peut identifier une opération de repérage commune à trois types d’emploi du subordonnant as. Quand ce dernier prend une valeur causale, l’identification indiquée par as concerne la délimitation qualitative des relations prédicatives considérées, la relation repérée renvoyant à une propriété constitutive de la notion à partir de laquelle est construite la relation repère. Lorsque le connecteur est interprété en termes de manière, le lien notionnel se fait entre deux occurrences distinctes d’un même domaine notionnel et c’est grâce à l’identification qualitative marquée par as que la relation repérée acquiert des propriétés différentielles de la notion repère. Dans le cas d’une valeur temporelle, as est la trace d’une opération d’identification qui porte de manière minimale sur la dimension qualitative des événements en éliminant l’altérité situationnelle des événements représentés dans les deux relations prédicatives.

R. Maurois [pp. 181-193] étudie l’expression the way dans la TOE dans le cas où elle représente l’antécédent d’une relative déterminative. Le nom way est "attribué" une définition à la fois qualitative et quantitative. Est ensuite examiné le syntagme dans sa relation avec les autres termes de l’énoncé. Il est aussi précisé que the way joue le plus souvent de rôle de joncteur autonome. De plus, ce segment a une portée double, l’une sur la prédication à gauche, l’autre sur la prédication à droite qui est identifiée à la première par l’intermédiaire de propriétés différentielles dont the way est la trace. De ce fait, le syntagme nominal est un marqueur d’anaphore. L’analyse se termine par une formalisation de l’opération marquée par the way.

A. Celle [pp. 195-212] explore le fonctionnement des constructions résultatives en français et en anglais au sein de la TOE et se propose de déterminer la nature du repérage sous-jacent à l’intrication des deux lexis qui composent ces structures complexes. Lorsque la seconde lexis met fin au procès qu’elle quantifie, le point d’identification entre les deux lexis est l’argument. Dans les autres cas, l’identification est susceptible d’être partielle ; la structure du procès n’est pas alors construite dans l’énoncé mais relève de la perception de l’énonciateur. L’analyse du franchissement de frontière permet de comparer l’organisation des repérages entre les deux langues, selon que l’énoncé indique un point de limite impliquant un terme, qu’il contient la marque d’un point extrême ou de haut degré, ou que la nature de l’occurrence déclenche le changement d’état. L’auteur poursuit la comparaison entre le français et l’anglais en s’intéressant à l’altération qualitative marquée par ces structures résultatives.

Le but de l’article de D. Jamet [pp. 213-232] est de s’interroger sur la nature et le rôle de l’identification au sein du processus métaphorique dans le cadre de deux théories cognitives complémentaires, la CMT Conceptual Metaphor theory de G. Lakoff et M. Johnson, et la BT Blending Theory de G. Fauconnier et M. Turner. D’après la CMT, l’identification entre les deux domaines conceptuels n’est que partielle : le mappage ne porte pas sur l’ensemble des domaines conceptuels mais sur une partie seulement ; la mise en relation est hiérarchisée, allant du plus concret au plus abstrait ; et il est possible d’avoir plusieurs domaines sources en compétition pour structurer un domaine cible. La BT permet de confirmer et d’affiner ces résultats : l’apparition de nouveaux éléments dans l’espace intégrant est due à la combinaison d’éléments non pas de même niveau mais de niveaux distincts.

L’objet de l’article de G. Girard [pp. 233-244] est d’examiner deux types de structures comportant la préposition to, l’un avec be (there is X to Y) et l’autre avec have (Y has X to Y). Ces énoncés construisent non pas une localisation mais l’attribution d’une qualité à une entité dans son ensemble par l’intermédiaire non pas d’un adjectif mais d’un syntagme nominal dans une structure prépositionnelle introduite par to. Cette caractéristique perçue par l’énonciateur comme pertinente est de nature implicite, comme le montre la paraphrase par la locution adverbiale sort of.

I. Gaudy-Campbell [pp. 245-263] se propose d’intégrer ain’t et got à l’opposition binaire entre be, auxiliaire d’identification orienté à droite, et have, auxiliaire de localisation orienté à gauche. L’auteur met d’abord en avant des facteurs qui montrent en quoi ces formes sont apparentées à des auxiliaires : ain’t est associé à différentes valeurs sémantiques et il est susceptible de se substituer paradigmatiquement à des formes auxiliaires ; got, pour sa part, a subi un processus de désémantisation. De plus, ces deux formes jouent un rôle au niveau de la relation prédicative. Ain’t est utilisé pour inverser la polarité d’une relation prédicative : on en trouve de nombreuses occurrences dans des contextes de quête identitaire ; sa fonction est de dépasser l’identification stricte pour tendre vers son opposé, la localisation. Quant à got, il a une fonction qui s’éloigne de la localisation stricte et s’approche de l’identification sans jamais l’atteindre : il est employé pour faire porter les conséquences sur le référent du sujet, ou sur celui de l’objet.

J.-C. Khalifa [pp. 265-281] montre de manière convaincante dans quelles conditions l’extraposition des complétives sujet est susceptible d’être bloquée. Le premier cas qui pose problème est lorsque be est la trace d’une opération qui marque l’identification ou l’implication, ce qui rend l’extraposition impossible. L’auteur étend son champ d’investigation à tous les types de prédicat et de sujet pour confirmer son hypothèse. Le deuxième cas qui a un effet négatif sur le plan syntaxique est celui où l’énoncé comporte à la place de la copule un verbe « bipropositionnel » (bisentential verb). Dans les énoncés examinés, les deux propositions à temps fini se situent dans une relation d’implication. Comprendre pourquoi on a ce type de relation revient à s’interroger sur la nature de ces propositions : un élément de réponse est apporté quand ces propositions sont considérées comme des objets linguistiques au sens ontologique du terme : parce qu’elles renvoient à des événements, elles ne peuvent construire que des relations de cause, de conséquence et d’implication, ce qui vient corroborer les résultats proposés.

Pour conclure, il convient de souligner que ce volume de Cycnos apporte un éclairage intéressant sur la question de l’identification du fait de la variété et de la richesse des études proposées d’un point de vue synchronique. Ce numéro regroupe assurément des analyses dont pourront bénéficier les linguistes qui s’intéressent au sujet, et en particulier les candidats au CAPES et à l’agrégation. Il serait intéressant de prolonger cette recherche par une étude diachronique.

 

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